118: Pour un flirt avec toi

Write by Gioia

***Elikem Akueson***

Je ne sais pas comment j’y arrive, mais j’ai l’impression qu’un pattern est en train de se développer dernièrement. Cédric m’énerve, je réagis, Cédric devient la victime et moi l’agresseur. Est-ce parce que je suis sur la défensive quand il est dans le coin ou le type joue dans l’ombre avec mon esprit pour que j’ai l’air d’une frappadingue? Je ne sais plus à quel saint me vouer, sa grosse tête a gagné. Me voilà écrivant une lettre d’excuse en pleine nuit au lieu de dormir ou sortir m’amuser comme quelqu’un qui est en vacances dans son pays. Au moins je ne suis pas seule. Papa Eli me tient compagnie tandis que maman est larguée quelque part dans cette maison à la recherche d’une paire de chaussures qui doit apparemment faire partie du look d’enfer qu’elle compte nous sortir au mariage de sa fille. C’est pour le mariage, je me le rappelle encore une fois pour me motiver à finir la dernière portion de ma lettre et la donne à papa pour qu’il me donne son avis.

— C’est encore pour qui et c’est quoi le contexte? il m’interroge après l’avoir parcouru.

— Cédric, l’ami de Marley. J’ai peut-être réagi de façon excessive envers lui dernièrement et veux m’excuser.

— Et pour t’excuser, tu décides de commencer la lettre par «Cédric, je suppose que tu ne m’apprécies pas vraiment depuis notre dernier échange et devine quoi, je ne t’apprécie pas non plus»? il me répond de façon dubitative.

— Ça nous fait un truc en commun non? Je me concentre sur le positif.

— J’ai surtout hâte d’entendre comment il recevra cette lettre pleine de bonnes intentions, il se moque carrément.

— Au lieu de rire, dis-moi s’il y a un truc à enlever plutôt.

— Absolument rien. Elle est parfaite ta lettre ma puce, il continue avec humour.

Le type est trop détendu pour m’être d’une aide judicieuse à ce que je vois. Ce n’est pas chez maman que j’obtiendrai mon aide. Elle sautera sur l’occasion pour m’inventer des vies, juste parce que j’écris à un homme. Hors de question que j’en parle à Océane ou Romelio, surtout que le dernier essaie activement de me faire avouer ce que Cédric m’a soufflé à l’oreille. Primo, je tiens à ma réputation et secundo, je n’ai aucune envie d’attirer leur attention sur Cédric. Je ne veux pas qu’en croyant vouloir mon bien, ils commencent à s’imaginer des choses qui n’existent pas et soient déçus par la suite. Je ne veux pas supporter la déception d’un proche à l’heure actuelle. Pour cette raison et surtout parce qu’il ne me restait plus trop de temps à faire à Lomé, j’ai gardé ma lettre pour le retour.

J’ai programmé à la dernière minute un aller-retour rapide à Cotonou quand Denola m’a annoncé qu’il comptait faire une descente pendant mon séjour. Ça doit être drôle à dire en tant que Togolaise, mais c’est ma première visite au Bénin bien qu’on soit pays limitrophes. C’était ici que Ray et moi prévoyions passer notre lune de miel. Isolés, à la découverte de sa ville natale que j’observe depuis la fenêtre de ma chambre d’hôtel. J’y ai finalement passé toute la nuit, charmée par les jeux de lumière de la ville, mais également perdue dans mes pensées à cause de la mélancolie. Une petite douche m’aide à me rafraichir le matin et j’appelle Denola dès que j’en sors.

— J’évitais de t’appeler croyant que je t’aurais réveillé. Ça va? il demande après avoir décroché.

— Je me disais aussi, raison pour laquelle je t’ai appelé. Ça va et toi?

— Super. Écoute, rien ne presse pour aujourd’hui. Tu peux te reposer et on se voit demain, parce que je m’apprête pour me rendre à Comè de toute façon.

— Je peux t’y accompagner?

— Euh oui, mais tu es sûre? Parce que je vais visiter la tombe.

— Je veux le faire, je lui confirme.

