122:Making plans

Write by Gioia

***Cédric Yafeu Asamoah***

Bérénice ne s’est pas présentée à la soirée dansante, chose qui ne m’étonne pas. Elle n’a jamais été une fêtarde, contrairement à Elikem qui n’a pas posé ses fesses de toute la soirée hier. N’étant pas un grand danseur de nature, j’ai eu du mal à la suivre. Tout ce que j’ai pu faire, c’est récupérer le bouquet que m’a lancé Dara et le lui donner. Elle m’a visé, je le sais, on ne me fera pas croire le contraire. Je n’étais même pas dans le groupe, mais le bouquet a atterri sur ma tête. À force de danser avec elle, je me suis levé ce matin avec une érection plus raide que le «boner» matinal. Comment elle se sent actuellement, c’est la seule question qui m’a réveillé de si bonheur et je m’en vais de ce pas chercher ma réponse parce qu’elle ainsi qu’une partie du groupe ont dormi chez moi. Je la trouve errante dans ma cuisine dans une coiffure tellement défaite qu’on l’aurait pris pour un fantôme. Elle sursaute quand je toque légèrement sur le mur.

— Qu’est-ce que tu fiches là?

— Dans ma maison, tu veux dire? je lui retourne sur un ton amusé.

— Moins fort, mon cerveau va exploser, elle dit d’une voix miséreuse tout en massant ses tempes.

— L’arachide n’aide plus à cuver l’alcool? je continue sur le même ton.

Le regard assassin qu’elle me lance me donne envie de l’enfoncer davantage, mais sa petite mine me fait presque pitié donc je vais lui chercher de quoi la soulager.

— La prochaine fois, tu écouteras quand on te dit qu’un poids plume n’est pas supposé descendre deux bouteilles de Dom Pérignon, je lui rappelle pendant qu’elle avale les cachets.

— C’est toi qui m’as porté pour savoir que je suis un poids plume?

-69 kg c’est un poids plume pour moi.

— N’importe quoi. Selon le BMI mon mètre 64 est en surpoids avec ce po….attends, d’où tu tires l’info sur mon poids toi?

— Tes formes me l’ont dit.

— N’importe quoi, elle dit en secouant la tête.

Je lance la machine à café et munis de nos tasses, elle me raconte avec passion les événements d’hier comme si je n’y étais pas aussi.

— J’imagine comment tu parleras de ton mariage si tu t’égosilles tant sur celui de ta sœur, je commente entre deux phrases.

— Nah, zéro mariage pour moi. Peut-être, je parlerai de mon bébé avec la même ferveur.

— Tu veux avoir un enfant sans te marier?

— Je sais pas encore, j’ai regardé mes options pour l’adoption, mais c’est tellement compliqué rien qu’à la lecture, elle soupire. Bref, parlons d’autre chose. Il faut qu’on mette ton temps ici à profit pour monter un plan solide.

— Quel plan ça?

— Le plan reconquête Bérénice non? Ne me dis pas que tu t’es découragé juste à cause d’hier. Je te connais plus persévérant que ça.

— On parle du plan plus tard. Finissons ce que tu me disais sur l’adoption, je dis avec un sourire.

S’il y a une chose que son séjour à Pretoria m’a apprise, c’est qu’elle se ferme comme une huitre dès qu’on parle d’un sujet intime qui la touche. Mais pour se mêler de la vie sentimentale des gens, en tout cas la mienne, fais-lui confiance.

— Il n’y a rien sur l’adoption sinon que c’est compliqué. On t’informe déjà que les candidatures des personnes célibataires seront étudiées avec plus de fermeté que les couples. À vrai dire, j’ai pas vraiment envie d’attendre deux voire trois ans avant d’avoir mon enfant. C’était pas mon idéal quoi, elle dit l’air absent.

Je n’ai pas besoin de l’interroger pour comprendre que son idéal c’était probablement de fonder une famille avec son fiancé. J’ai déjà compris et conclus que tout ce qu’elle prévoyait était lié à lui et depuis sa disparition, elle patauge un peu dans la vie.

— L’autre option serait de le faire toi-même, ça t’évite d’attendre, je lui propose la solution évidente.

— Peut-être ce que je dis va te sembler bizarre, mais je ne veux pas priver mon enfant d’un père. Je me dis que l’enfant adopté saura déjà que je ne suis pas sa mère biologique, donc ça l’affectera moins si je ne peux pas lui dire qui est son père, comparé à un enfant que j’aurais conçu avec un sperme de donneur.

— Ce n’est pas faux, mais je parlais de l’option la plus simple. Tu fais un enfant avec quelqu’un que tu connais. Moi.

