
122:Making plans
Write by Gioia
***Cédric Yafeu Asamoah***
Bérénice ne s’est pas
présentée à la soirée dansante, chose qui ne m’étonne pas. Elle n’a jamais été
une fêtarde, contrairement à Elikem qui n’a pas posé ses fesses de toute la
soirée hier. N’étant pas un grand danseur de nature, j’ai eu du mal à la suivre.
Tout ce que j’ai pu faire, c’est récupérer le bouquet que m’a lancé Dara et le
lui donner. Elle m’a visé, je le sais, on ne me fera pas croire le contraire. Je
n’étais même pas dans le groupe, mais le bouquet a atterri sur ma tête. À force
de danser avec elle, je me suis levé ce matin avec une érection plus raide que
le « boner » matinal. Comment elle se sent actuellement, c’est
la seule question qui m’a réveillé de si bonheur et je m’en vais de ce pas chercher
ma réponse parce qu’elle ainsi qu’une partie du groupe ont dormi chez moi. Je la
trouve errante dans ma cuisine dans une coiffure tellement défaite qu’on l’aurait
pris pour un fantôme. Elle sursaute quand je toque légèrement sur le mur.
— Qu’est-ce que
tu fiches là ?
— Dans ma maison,
tu veux dire ? je lui retourne sur un
ton amusé.
— Moins fort, mon
cerveau va exploser, elle dit d’une voix miséreuse tout en massant ses tempes.
— L’arachide n’aide
plus à cuver l’alcool ? je
continue sur le même ton.
Le regard assassin qu’elle
me lance me donne envie de l’enfoncer davantage, mais sa petite mine me fait
presque pitié donc je vais lui chercher de quoi la soulager.
— La prochaine fois,
tu écouteras quand on te dit qu’un poids plume n’est pas supposé descendre deux
bouteilles de Dom Pérignon, je lui rappelle pendant qu’elle avale les cachets.
— C’est toi qui m’as
porté pour savoir que je suis un poids plume ?
-69 kg c’est un
poids plume pour moi.
— N’importe quoi.
Selon le BMI mon mètre 64 est en surpoids avec ce po….attends, d’où tu
tires l’info sur mon poids toi ?
— Tes formes me l’ont
dit.
— N’importe quoi,
elle dit en secouant la tête.
Je lance la machine à café
et munis de nos tasses, elle me raconte avec passion les événements d’hier
comme si je n’y étais pas aussi.
— J’imagine
comment tu parleras de ton mariage si tu t’égosilles tant sur celui de ta sœur,
je commente entre deux phrases.
— Nah, zéro
mariage pour moi. Peut-être, je parlerai de mon bébé avec la même ferveur.
— Tu veux avoir
un enfant sans te marier ?
— Je sais pas
encore, j’ai regardé mes options pour l’adoption, mais c’est tellement
compliqué rien qu’à la lecture, elle soupire. Bref, parlons d’autre chose. Il
faut qu’on mette ton temps ici à profit pour monter un plan solide.
— Quel plan ça ?
— Le plan reconquête
Bérénice non ? Ne me dis pas que tu t’es
découragé juste à cause d’hier. Je te connais plus persévérant que ça.
— On parle du
plan plus tard. Finissons ce que tu me disais sur l’adoption, je dis avec un
sourire.
S’il y a une chose que
son séjour à Pretoria m’a apprise, c’est qu’elle se ferme comme une huitre dès
qu’on parle d’un sujet intime qui la touche. Mais pour se mêler de la vie sentimentale
des gens, en tout cas la mienne, fais-lui confiance.
— Il n’y a rien
sur l’adoption sinon que c’est compliqué. On t’informe déjà que les candidatures
des personnes célibataires seront étudiées avec plus de fermeté que les
couples. À vrai dire, j’ai pas vraiment envie d’attendre deux voire trois ans
avant d’avoir mon enfant. C’était pas mon idéal quoi, elle dit l’air absent.
Je n’ai pas besoin de
l’interroger pour comprendre que son idéal c’était probablement de fonder une famille
avec son fiancé. J’ai déjà compris et conclus que tout ce qu’elle prévoyait était
lié à lui et depuis sa disparition, elle patauge un peu dans la vie.