— D’accord. On se dit dans une quarantaine de minutes? Je vais juste m’arrêter en chemin pour manger un truc.

— No souci, je suis là.

On se laisse après deux ou trois phrases et j’inspire un bon coup pour ramener ma respiration à la norme. Je ne viens pas juste de prendre cette décision. J’avais prévu me rendre sur la tombe avec maman à la base et changé d’avis quand Deno m’a annoncé sa descente. Pourtant, je commence à paniquer bêtement. Je n’ai aucune idée de ce qui m’arrive et encore moins envie de chercher à comprendre, donc je descends dès qu’il m’avertit de sa présence.

— Je n’ai jamais conduit pour m’y rendre donc je m’excuse à l’avance si on se perd un peu, il m’annonce sur un ton blagueur.

— Pas grave, j’ai toute la journée de toute façon.

On s’est effectivement perdu quelques fois, mais le trajet ne fut pas aussi lourd que je le redoutais. On a discuté, rigolé et en moins de trois heures, aidés d’indications de quelques passants sur le chemin, on a fini par trouver le cimetière. Je me suis sentie minable dès que Denola a pris des fleurs sur la banque arrière ainsi que des éponges, un bidon et sceau du coffre de la voiture.

— J’ignore dans quel état on allait trouver la tombe donc j’ai pris un peu de tout pour l’arranger, il m’explique pendant que je le suis silencieusement.

On se retrouve devant une pierre tombale en granite portant le message, «à la douce mémoire de notre bien-aimé Raymond Ekim», ses dates de venue et départ de ce monde. Puis en bas le verset «Que le Seigneur de la paix vous donne lui-même la paix en tout temps, de toute manière. Que le Seigneur soit avec vous tous.» 2 Thessaloniciens 3 : 16.

— Bah ça va hein. Je m’attendais à pire. Toni a dû la nettoyer quand il était ici en septembre, il commente en sortant les fleurs des deux vases de chaque côté de la pierre.

— On peut quand même faire un entretien rapide?

— Bien sûr.

Je lui prends le bidon d’eau, une éponge et à deux, on refait une beauté à la tombe, si je peux le dire ainsi. Il s’accroupit ensuite, divise les fleurs dans chaque vase puis sort un petit flacon d’huile de sa poche.

— Les lubies de ma mère, il m’explique et rigole un peu. Elle est persuadée que venir dans un cimetière c’est risquer de se faire contaminer par des esprits donc pour la tranquilliser, j’ai accepté de me promener avec cette fiole d’huile bénite.

— C’est amusant, je dis avec humour aussi.

— Tu en veux? il propose et me la tend.

— Pas vraiment.

— Allez Ray, un peu d’huile pour toi aussi. On ne sait pas quel esprit se promène ici, il dit sur un ton blagueur, mais je n’arrive pas à rire de ça.

— Tu sais, je ne veux même pas qu’il revienne parce qu’il me manque, je dis sans réfléchir. Il pourrait revenir et être fâché à vie contre moi que je ne le prendrai pas mal. Tant que je sais qu’il est là, qu’il vit sa vie, qu’il continue ses choses, qu’il est quelque part sur cette terre, je serai plus que satisfaite.

J’avais décidé de ne pas pleurer pourtant, me voilà à nouveau au bord des larmes. Je détourne la tête tandis que Deno se redresse et il me prend contre lui. Je suis reconnaissante qu’il ne m’est pas sorti de discours pour me réconforter. Il m’a juste embrassé lé front et comme s’il pensait que j’en aurais besoin, il m’a laissée seule en m’annonçant qu’il serait en voiture.

— Maman me tuerait si elle entendait ça, mais sens-toi libre de venir me hanter si ça te chante, je dis après m’être accroupi devant la tombe. Mais ne débarque pas quand je serai au travail aussi hein.

Bêtement je rigole en imaginant le genre de réplique qu’il m’aurait sorti là et touche son nom sur la tombe. Je n’ai absolument rien à ajouter. Je consomme en silence toutes mes émotions et ne me relève que lorsque mes genoux crient délivrance.

— On se dit à la prochaine? Je serais moins nulle, je te ramènerai des fleurs.