— Euh….,

Son air hébété m’aurait fait fondre de rire dans d’autres circonstances, mais étant sérieux dans ma proposition je tiens son regard.

— Je veux un enfant aussi. C’est ce que je désire le plus depuis un moment. Ça règle ton problème de père absent et tu n’as pas besoin d’attendre pour être mère.

Elle reste muette d’étonnement donc je continue mon discours de persuasion.

— On adore les enfants chez nous. Mes parents en ont eu douze dont je suis l’aîné, donc tu peux garder l’esprit tranquille, il sera aimé surtout qu’il risque d’être le premier petit-fils chez nous.

— DOUZE? Elle s’écrie comme si elle venait d’enregistrer l’information et m’arrache un sourire. Les gens sont toujours choqués quand ils entendent ça.

— Dix dans les faits si tu préfères. Ma mère a eu dix enfants et on a recueilli deux avec qui on a grandi. Mon père considère qu’il n’y a pas plus grande richesse que d’être entouré d’enfants.

— Il porte Abram dans son nom pardon? DIX? Mince, mon entrejambe se serre rien qu’à l’idée de dix grossesses, elle dit et croise si fort ses cuisses que je m’en marre.

— Dix c’est pas si excessif hein. Son petit frère en a quinze d’une même femme, quoiqu’elle a eu des grossesses gémellaires contrairement à ma mère.

— Et c’est avec des antécédents familiaux si compliqués que tu me proposes d’être ta baby mama? Jamainement!!!

— Hooo les amoureux, y en a qui essaient de dormir ici, on entend une voix féminine aboyer puis une porte se referme.

— Regarde le comportement de quelqu’un dans la maison des gens, elle critique son amie Océane. Je me garde de lui rappeler sa propre remarque quand je l’ai surpris en cuisine et reprends mon argumentaire.

— Tu peux calmer ton utérus. Les Asamoah ne m’ont pas transmis le gène de l’extrême fécondité. Quatre me suffiront amplement.

— Tu sais quoi….je ne t’en veux même pas hein. Quand tu sors de l’abondance à outrance, c’est normal que quatre soit un compromis pour toi.

— Ce n’est pas raisonnable? je demande confus.

— Quatreuh? À 34 ans? Je les fais quand et travaille à quel moment? Ma mère a eu trois et avait commencé dans la vingtaine. D’ailleurs, regarde comment on en discute comme si c’était une éventualité plausible. Je ne sais pas pourquoi vous les hommes aimez tant les situations risquées. Tu es amoureux d’une femme, mais tu proposes à une autre de porter ton enfant. C’est comme ça que tu comptes reconquérir Bérénice?

— Quand t’ai-je dit que je comptais reconquérir Bérénice?

— Pardon? Tu veux me dire que je me brise les méninges à t’encourager et trouver des solutions depuis des jours, tandis que toi tu t’en fous royalement? elle s’indigne.

Elle a fini son café et crie un peu trop donc je la tire par la main pour qu’on aille dans le jardin.

— Avant que tu ne pètes une durite, je tiens à te rappeler que jamais tu ne m’as demandé si je voulais la reconquérir. Tu as tiré tes conclusions toute seule parce que j’ai encore quelques effets d’elle à Pretoria.

— Et je sais pas moi…il ne t’est pas venu à l’esprit de me dire, «ne te donne pas tant de mal Elikem, je ne suis pas si emballé que ça par l’idée de renouer avec mon ex?», elle pète quand même sa durite.

— Tu étais si déterminée que je n’ai pas eu le cœur de te décourager.

— Non, c’était plus amusant de te foutre de ma gueule en douce quoi, elle continue toujours remontée.

Je ne sais pas quoi dire, la scène ne devrait pas m’amuser et pourtant.

— Je peux te présenter les points positifs sans que tu ne me tombes dessus pour me frapper?

— Tu n’es qu’un gros con!

— OK madame.

— Je ne vais pas faire d’enfant avec un gros con.

— Pourquoi?

— Tu vas lui refiler tes gènes.

— Ils balanceront avec tes gènes de soularde qui tire des conclusions hâtives.

— Pfff!

— Une autre raison? je la relance avec humour.

— Il passera la majeure partie de ses premières années avec moi et, disons à ses quatre ans, on fera moitié, elle me prend par surprise en acceptant si vite. Cette femme est tellement déroutante Seigneur, elle va me rendre dingue, et le plus fou c’est qu’elle semble toujours en colère.

— Il n’y aura pas de moitié. Si on fait l’enfant ensemble, on est ensemble.

— C’est la force? Je ne t’aime pas.