— L’autre option
serait de le faire toi-même, ça t’évite d’attendre, je lui propose la solution
évidente.
— Peut-être ce
que je dis va te sembler bizarre, mais je ne veux pas priver mon enfant d’un
père. Je me dis que l’enfant adopté saura déjà que je ne suis pas sa mère
biologique, donc ça l’affectera moins si je ne peux pas lui dire qui est son
père, comparé à un enfant que j’aurais conçu avec un sperme de donneur.
— Ce n’est pas
faux, mais je parlais de l’option la plus simple. Tu fais un enfant avec quelqu’un
que tu connais. Moi.
— Euh….,
Son air hébété m’aurait
fait fondre de rire dans d’autres circonstances, mais étant sérieux dans ma proposition
je tiens son regard.
— Je veux un
enfant aussi. C’est ce que je désire le plus depuis un moment. Ça règle ton
problème de père absent et tu n’as pas besoin d’attendre pour être mère.
Elle reste muette d’étonnement
donc je continue mon discours de persuasion.
— On adore les
enfants chez nous. Mes parents en ont eu douze dont je suis l’aîné, donc tu
peux garder l’esprit tranquille, il sera aimé surtout qu’il risque d’être le premier
petit-fils chez nous.
— DOUZE ? Elle s’écrie comme si elle venait d’enregistrer
l’information et m’arrache un sourire. Les gens sont toujours choqués quand ils
entendent ça.
— Dix dans les
faits si tu préfères. Ma mère a eu dix enfants et on a recueilli deux avec qui
on a grandi. Mon père considère qu’il n’y a pas plus grande richesse que d’être
entouré d’enfants.
— Il porte Abram
dans son nom pardon ? DIX ? Mince, mon entrejambe se serre rien qu’à l’idée
de dix grossesses, elle dit et croise si fort ses cuisses que je m’en marre.
— Dix c’est pas
si excessif hein. Son petit frère en a quinze d’une même femme, quoiqu’elle a
eu des grossesses gémellaires contrairement à ma mère.
— Et c’est avec des
antécédents familiaux si compliqués que tu me proposes d’être ta baby mama ? Jamainement !!!
— Hooo les
amoureux, y en a qui essaient de dormir ici, on entend une voix féminine aboyer
puis une porte se referme.
— Regarde le
comportement de quelqu’un dans la maison des gens, elle critique son amie Océane.
Je me garde de lui rappeler sa propre remarque quand je l’ai surpris en cuisine
et reprends mon argumentaire.
— Tu peux calmer
ton utérus. Les Asamoah ne m’ont pas transmis le gène de l’extrême fécondité. Quatre
me suffiront amplement.
— Tu sais quoi….je
ne t’en veux même pas hein. Quand tu sors de l’abondance à outrance, c’est normal
que quatre soit un compromis pour toi.
— Ce n’est pas raisonnable ? je demande confus.
— Quatreuh ? À 34 ans ? Je les fais quand et travaille à quel moment ? Ma mère a eu trois et avait commencé dans la
vingtaine. D’ailleurs, regarde comment on en discute comme si c’était une
éventualité plausible. Je ne sais pas pourquoi vous les hommes aimez tant les situations
risquées. Tu es amoureux d’une femme, mais tu proposes à une autre de porter
ton enfant. C’est comme ça que tu comptes reconquérir Bérénice ?
— Quand t’ai-je
dit que je comptais reconquérir Bérénice ?
— Pardon ? Tu veux me dire que je me brise les méninges à
t’encourager et trouver des solutions depuis des jours, tandis que toi tu t’en
fous royalement ? elle s’indigne.
Elle a fini son café
et crie un peu trop donc je la tire par la main pour qu’on aille dans le
jardin.
— Avant que tu ne
pètes une durite, je tiens à te rappeler que jamais tu ne m’as demandé si je voulais
la reconquérir. Tu as tiré tes conclusions toute seule parce que j’ai encore quelques
effets d’elle à Pretoria.
— Et je sais pas
moi…il ne t’est pas venu à l’esprit de me dire, « ne te donne pas tant de mal Elikem, je ne suis
pas si emballé que ça par l’idée de renouer avec mon ex ? », elle
pète quand même sa durite.