Sur cette phrase, je retourne à la voiture. Le retour est le contraire de l’aller. On ne se dit rien. Seule la musique nous berce. Chacun a besoin d’un moment, je suppose. Il me laisse à mon hôtel et je dors sans me laver le soir-là. Une fatigue sans nom a eu raison de moi. Le lendemain, on se revoit, cette fois pour découvrir Cotonou. Il ne connaît pas tant la ville, mais il est meilleur que moi. Il me montre des photos et vidéos de Raperla, le Steakhouse qui est enfin ouvert à Port-Gentil.

— Ça sera ma première descente dès que j’aurai des vacances au travail, je lui dis émue devant les photos que je continue à contempler.

— Comment ça se passe sur ce plan?

— Je suis en attente de mon visa. Mon espérance c’est qu’en début d’année, je serai prête à entrer en fonction, mais je me suis donnée jusqu’en Mars quand même pour ne pas trop m’emballer.

— Ah non, tu as dit début d’année, ça se fera en début, il m’annonce sur un ton très confiant. Je vais en parler à Ida pour qu’elle prie sur ça.

— C’est la prière d’Ida qui débloque les situations désormais? je dis amusée.

— Je doutais aussi Elikem, mais tu as devant toi un converti depuis que j’ai obtenu mon permis de travail en Belgique. J’ai effectué toutes les démarches sans jamais y croire tellement le processus était sélectif. Je ne voyais pas comment on m’aurait choisi parmi les centaines de demandeurs et j’aurais tout lâché si Ida n’était pas ultra motivée. Parfois, je me dis même qu’elle ne comprenait sûrement pas la majorité des choses que je lui racontais, mais regarde-moi. J’ai enfin raccroché avec l’Australie. Plus besoin de passer une semaine dans un avion avant de rentrer sur mon continent.

— Une semaine carrément, je rigole.

— Je t’assure que parfois j’avais la sensation d’y être depuis un mois tellement c’était long et tu devais prendre des connexions juste pour rentrer dans ton budget. Pour un an au moins, j’ai la paix. En moins de douze heures, incluant une escale, je suis dans mon pays. J’ai l’impression de planer depuis que je suis à Bruxelles. Je n’y suis que depuis un mois, mais j’aime le pays entier déjà.

— J’aime entendre ça et je suis certaine que tu auras cette paix pour les années à venir.

— Amen. Je compte bien briller à cet emploi pour y rester pendant trois ans au moins. Après ça, on avisera. Et comme je disais plus tôt, la foi de Ida marche donc je vais la mettre sur ton cas. Tu auras aussi ta paix à Nairobi.

— Amen, je dis en retour avec un sourire.

— Regarde ça, il dit en sortant de sa poche un écrin qu’il ouvre et j’écarquille les yeux de surprise.

— Wow, c’est ce que je crois?

— Yep, il dit fièrement. Le seul domaine où sa foi n’a pas trop fonctionné c’est sur la rapidité à recevoir cette bague, il rigole. Si ça ne dépendait qu’elle, elle serait mariée il y a deux ans de ça et aurait probablement déjà notre enfant, mais je me sens enfin prêt. Qu’est-ce que tu en penses? Elle est jolie? Je l’ai choisie aidée de Thierry.

— Elle est merveilleuse et typiquement Ida.

— Tu penses aussi? il dit sur un ton approbateur. Je l’ai vu et j’ai su qu’il la lui fallait. Aussi rose, féminin et délicat que possible. Je compte lui faire ma demande en avril durant nos prochaines vacances en Toscane.

— Wow en Toscane? Tu ne fais pas dans la dentelle toi.

— Façon je l’ai fait poireauter et pleurer, je ne me vois pas lui faire une demande simple.

— Donc tu fais même le vilain garçon avec notre Ida hein? Attention, je dis avec humour.

— Votre Ida est trop dramatique la grande, il rigole en retour. Je ne sais pas dans quelle langue, moi Deno je lui ai dit qu’à ses 25 ans, elle serait ma femme, mais elle m’a tapé la plus grosse crise existentielle au monde, jusqu’à me dénoncer à son père Elikem. Tu m’entends ça? Dieu merci, le papa connaît sa fille. J’en ris maintenant, mais il fallait me voir à cette période l’an dernier. J’étais tellement confus que j’ai bégayé quand le vieux m’a appelé.