— Sentiments partagés, mais hors de question que mon enfant mène une vie éclatée comme le popcorn. La stabilité que je veux pour lui c’est une maison avec un père et une mère présents autant que possible.

— Pour vivre en harmonie avec quelqu’un, il faut avoir un minimum d’amour pour lui.

— Je suis très aimable tu verras, je dis confiant.

— Tu ne cuisines même pas, elle me fait remarquer et j’éclate de rire.

— C’est par le ventre qu’on gagne ton cœur toi?

— Non, mais tu ne cuisines quand même pas.

— Ça n’empêche que je reste très aimable.

— Qu’est-ce qu’il y a d’aimable sur toi?

— Plein de choses que tu me diras de toi-même un jour.

— Pfff, en plus tu es un vantard!

— Ce n’est pas de la vantardise de connaître ses qualités.  

N’ayant plus rien à rétorquer, elle me regarde de travers.

— Je veux que tu emménages avec moi.

— Oh doucement hein, je n’ai pas dit que j’acceptais ta proposition farfelue. J’ai…j’ai besoin de temps pour consulter avec mon…bref, j’ai besoin de réfléchir, elle annonce et comme d’habitude, elle fuit.

Petit à petit, elle s’éloigne d’une démarche chaloupée dans sa robe blanche en crochet dévoilant son dos jusqu’à cette chute de reins que mes doigts passeront toute une nuit à effleurer, bientôt peut-être. Je serais remonté dans ma chambre l’esprit serein s’il s’agissait d’une autre femme, mais celle-ci est si accrochée à un autre que j’en deviendrais presque jaloux. C’est une première pour moi d’être le second et je déteste déjà.

***Elikem Akueson***

Je suis à Nyaho house pour récupérer mon permis de travail, mais je ne peux m’empêcher de toucher mon annulaire nu depuis cinq jours. J’ai ôté la bague de Ray depuis que Cédric a inséré le poison dans mon esprit. J’ai essayé de lutter contre, mais je veux vraiment un bébé. Passer du temps avec Solim a réveillé mon instinct maternel si on peut le dire ainsi. Je sais qu’on ne fait pas un enfant pour combler un vide, mais je ne peux pas être hypocrite. Je veux avoir un enfant d’abord pour moi, je veux prendre soin de quelqu’un et lui transmettre ce que j’ai. J’en ai tellement envie que depuis plus d’un an, j’ai étudié toutes mes options, sans le partager avec quelqu’un, jusqu’à Cédric. Sa proposition, c’est presque l’équivalent d’une bonne dose à un drogué. Je n’ai aucune envie de la refuser, sinon qu’elle m’effraie. Considérer sa proposition tout en portant l’alliance me donnait l’impression que je mélangeais Ray à nos conneries donc je l’ai ôté pour taire la voix coupable qui m’accusait.

Il a fallu qu’on m’appelle trois fois pour que je me lève et m’avance au comptoir de l’agent d’immigration. Je présente ma lettre d’acceptation et environ une heure plus tard, je ressors avec mon ID valide de deux ans. Le premier endroit vers lequel mes pieds me conduisent, c’est la maison de Cédric. Son gardien me dirige vers le jardin où il se trouve, nez devant ses deux ordis, comme d’hab quand il travaille.  

— Alors, qu’est-ce qui t’emmène de bon?

— J’ai obtenu mon permis de travail.

— Félicitations. Tu commences quand alors?

— Le plus tôt possible, je suppose, il me faut juste avertir le recruteur. Ce n’est pas l’idéal de prendre une grossesse au début d’un nouvel emploi, donc on peut essayer dans six mois? Ça te convient?

— Tu es partante alors? il m’interroge surpris comme si ce n’est pas lui qui m’a mis ça en tête.

— Tu ne veux plus?

— Tu as ôté ton alliance, il remarque quand ses yeux tombent sur mes mains que je cache sous la table.

— Oui, c’est mieux de ne pas mélanger les choses.

— Comment tu te sens?

— Bizarre, un peu larguée et effrayée.

— Qu’est-ce qui t’effraie?

— Toi, ça, et l’inconnu. Il faut qu’on discute de comment ça sera. Si tu veux qu’on soit ensemble, où vivra-t-on? Dans mes projets, je devais faire deux ans ici et retourner aux États-Unis, mais je ne suis pas calée sur ça. J’ai d’autres plans aussi à Lomé.

— On peut commencer ici et finir à Lomé par la suite, ça ne me dérange pas.

— OK, euh…et ta compagnie? Tu comptes toujours déplacer ton usine de production ici?

— Oui, d’où l’achat de cette maison, mais ça ne sera pas avant deux voire trois ans.