— Tu étais si
déterminée que je n’ai pas eu le cœur de te décourager.
— Non, c’était plus
amusant de te foutre de ma gueule en douce quoi, elle continue toujours remontée.
Je ne sais pas quoi
dire, la scène ne devrait pas m’amuser et pourtant.
— Je peux te
présenter les points positifs sans que tu ne me tombes dessus pour me frapper ?
— Tu n’es qu’un
gros con !
— OK madame.
— Je ne vais pas
faire d’enfant avec un gros con.
— Pourquoi ?
— Tu vas lui refiler
tes gènes.
— Ils balanceront
avec tes gènes de soularde qui tire des conclusions hâtives.
— Pfff !
— Une autre
raison ? je la relance avec
humour.
— Il passera la
majeure partie de ses premières années avec moi et, disons à ses quatre ans, on
fera moitié, elle me prend par surprise en acceptant si vite. Cette femme est
tellement déroutante Seigneur, elle va me rendre dingue, et le plus fou c’est
qu’elle semble toujours en colère.
— Il n’y aura pas
de moitié. Si on fait l’enfant ensemble, on est ensemble.
— C’est la force ? Je ne t’aime pas.
— Sentiments
partagés, mais hors de question que mon enfant mène une vie éclatée comme le
popcorn. La stabilité que je veux pour lui c’est une maison avec un père et une
mère présents autant que possible.
— Pour vivre en
harmonie avec quelqu’un, il faut avoir un minimum d’amour pour lui.
— Je suis très
aimable tu verras, je dis confiant.
— Tu ne cuisines
même pas, elle me fait remarquer et j’éclate de rire.
— C’est par le
ventre qu’on gagne ton cœur toi ?
— Non, mais tu ne
cuisines quand même pas.
— Ça n’empêche que
je reste très aimable.
— Qu’est-ce qu’il
y a d’aimable sur toi ?
— Plein de choses
que tu me diras de toi-même un jour.
— Pfff, en plus
tu es un vantard !
— Ce n’est pas de
la vantardise de connaître ses qualités.
N’ayant plus rien à rétorquer,
elle me regarde de travers.
— Je veux que tu emménages
avec moi.
— Oh doucement
hein, je n’ai pas dit que j’acceptais ta proposition farfelue. J’ai…j’ai besoin
de temps pour consulter avec mon…bref, j’ai besoin de réfléchir, elle annonce
et comme d’habitude, elle fuit.
Petit à petit, elle s’éloigne
d’une démarche chaloupée dans sa robe blanche en crochet dévoilant son dos
jusqu’à cette chute de reins que mes doigts passeront toute une nuit à
effleurer, bientôt peut-être. Je serais remonté dans ma chambre l’esprit serein
s’il s’agissait d’une autre femme, mais celle-ci est si accrochée à un autre
que j’en deviendrais presque jaloux. C’est une première pour moi d’être le second
et je déteste déjà.
***Elikem Akueson***
Je suis à Nyaho house
pour récupérer mon permis de travail, mais je ne peux m’empêcher de toucher mon
annulaire nu depuis cinq jours. J’ai ôté la bague de Ray depuis que Cédric a
inséré le poison dans mon esprit. J’ai essayé de lutter contre, mais je veux
vraiment un bébé. Passer du temps avec Solim a réveillé mon instinct maternel
si on peut le dire ainsi. Je sais qu’on ne fait pas un enfant pour combler un vide,
mais je ne peux pas être hypocrite. Je veux avoir un enfant d’abord pour moi, je
veux prendre soin de quelqu’un et lui transmettre ce que j’ai. J’en ai
tellement envie que depuis plus d’un an, j’ai étudié toutes mes options, sans le
partager avec quelqu’un, jusqu’à Cédric. Sa proposition, c’est presque l’équivalent
d’une bonne dose à un drogué. Je n’ai aucune envie de la refuser, sinon qu’elle
m’effraie. Considérer sa proposition tout en portant l’alliance me donnait l’impression
que je mélangeais Ray à nos conneries donc je l’ai ôté pour taire la voix coupable
qui m’accusait.
Il a fallu qu’on m’appelle
trois fois pour que je me lève et m’avance au comptoir de l’agent d’immigration.