— Sacrée Ida, je rigole aussi parce qu’on la connaît. Dès qu’elle entend ne serait-ce que le soupçon de ce qu’elle espère, ses oreilles se bloquent.

— Tu le dis bien, sacrée Ida, grande rêveuse. Son mariage de rêves me dépasse donc j’ai décidé de miser sur les fiançailles pour qu’elle ait au moins une mini version de son rêve.

— Aww, je suis certaine qu’elle sera aux anges, je dis satisfaite du jeune homme que j’ai en face de moi. Dire que je l’ai rencontré il y a presque dix ans maintenant. Il avait 16 ou 17 ans, et me posait un tas de questions sur la médecine. Pour moi il est devenu un réel ami avec le temps.

— J’espère bien. J’ai un petit plan déjà en tête pour, mais bref revenons à toi, on ne parle que de moi.

— Mais non, vas-y si tu veux m’en parler. Je vais garder le secret promis.

— Alors je compte louer une beetle cabriolet parce qu’on affectionne les voitures vintage. Puis nous réserver une visite dans un des nombreux châteaux qu’on trouve en Toscane là, et me lancer quand ça sera le bon moment quoi. C’est trop simple?

— Pour moi c’est on ne peut plus parfait. Je ne suis jamais allée en Toscane, mais les photos de l’Italie sur le net donnent vraiment envie. En plus, Ida est la réelle personnification du style élégant ultra féminin donc je crois qu’elle sera tellement aux anges par ton initiative qu’elle nous en parlera pour les dix années à venir, je lui dis et son sourire s’élargit.

— J’ai déjà hâte qu’on y soit pour voir sa réaction.

— Avril c’est loin, mets en pratique la patience, je l’embête.

— Lol, est-ce que j’ai le choix alors? Ça te laisse aussi du temps pour me conseiller sur ce que je dois savoir avant d’entrer en mariage.

— Moi? je dis surprise. Qu’est-ce que je sais sur le sujet? Je ne suis même pas mariée.

— Pour moi tu as été la femme de Ray tu sais, il dit en reprenant un ton plus sérieux. Vous avez passé une décennie ensemble, ce n’est pas négligeable.

— Dix ans de hauts et bas. Je ne sais pas si je peux te conseiller. Ce n’est pas trop mon truc pour être honnête.

— D’accord, c’est pas grave, mais si un truc te vient, je serai ravi de le recevoir. En dehors de Thierry, tu es la seule personne en qui j’ai une grande confiance.

— J’apprécie Deno. Je t’aime beaucoup, tu le sais déjà.

— Tu le sais aussi. Tu sais, également, j’espère que je ne t’en voudrai pas si tu refais ta vie, n’est-ce pas?

— Euh….pourquoi tu me dis ça?

— J’ai remarqué ton alliance. Ne le prends pas mal, c’est juste qu’on tend vers trois ans sans le grand dans nos vies et je voulais te rassurer qu’on ne s’attend pas à ce que tu mettes ta vie en pause.

— Je sais, ne t’en fais pas. Je la garde parce qu’elle a sa place sur mon doigt.

— Mais elle fait croire que tu es occupée.

— C’est ce que je veux. Ça décourage les gens, je lui explique et il sourit.

— Tu ne veux plus essayer?

— Je sais pas. En réalité, je n’ai aucune expérience en dehors de ton frère, donc ça me fait bizarre quand on me parle d’essayer autre chose comme si c’était la solution pour guérir.

— Je ne te mets pas du tout la pression, il clarifie.

— Je sais, je ne parle pas de toi. Pour être honnête, je ne ressens même pas tant la pression. C’est plutôt que certains ont une idée de ce à quoi «ma guérison» devrait ressembler et c’est ça que je trouve étrange.

— À quoi devrait ressembler ta guérison pour toi?