— D’accord. Comment tu vois l’éducation de l’enfant? Je ne suis pas portée sur le bâton comme punition.

— On avisera quand il sera là, je peux te dire plein de choses, mais je n’ai jamais éduqué d’enfant donc…

— Ouais bon, tu n’as pas tort, je dis en me rappelant que je fais mon ultra préparée pourtant je n’en ai jamais éduqué non plus.

Soudain, je sens une main câliner mon dos. Au lieu qu’elle me fasse sursauter, je me sens réconfortée.

— On aura neuf mois en plus le temps de le concevoir pour apprendre le nécessaire, il me dit d’une voix rassurante.

— Oui. En plus j’ai ma mère, je dis avec un sourire en imaginant la réaction de cette dernière lorsque je vais lui ramener cette nouvelle. Ma mère souffre avec une fille comme moi pour être honnête. Et ta mère aussi, j’ajoute, me rappelant que je ne suis pas seule dans cette aventure.

— On va garder ma mère en dehors de ça pour le moment si tu veux qu’on y aille doucement.

— Elle ne nous en voudra pas? Je ne veux pas créer de disputes inutiles.

— Non, elle a assez à gérer actuellement.

— D’accord. Bon, pour commencer, mon utérus ne va pas souffrir quatre fois. Supprimons déjà ça. Je suis prête à en faire un et si l’expérience est concluante, un second, mais l’enfant de Belle ferme son usine après ça.

— Commençons comme tu dis et on verra, il répond avec un sourire qui ne me convainc pas. De toute façon, ce sont ses yeux qui vont pleurer lorsque mon usine sera verrouillée. Je vais prendre rendez-vous avec une clinique dès la semaine prochaine alors, je reprends. Même si on ne va commencer que dans six mois, c’est mieux qu’on comprenne le processus, nos chances et peut-être tu peux même fournir ton sperme à l’avance, comme tu te déplaces souvent. Je pourrais le faire seule si jamais tu n’es pas présent. On ne prendra pas de retard, qu’est-ce que tu en penses?

— Que tu rigoles, il dit d’un air étonné. Qui va donner son sperme à l’avance?

— Tu as déjà entendu qu’on fait un enfant sans sperme toi ou…oh…, je murmure sur la fin, comprenant là où son esprit était. On ne va pas coucher ensemble hein, non non, c’est comment? C’est ce à quoi tu t’attendais? Non, mais. Tu donnes ton sperme, je me fais inséminer, fin de l’histoire.

— Aide-moi à finir cette histoire. Je paie pour une procédure, me masturbe pour donner mon sperme, tu prends tes hormones, te fais inséminer et le reste du temps qu’on fait ensemble, tu penses qu’on fera quoi? Apprendre les comptines le temps que Malike (prononcé Maliké) naisse?

— Malike? je répète confuse.

— C’est le prénom de notre bébé.

— Que qui a décidé ça?

— Malike, je l’ai décidé. Il est unisexe, vient de ma langue et lié à ton prénom.

C’est mignon, j’avoue, mais je ne tombe pas dedans. On a plus important à régler.

— On va passer du temps ensemble, apprendre à devenir parents, c’est ce que tu avais proposé.

— Passer du temps ensemble suppose se découvrir. N’importe qui sait qu’une activité sexuelle régulière est bénéfique pour la mère et l’enfant tant que ton gynécologue ne le déconseille pas.

— Bref, c’est pas la force, je ne vais pas coucher avec toi, un point c’est tout! Si tu veux ton enfant, on fait l’insémination.

— Si tu veux ton enfant, viens chercher ton sperme à la source! il rétorque et me cloue le bec par la même occasion.

***Romelio Bemba***

Il faut souvent sortir de son pays pour constater combien l’Afrique est réellement un continent rempli de pays si différents. Je ne peux expliquer pourquoi je m’attendais à une ville déserte, mais Dar es-Salaam est bien peuplée. Michelle, la tante de Hada réside dans le nord de la ville à Mbezi beach assez proche du IMTU hospital où elle et son mari travaillent. Elle comme infirmière et lui un médecin généraliste. On l’a même trouvé enceinte, une grande surprise pour Hadassah qui est aux anges depuis notre arrivée. À Nairobi, Snam m’avait fait la remarque à Nairobi que Hadassah ferait une très bonne grande sœur vu la patience qu’elle démontrait avec Solim. Ne pouvant pas lui en donner, je suis ravi qu’au moins sa tante puisse lui donner des petits cousins. Notre quotidien depuis les trois jours qu’on fait ici, c’est de découvrir les environs, se rendre à la plage non loin du domicile de sa tante, sinon lorsque cette dernière le peut, aller au centre-ville pour jouer les touristes, comme aujourd’hui. Du moins c’était le plan, avant que Stella n’appelle alors qu’on s’apprêtait à sortir. Je l’ignorais depuis un moment parce qu’elle me prenait la tête pour les cheveux de Hadassah. La meilleure option qu’elle a trouvée c’est d’appeler sa sœur et demander à me parler.

— Je serais dehors, passe-lui le bonjour, j’annonce à Michelle et sors les attendre dans la cour.

Va savoir si elle croyait que cette méthode m’obligerait à rester au téléphone pour l’entendre me rappeler ce qu’elle m’avait déjà écrit. À savoir que je n’ai absolument pas le droit de changer la couleur des cheveux de sa fille sans son autorisation et qu’elle se fera un plaisir de reprendre Hadassah si c’est ainsi que je compte la récompenser de me la laisser. Des âneries que j’ai lues en rigolant de dérision.

— Eh! C’est quoi ma responsabilité dedans? Je dois lui enfoncer le téléphone dans l’oreille? vocifère Michelle.

— Tu as raison! Je suis bien contente qu’elle soit avec quelqu’un qui pense à son bien-être, cheveux ou pas. Au moins, il l’a emmené ici! Depuis quand tu me promets que ma nièce viendra me visiter et jamais je ne la vois? Mais pour l’envoyer chez cette bande de rapaces que tu appelles belle-famille, tu ne manques jamais à l’appel! elle aboie de plus belle.

J’entre et fais signe à Hadassah de me suivre avant que cette discussion ne tourne au vinaigre. On connaît assez bien la route jusqu’à la petite plage non loin du domicile et avant de s’y rendre, je lui propose qu’on s’arrête pour se prendre une glace pour découvrir son visage inondé de larmes qu’elle cachait. Je fouille dans mes poches, retourne la lisière de la casquette et nettoie les traces de larmes sur ses joues.

— Je veux pas que maman et tata Mie se fâchent à cause de moi, elle hoquète.

— Elles ne sont pas fâchées à cause de toi chérie.

— Si, elle hoquète de plus belle au point que ses épaules se soulèvent par la force de sa respiration.

Je m’abaisse à son niveau et elle entoure mon cou de ses bras. Vu qu’elle ne pèse rien pour moi, je me relève avec elle qui crie au passage.

— Tu ne vas pas tomber, je te tiens.

— Mais c’est gênant papa, se plaint-elle, les gens vont nous regarder bizarrement, pose-moi. Je suis vieille!

Je la dépose avant qu’elle ne me tape une grosse crise. Madame la vieille rajuste sa casquette et reprend la marche. Les larmes ne sont plus qu’une ancienne histoire.

— Tu viens alors? elle me hèle carrément.

A-t-elle conscience qu’elle vient de m’appeler papa? Peut-être pas, pourtant moi j’en suis encore troublé. Je la rejoins, on se prend nos glaces et pendant qu’on regagne la plage, j’essaie de la distraire avec des anecdotes sur mon enfance pour qu’elle ne songe pas trop à la dispute entre Stella et sa sœur. Dispute qui n’était même pas finie à notre retour, pourtant nous avons brûlé près d’une heure dehors. Je m’en suis assuré, espérant qu’au retour Michelle serait plus calme, mais non. C’est le retour de son mari quelques minutes après nous qui a apaisé les tensions et mit fin à l’appel. Cet homme m’a confirmé que dans un couple, il faut de temps en temps un calme pour ramener l’ordre. Comme cette journée était notre avant-dernière ici, il a réussi à nous convaincre de faire un dernier tour en ville, histoire qu’on se quitte sur une meilleure note. Nous avons fini la journée par une randonnée à Oyster Bay durant laquelle Michelle a demandé qu’on se parle. On s’est donc assis sur les bancs en bordure de mer tandis que son mari et Hadassah continuaient à longer la jetée.

— J’aimerais qu’on discute de Hadassah. Quels sont tes plans en ce qui la concerne?

— Qu’entends-tu par plans?

— Comment ça? Plans non? elle rétorque sur un ton abrupt.

— Tu me demandes clairement ce que tu veux. Le mot plan englobe beaucoup.

— Je veux savoir si tu comptes la reconnaître bientôt.

— C’est avec ta sœur que j’en parlerai et si tu veux tant savoir, je t’invite à en discuter avec elle.

— À quoi tu joues au juste? Tu es dans quel camp finalement?