— Aucune idée. Je ne me sens pas malade en tout cas et même si j’aimais à nouveau un autre homme, je ne vois pas en quoi ça remplacera le regret que m’a causé la perte de ton frère. Les deux ne sont pas liés quoi.

— Tu ne penses pas qu’aimer à nouveau te remplirait de joie et peut-être cette joie prendra la place de ton regret?

— Est-ce que le fait d’avoir Toni te fait moins regretter Ray? je lui retourne.

— Bon, tu as raison. Désolé si je t’ai offensé en passant.

— Mais non, je sais que tu en parles parce que tu veux mon bien, comme mes parents et les autres. Je sais que vous ne voulez que mon bonheur.

On change de sujet et nous reprenons notre visite. Après trois jours à Cotonou, je retourne à Lomé. Il lui en reste deux à faire à Cotonou avant de remonter sur Libreville puis continuer à Bruxelles. Il ne pourra pas être au mariage de Dara en décembre, mais on se promet de garder contact comme toujours. Les deux derniers jours qu’il me reste à Lomé, je les passe avec maman pour qu’on ait du temps de qualité ensemble, chose qui n’est pas courante. Romelio se propose pour me déposer à la place de papa pour le départ. Puisque je suis arrivée en avance, je me déchire une petite feuille de mon carnet pour réfléchir aux conseils que Deno attend de moi. Je suis tellement perdue dans mes pensées que j’ai un mouvement de recul quand je tombe sur Cédric qui prend place non loin de moi. Quelle excuse on va me donner cette fois? Anyway, s’il est là pour moi, il joue bien le jeu en tout cas, parce qu’il n’a pas encore jeté de coup d’œil vers moi. Je retourne mon attention aux conseils de Deno et une fois satisfaite de ce que j’ai écrit, je plie la feuille pour la remettre dans mon carnet. En le faisant, je tombe sur la fameuse lettre que je devais remettre au type qui se comporte comme mon ombre. Le lieu n’est pas approprié, mais on s’en fout. Je me lève et en quelques pas je suis devant lui. Il relève la tête et se permet de prendre un air étonné. N’ayant aucune envie de me prêter à ses petits jeux, je dépose sur ses jambes le papier plié et retourne à ma place. C’est lui qui me rejoint quelques minutes plus tard.

— Très bons points, quoique je ne vois pas où tu veux en venir.

— Comment ça? je fais confuse avant de lui retirer rapidement la feuille et la lire. Elle n’était pas pour toi celle-là! je continue mortifiée.

Il lève un sourcil et prend un air dubitatif, signe qu’il ne me suit pas. Bien sûr, il fallait que je donne la mauvaise feuille hein. Quelqu’un quelque part s’amuse à me ridiculiser dernièrement, j’en suis persuadée.

— Je me suis trompée de lettre. Elle était adressée à un ami celle-là.

—Ok. Rajoute que lui et sa partenaire sont les artisans de leurs propres bonheurs.

— De quoi tu parles?

— Un dernier conseil pour ton ami, il continue en s’installant à mes côtés sans y être invité. Son bonheur est sa responsabilité. Qu’il ne s’attende pas à ce que sa partenaire s’en occupe.

— Euh non je ne suis pas d’accord. Personne ne se met en couple pour être malheureux. Un partenaire qui nous aime devrait se soucier de notre bonheur.

— Je n’ai pas dit le contraire. Je dis que notre bonheur ne devient pas subitement l’entière responsabilité d’un autre quand on est en couple. Un exemple banal serait, je déteste les bananes. C’est ma responsabilité de communiquer à mon chef cuisiner mes préférences afin que ce dernier puisse me contenter. C’est la responsabilité de ton ami de découvrir ce qui fait son bonheur et le communiquer à sa partenaire afin qu’elle puisse y contribuer. Et vice versa bien sûr.

— C’est un conseil nettement meilleur que mes deux là. Tu en as d’autres comme ça dans ton cerveau?

— Pour que tu les écrives et récoltes tous les honneurs? Respecte-moi. 

— Haaa, un grand comme toi cherche encore les honneurs?

— Subitement tu tombes dans la flatterie, il dit avec humour. Besides, je les trouve bien tes deux conseils.

— Arrête de te moquer.