— Il n’y a qu’un seul camp ici Michelle. Celui de Hadassah. Je n’ai pas besoin d’en choisir un autre ou même de le nommer. Ce que je ne ferai pas en revanche, c’est entrer dans un jeu où on se fait des confidences pour qu’à l’avenir, ta sœur me ressorte une connerie. Je ne suis pas son ami et encore moins le tien. Tu m’as reçu chez toi avec courtoisie donc je te l’ai retourné. Si tu veux continuer avec agressivité, on va s’arrêter ici sur le champ.  

— Désolée, elle soupire longuement, je suis à cran après la discussion avec Stella. Ce n’est pas elle qui m’envoie en mission. Ma sœur n’est pas comme ça. Je suppose qu’elle n’est pas un sucre d’orge avec toi, mais je t’assure que dans le fond, elle n’a rien contre toi. C’est juste qu’elle doit gérer tant de choses que parfois elle se mélange. Bref, je suppose que ça doit sonner comme des excuses à tes oreilles.

— Un peu oui, je confirme et elle soupire à nouveau tout en câlinant son ventre.

— Avant de fermer la page des excuses, je tenais à t’en présenter de formelles pour ne pas l’avoir ramené à la raison quand j’ai découvert que tu étais le vrai père de Hadassah. Stella elle…, bref désolée.

— J’apprécie, je dis sincère qu’elle le reconnaisse. Sa propre sœur ne l’a jamais fait et même si ça ne change pas les circonstances, j’apprécie réellement.

— Le pourquoi je te demande ce que tu comptes faire de Hadassah, c’est surtout parce que je voulais que tu te mettes entre elle et les Muamini. Stella n’est pas une mauvaise mère! Elle fait de son mieux, mais elle a tendance à ne pas accepter que sa belle-famille s’applique activement à rappeler à Hadassah qu’elle n’est pas des leurs. De l’abominable grand-mère qui achète les pyjamas aux enfants pour noël tout en oubliant sciemment Hada, à Fréjus, le mongol qui se dit frère d’Etienne. Tu ne peux pas le rater lorsque tu le croiseras. Il ressemble à un criquet qui marche avec son cou mince comme un spaghetti là, bref! Lui, sa femme et leurs diablotins d’enfants détestent le fait que Hadassah soit la potentielle et surtout unique héritière d’Etienne. On croirait même que leur frère fait partie des millionnaires français quand tu vois comment ils traitent la petite avec mépris. Bref, je vais m’arrêter ici pour le bien de mon enfant qui me rappelle au calme par des coups. Une dernière chose, elle dit et m’arrache un sourire. On sent le genre de personne qui conclut en cinquante phrases. Hadassah a hérité de Stella ce mauvais côté de croire qu’elle maîtrise tout. C’est-à-dire que tant que tout n’explose pas dans sa face et elle est dos au mur, elle n’ouvre pas la bouche, elle ne panique pas, elle reste stoïque, pourtant à l’intérieur elle a peur, elle est perdue, elle ressent l’injustice. Je regrette d’avoir quitté la France quand elle était si jeune, parce que moi présente, sois certain qu’on aurait évité pas mal de choses et on n’aurait pas parfois l’impression de traiter avec une adulte dans la trentaine plutôt qu’une ado. Je n’ai malheureusement pas de suggestions, mais fais ce que tu peux pour éviter qu’elle soit à nouveau exposée à cette famille d’enflures. Après cette année, ce sera le lycée et dans trois ans, elle embarquera dans un autre monde. C’est le seul moment qu’elle passera sous la protection parentale et elle mérite de mener une existence relativement tranquille, ne serait-ce que pour les trois ans à venir. Si tu as besoin de mon soutien, n’hésite même pas, elle termine sur un ton décidé comme si elle était prête à prendre les armes là si on le demandait.

— Merci de m’avoir expliqué la situation et compte-sur moi pour m’occuper pleinement de Hadassah.

Elle est si soulagée qu’à un moment, j’ai cru qu’elle verserait des larmes. Je l’aide à se relever et on retrouve les deux autres qui s’amusaient si bien qu’on aurait cru que notre arrivée les dérangeait. Bien sûr, je sors mon téléphone pour capturer ces moments, comme si je n’en avais pas assez déjà d’elle. 128 Gb que j’ai réussi à remplir entre les documents professionnels, moments en famille et mon obsession pour ma fille donc je vais m’envoyer quelques trucs par e-mail pour faire le ménage. Je n’ai rien regardé depuis qu’on a quitté Lomé donc j’ai une tonne de messages non lus, mais un en particulier retient mon attention. Il semble venir d’un cabinet d’avocat et ce dernier a essayé de me joindre à trois reprises. Je dois le lire quelques fois pour saisir le sens et rigole d’étonnement.

— Ça va chef? me ramène la voix de Hadassah.

Je prends du temps avant de lui confirmer que oui. Jennifer s’est pris un avocat qui cherche à connaître mes disponibilités pour qu’on s’entretienne sur la demande de divorce que sa cliente veut introduire? Je lis à nouveau les messages, juste pour m’assurer que mes yeux n’ont pas imaginé les mots.

— Eh…., t’es sûr que ça va? Hadassah à nouveau m’interpelle et cette fois me tient la main.

Je remets mon téléphone en poche, passe un bras autour de son épaule et lui embrasse la tempe avant qu’on reprenne la marche. Le soir, au lit, je donne mes disponibilités à son avocat après avoir supprimé tout ce qui la concerne dans mon téléphone. Je dors peu cette nuit là, parce qu’assailli par les questions à n’en plus finir. Comment quelqu’un qui a merdé se permet de demander le divorce comme si c’était moi la personne en faute? Sa réponse m’attendait en note vocale, le lendemain. Stella aussi s’excusait par message pour sa réaction de la veille. Je lui ai envoyé un Ok et réservé les messages de Jen pour les écouter une fois dans l’avion en direction d’Addis-Abeba.

— Chéri s’il te plaît, laisse-moi rentrer à la maison. Tout ça n’est qu’un gros malentendu, je t’assure. Tu te rappelles que j’étais mal en point à la période là hein. Elikem m’a annoncé la nouvelle comme si tu m’avais trompé et j’ai vu rouge Romy. Je te jure que si j’avais su, je n’aurais pas réagi ainsi. On a trop de gens entre nous chéri, ce n’est pas bon pour nous. Tu vois comment mon oncle et ma tante ont mal pris le fait que tu ramènes mes affaires ici, en plus de tes nombreux refus de nous voir, du coup c’est ma tante qui a fait le coup de l’avocat. Je ne sais même pas d’où….

— Tu m’as appelé Jenny? on entend la vieille dire dans la note vocale qui brusquement fin là.

Mais elle en a envoyé une seconde.

— Je n’ai pas envoyé cet avocat Romelio. Je ne veux pas divorcer, c’est un malentendu, je te le jure, elle dit d’une voix larmoyante. Pense à tout ce qu’on a sacrifié pour en arriver là. Quand nous étions tous les deux au Canada, on n’avait pas de problèmes. C’est le pays, l’entourage, ce n’est pas bon pour nous. On a besoin de s’éloigner un peu pour se retrouver. Ne permets pas à ceux qui doutaient de nous d’avoir le dernier mot mon amour. Ils n’attendent que notre séparation pour jubiler. Tu sais combien je t’aime. C’est toi et toi seul l’homme de ma vie et je suis prête à t’épauler pour tout. Je suis désolée pour la peine que je t’ai causée. Pense à comment j’ai tout bravé pour toi. Ta famille, ton rythme de vie avec le travail, j’ai tout supporté par amour. Je t’ai toujours suivi. Il n’y a que moi pour t’aimer avec tant de dévouement et je le ferai à jamais, c’est promis. Je t’aime.

Je me marre tellement que je n’arrive pas à trouver une réponse adéquate de Dar es-Salaam jusqu’à Addis-Abeba. Même pendant les deux heures que dure notre escale, je ne sais pas quoi lui répondre. Maintenant que je connais sa raison, j’aurais même préféré qu’elle le garde pour elle.

— Ça te dirait qu’on retourne cet été chez ta tante? je propose à Hadassah sur un coup de tête. Pour une raison inconnue, je me sens léger et heureux.

— On pourrait? elle s’illumine presque.

— Pourquoi pas? Il faudra coordonner avec maman pour ton retour à Arras, mais oui, j’aimerais qu’on y retourne.

— Mais tu pourras venir avec moi à Arras aussi? Ton travail sera d’accord pour que tu partes autant?

— On va s’arranger pour passer autant de temps que possible ensemble, je la rassure tout en câlinant sa tête. On pourra découvrir Zanzibar et choisir les endroits où j’emmènerai un jour ma femme.

— Ouais ça serait chouette! Je vais la rencontrer alors?

— Bientôt, je lui dis avec confiance.

Bien sûr, elle me rappelle les minutes suivantes qu’il ne faut pas annoncer à l’avance de bonnes nouvelles aux enfants. Les questions par-ci par-là. C’est son film qui la regardait finalement et je n’ai eu du répit qu’une fois madame satisfaite. Ce répit, je le mets à profit pour ôter mon alliance et la mettre dans ma poche. Ensuite je vais supprimer tous mes réseaux sociaux. Photos, même ses commentaires, je ne veux plus rien. J’en ouvrirai d’autres au besoin plus tard. S’il y a bien quelque chose qu’elle m’a confirmé, c’est qu’on ne s’est pas mariés pour les mêmes raisons. C’est moi le gros sentimental qui pensais accomplir ma destinée avec elle à mes côtés. C’est moi qui me calais sur des vieux principes pour justifier le port de mon alliance, les quelques affaires d’elle que j’avais encore à la maison, ainsi de suite. Je comptais même la lui accorder cette dernière discussion, une fois calme, pour éviter qu’on se blesse inutilement. Maintenant là, je me sens libre de tout lien. Même la bienséance ne me retient plus.