— Mais tu es comment? On te complimente, tu dis qu’on se moque. Pourquoi ton cerveau ne reçoit que le négatif, il dit sur un ton moqueur pourtant.

— C’est moi qui t’ai donné de l’attention, pfff!

—Clearly. J’étais tranquille à ma place quand tu as débarqué et m’as sauvagement jeté un papier dessus sans même un hello.

— Attends que je te traite sauvagement avant d’utiliser le mot.

Il me regarde avec un sourire et secoue la tête comme si ma menace lui glissait sur la peau. Je continue à étudier son profil tandis qu’il retourne son attention à son téléphone. Cette idée me trotte en esprit. Une idée étrange je sais, mais plus je repense à la discussion avec Deno, les espérances et sous-entendus de mon entourage, je me dis qu’elle est là ma solution.

— Tu es en couple? je me lance sur un ton hyper confiant pourtant je meurs de honte mentalement.

— Non. You want a piece of me?

— On se calme hein. Je demandais pour…

— Si c’est pour une amie, je suis en couple.

—Which one is it then? Tu es en couple ou pas? je lui retourne confuse.

— Tu ne vas pas jouer les entremetteuses avec moi.

— Je n’essaie pas de jouer les entremetteuses monsieur. Voici le topo et tu ne te moques pas. J’aime mes proches. Mes proches m’aiment. Ils ne le disent pas de façon agressive, mais beaucoup ne cachent pas l’idée qu’ils aimeraient me revoir en couple. Je ne partage pas ce désir, mais j’ai envie de les contenter, même si ce n’est qu’en apparence. Le plan est donc le suivant. On flirt un peu de façon innocente, je répète innocente, quand nos connaissances seront dans les parages. Ils auront de quoi se réjouir et croiront que je vais enfin de l’avant. On jouera aux innocents s’ils nous questionnent et dans quelques mois, on s’éloignera tout doucement. L’histoire passera aux oubliettes, chacun reprend sa vie, tout est bien dans le meilleur des mondes, je récite comme si j’avais buché ce texte pourtant je viens juste d’y penser et mon cœur tambourine d’anticipation devant son regard pénétrant.

— Pourquoi je ferais ça? il finit par me poser l’unique question à laquelle je n’avais pas pensé.

— Euh…pourquoi pas? Tu m’aides un peu et ça ne te coûte rien, je dis d’une petite voix.

— Pourquoi je t’aiderais? Tu es emmerdante.

— Kieee, c’est quel mensonge ça? La terre entière sait que je suis sympa.

— Tellement sympa que tu m’accuses de tous les maux, il ironise.

— Pause sur l’exagération hein. Je t’ai accusé parce que tu te retrouves étrangement dans les endroits où je suis. En plus tu ne sais pas te tenir. Quand tu ne jettes pas un coup d’œil sur mon ordi, c’est sur ma tablette. Tu es trop intrusif. En quoi j’ai menti?

— Je ne me retrouve pas étrangement dans les endroits où tu es. Je t’ai visité une fois pour proposer une trêve parce que ta sœur m’en voulait d’avoir commenté tes chaussures. Tu sais déjà que ta sœur m’a parlé de ton voyage à Lomé. J’avais déjà prévu ma descente ici pour m’assurer que ma sœur était bien installée et là, dommage pour ta théorie complotiste, je ne te suis pas. Je rentre à Pretoria.

— Oh….attends, tu vis où au juste? Entre Nairobi, Lomé et maintenant Pretoria?

— La curieuse, il ironise, mais je m’en fous. J’ai déjà demandé. Le siège de ma compagnie se trouve à Cape Town même si j’essaie de le déplacer à Nairobi depuis quelques années. Je suis consultant médical spécialisé en entretien et réparation de base de l’équipement biomédical pour l’association des professionnels de la santé de l’Afrique du Sud. J’étais à Lomé pour voir ma sœur comme je te l’ai dit. Elle a décidé d’y faire son année scolaire donc il me fallait jeter un coup d’œil pour m’assurer que le personnel s’occupe bien d’elle. Je passe à Nairobi lorsque j’ai du temps, parce que j’essaie d’y déplacer le siège de ma compagnie.