***Jennifer très bientôt Amouzou***

On ne peut jamais appeler Oyena et l’avoir du premier coup, pourtant j’ai besoin qu’elle mette la pression à cet incompétent d’avocat qu’elle m’a introduit pour qu’il me rembourse mon argent. C’est quoi ce service médiocre? On n’informe pas les gens qu’on a contacté leurs maris avant de le faire, ou même après l’avoir fait? Lui ne le fait qu’après avoir reçu la confirmation de Romelio et le pire, il ose m’envoyer un SMS pour m’en informer. Même pas un appel. Comme quoi, il est un peu pris. Toutes ses explications, c’est par SMS qu’il me les donne. Que non, il m’avait expliqué que le divorce le plus simple c’est celui à l’amiable, donc c’est normal qu’il entre en contact avec Romelio pour qu’on fixe une rencontre ensemble et en discute. Pourtant je n’ai pas souvenir qu’il m’avait expliqué la chose ainsi. Il m’a demandé mon certificat de naissance, de mariage et contrat de mariage si nous en avions. Je lui ai transmis mon certificat de naissance, expliquant que le reste était avec mon mari et regardez ce dans quoi il me met! J’avais même oublié que je l’avais rencontré ce type. Cette histoire commence à me prendre trop d’espace dans le cerveau. Voilà Khaya qui déambule avec son téléphone quand je suis déjà sur les nerfs. Je lui aurais arraché les yeux si elle ne m’avait pas expliqué que Romelio avait répondu. Ma situation est tellement honteuse. Bloquée par mon mari, je suis obligée d’utiliser le téléphone de mon employée pour communiquer avec lui. Elle gagne quand même par les unités que je lui fournis depuis là, donc je ne l’entends pas se plaindre. Je lui donne quelques directives et vais m’enfermer dans mon bureau en exigeant qu’on ne vienne pas me déranger.

— Merci de m’avoir rappelé que je devais penser à ce qu’on a sacrifié pour en arriver ici. Tu me rappelles que même ton petit doigt ne valait pas le tiers de ce que j’ai fait pour nous. Je préfère nettement être la risée de ma famille voire du pays que de t’ouvrir à nouveau les bras. J’ignore si c’est une malédiction que tu crois m’envoyer ou tu surévalues ton fameux amour pour te remonter le moral, mais les femmes aimantes et dévouées sont nombreuses dans ce monde. J’en ai connu avant toi. La seule chose que tu avais, contrairement à elles, c’était mon amour. J’en connaitrai encore et une d’entre elles aura mon amour. Ton avocat a déjà reçu mon emploi du temps. On se voit bientôt.

Ce n’est pas Romelio qui a écrit ça! Ce n’est pas lui. Romelio ne parle pas ainsi. Il respecte les femmes. Il déteste qu’on parle avec dédain aux femmes. Ça doit être Elikem. J’ai vu les photos de mariage sur les profils de Macy et Snam. Si ça se trouve, il est encore à Nairobi et la chienne a répondu à sa place comme elle cherche à mal me parler depuis.

— Je t’aime chéri. Je comprends ce que tu ressens, je suis prête à tout pour me faire pardonner. On va traverser ça ensemble, je suis là pour toi, je lui réponds une fois calme.

On ne m’y prendra plus. Je ne vais pas tomber dans un second piège et m’enflammer pour rien. Je manque de me fouler le pied en sortant en trombe du bureau, mais je reprends courage. D’abord, je dois me rendre à la banque. J’ai déjà dépensé environ 35 % de l’argent vidé sur notre compte commun, mais il appréciera mon effort. Je vais lui retourner 55 % et garder le reste pour mes besoins personnels. La semaine prochaine, les enfants reprennent l’école. Je pourrais enfin rencontrer Hadassah et gagner également son cœur. Romelio est à moi, point final. Je vais même mettre une magnifique photo de notre mariage où on se regarde avec tendresse en statut et rappelle aux rapaces qui planent sur nous que « Personne ne se mette entre ce que Dieu a uni ». Le tonnerre qui va localiser ceux qui essaieront sera terrible, c’est une parole bénie. Amen.

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