— Alors tu travailles et gères simultanément une compagnie? je lui demande sans pouvoir cacher mon admiration.

— Pour moi, ce que je fais à l’association ne relève pas tant du travail, mais un projet personnel. On a de bons hôpitaux sur le continent, mais la majorité manque non seulement de fonds, mais aussi de matériel en bon état. Plusieurs centres hospitaliers n’ont même pas d’ingénieurs à bord. L’entretien est généralement à la charge de techniciens ou radiologistes qui font de leur mieux bien que ça ne soit pas assez. Tu imagines le pourcentage de patients dont les soins ont été retardés par manque d’équipement fonctionnel? Je préfère ne pas te le dire, mais pour essayer d’y remédier, j’ai rejoint ce collectif. La section dont je suis membre conçoit des cours, ateliers et produit des manuels pour outiller le personnel de santé responsable de l’entretien mécanique. Comme tu le sais, ma compagnie produit du matériel médical, donc tu imagines l’atout que c’est d’interagir directement avec ceux pour qui nous concevons les outils. Je ne leur vends certes rien, mais leurs expériences, challenges et commentaires sont équivalents à de l’or pour moi.

— J’imagine bien. C’est vachement judicieux d’avoir rejoint ce collectif.  

— Je ne peux m’attribuer ce mérite. On est venu me chercher quand je galérais avec la startup, il rigole.

— Et ils t’ont gardé, donc tu dois faire du bon travail. Comment tu jongles et te promènes entre trois pays chaque année? C’est surtout ça qui me sidère.

— Je leur ai bien dit que je ne comptais pas en sortir quand ils m’ont laissé entrer, il continue à blaguer. Sinon j’avais une assistante féroce qui dressait mon emploi du temps à la seconde près. C’est surtout ce qui m’a permis de garder la tête hors de l’eau au début et avec le temps, mon horaire est devenu flexible. Ça aide aussi que je n’ai pas besoin d’être physiquement présent à Pretoria pour travailler.

— C’est ton rythme de travail qui a nui à ta relation précédente? J’ose m’aventurer là-bas.

— Non. L’assistante féroce c’était mon ex.

— Pourquoi les entrepreneurs engagent souvent des femmes pour finir par sortir avec?

— Aucune idée. Ma femme a décidé de devenir mon assistante parce que je galérais avec les procédures légales au début de mon aventure et me faisait arnaquer par-ci par-là. Je suis attaché à l’Afrique du Sud après tout le temps passé là-bas, mais ce n’est pas évident d’être un entrepreneur étranger dans ce pays, comme n’importe lequel, je suppose.

— Yako pour ton expérience.

— A quoi?

— Tu ne connais pas Assia? Genre le «babadé» des Camerounais?

— Et l’autre veut dire quoi?

— Mais, je fais étonnée, tu as passé tout ce temps à Lomé et tu ne connais pas «babadé»?

— Je ne me suis pas dérangé pour apprendre la langue.

- Quand même, «babadé» c’est la base du mina. Tu exagères, je dis et il sourit.

— Je galérais déjà pour apprendre le français. Je n’allais pas m’ajouter du travail additionnel.

— Tu ne connaissais pas un mot de français quand tu as débarqué à Lomé? Qu’est-ce que tu y fichais alors? je répète choquée.

— Un mot c’est exagéré. J’avais quand même fait deux ans au lycée français avant d’arriver à Lomé, mais entre nous, le français des profs était rudimentaire. Sinon mon séjour à Lomé c’était une initiative de mes parents pour me punir.

— Punir? Pourquoi?

— Pourquoi ta relation précédente n’a pas fonctionné? il me prend de court en me demandant.

— De quoi tu parles? Tu ne sais pas que mon ex est décédé?

Il perd l’air détendu qu’il portait pour un plus sérieux.

— Je croyais que tu l’aurais entendu de Marley, je continue maintenant que je me rends qu’il l’ignorait depuis le début.

— Contrairement à ce que tu penses, je ne suis pas si curieux au point de fouiner dans ton dos. Mema wo yaako, c’est le «babadé» asante, il m’explique sur un ton doux.

— Merci. Alors tu as fait quoi pour mériter une punition? je relance la conversation sur un autre sujet pour que ça ne devienne pas bizarre.

— Ce n’est pas que je me défile, mais on annonce l’embarquement pour mon vol depuis un moment et il me reste….une heure, il dit après avoir regardé sa montre.

— Oh pas de….

— Ou on peut continuer à bord du vol.

— Hein? je fais confuse.

— Tu me suis à Pretoria?

— Heu, mais non. Tu es fou? Je te suis comment? Mon vol part dans trois heures par là.

— Tu peux l’annuler aussi.

— Yep, tu es décidément fou. Je l’annule comment? J’ai déjà fait mon enregistrement et les bagages sont….

— Est-ce que tu veux me suivre déjà? Commençons par là.

— Je te suis où? Je ne connais même pas Pretoria. Et qu’est-ce qui me dit que tu n’iras pas me vendre là-bas?

— Donc ta grande gueule connaît aussi la peur? il se moque, colle son téléphone à son oreille, marmonne je ne sais quoi et en moins de dix minutes, une hôtesse se présente. Elle me demande mon passeport et billet. Je les lui remets par curiosité parce qu’à vrai dire, jusqu’à ce que je m’asseye dans un vol en direction de Pretoria, je ne comprenais pas ce qui se passait.

— Juste pour comprendre hein, c’est le privilège de PDG qui donne accès à une hôtesse personnelle? Parce que je prends classe affaire aussi et JAMAIS on ne m’a affecté une hôtesse personnelle quoi.

— C’est une combinaison de plusieurs privilèges pour être honnête.

— On fait la demande où pour entrer dans ce club?

— Aucune idée. Je n’en ai pas fait.

— On est venu te chercher aussi hein, je conclus, même pas impressionnée.

— Pourquoi j’ai l’impression que tu m’en veux subitement, il se moque.

— Fous le camp, je dis en levant la main devant sa face et il éclate de rire.

— C’est comme ça que tu flirtes toi? il réintroduit le sujet originel.

— J’espère que tu ne t’attends pas à ce qu’on couche ensemble dans cette petite escapade.

— Ton avertissement arrive un peu tard, tu ne trouves pas?

— Il n’est jamais tard. Je peux retourner à Nairobi si c’est ce à quoi tu t’attends.

— Supposons que tu es un homme qui veut coucher avec une femme. Qu’est-ce que tu ferais maintenant? Dire la vérité ou de mentir en espérant qu’avec un peu de charme, elle se laissera faire?

— Je dirais la vérité et j’essaierai également de la charmer tant qu’elle ne me dit pas ouvertement non.

— Tu ne m’en voudras donc pas si j’essaie de te charmer?

— Tant que tu ne m’embêtes pas si tu n’obtiens rien en retour.

— Fine, mais je te préviens, je ne sais pas flirter.

— Ne dis rien, je suppose que tu n’as jamais dragué parce que comme le reste, les filles aussi t’ont trouvé, je soupire et ne peux m’empêcher de rouler les yeux.

— Qu’est-ce que j’y peux?

— Tu peux arrêter de frimer par exemple, ça serait un début, je continue sur un ton sarcastique et lui rigole, mais je ne me laisse pas avoir. Frimer c’est laid. En plus je vois clair dans ton jeu de garçon super avenant et gentil. Ton «Fake nice» ne passe pas avec moi.

— En fait, tu veux tellement justifier ton animosité envers moi que tu m’inventes des vies. Admets seulement que tu aimes me détester et on avancera.

Je n’admettrai rien. Une heure plus tard, le type flirte plutôt avec son oreiller et roupille tranquillement. Je lui pince doucement le bout du nez pour son commentaire sur mon «animosité» avant de retourner à ma place et prévenir les autres que mon trajet a été modifié à la dernière minute. Rien qu’à imaginer leurs réactions, je pouffe de rire. C’est bon, j’admets que ce revirement de situation m’amuse énormément. On n’aurait pas fait mieux comme intro à ce faux flirt dans lequel je nous ai embarqués. 

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