Je présente ma lettre d’acceptation et environ une heure plus tard, je ressors
avec mon ID valide de deux ans. Le premier endroit vers lequel mes pieds me
conduisent, c’est la maison de Cédric. Son gardien me dirige vers le jardin où
il se trouve, nez devant ses deux ordis, comme d’hab quand il travaille.
— Alors, qu’est-ce
qui t’emmène de bon ?
— J’ai obtenu mon
permis de travail.
— Félicitations.
Tu commences quand alors ?
— Le plus tôt
possible, je suppose, il me faut juste avertir le recruteur. Ce n’est pas l’idéal
de prendre une grossesse au début d’un nouvel emploi, donc on peut essayer dans
six mois ? Ça te convient ?
— Tu es partante
alors ? il m’interroge surpris
comme si ce n’est pas lui qui m’a mis ça en tête.
— Tu ne veux plus ?
— Tu as ôté ton
alliance, il remarque quand ses yeux tombent sur mes mains que je cache sous la
table.
— Oui, c’est
mieux de ne pas mélanger les choses.
— Comment tu te
sens ?
— Bizarre, un peu
larguée et effrayée.
— Qu’est-ce qui t’effraie ?
— Toi, ça, et l’inconnu.
Il faut qu’on discute de comment ça sera. Si tu veux qu’on soit ensemble, où
vivra-t-on ? Dans mes projets, je devais
faire deux ans ici et retourner aux États-Unis, mais je ne suis pas calée sur
ça. J’ai d’autres plans aussi à Lomé.
— On peut
commencer ici et finir à Lomé par la suite, ça ne me dérange pas.
— OK, euh…et ta
compagnie ? Tu comptes toujours déplacer
ton usine de production ici ?
— Oui, d’où l’achat
de cette maison, mais ça ne sera pas avant deux voire trois ans.
— D’accord. Comment
tu vois l’éducation de l’enfant ? Je ne
suis pas portée sur le bâton comme punition.
— On avisera
quand il sera là, je peux te dire plein de choses, mais je n’ai jamais éduqué d’enfant
donc…
— Ouais bon, tu n’as
pas tort, je dis en me rappelant que je fais mon ultra préparée pourtant je n’en
ai jamais éduqué non plus.
Soudain, je sens une
main câliner mon dos. Au lieu qu’elle me fasse sursauter, je me sens
réconfortée.
— On aura neuf
mois en plus le temps de le concevoir pour apprendre le nécessaire, il me dit d’une
voix rassurante.
— Oui. En plus j’ai
ma mère, je dis avec un sourire en imaginant la réaction de cette dernière
lorsque je vais lui ramener cette nouvelle. Ma mère souffre avec une fille
comme moi pour être honnête. Et ta mère aussi, j’ajoute, me rappelant que je ne
suis pas seule dans cette aventure.
— On va garder ma
mère en dehors de ça pour le moment si tu veux qu’on y aille doucement.
— Elle ne nous en
voudra pas ? Je ne veux pas créer de disputes
inutiles.
— Non, elle a
assez à gérer actuellement.
— D’accord. Bon,
pour commencer, mon utérus ne va pas souffrir quatre fois. Supprimons déjà ça.
Je suis prête à en faire un et si l’expérience est concluante, un second, mais
l’enfant de Belle ferme son usine après ça.
— Commençons
comme tu dis et on verra, il répond avec un sourire qui ne me convainc pas. De
toute façon, ce sont ses yeux qui vont pleurer lorsque mon usine sera verrouillée.
Je vais prendre rendez-vous avec une clinique dès la semaine prochaine alors, je
reprends. Même si on ne va commencer que dans six mois, c’est mieux qu’on
comprenne le processus, nos chances et peut-être tu peux même fournir ton
sperme à l’avance, comme tu te déplaces souvent. Je pourrais le faire seule si
jamais tu n’es pas présent. On ne prendra pas de retard, qu’est-ce que tu en
penses ?
— Que tu rigoles,
il dit d’un air étonné. Qui va donner son sperme à l’avance ?
— Tu as déjà entendu
qu’on fait un enfant sans sperme toi ou…oh…, je murmure sur la fin, comprenant
là où son esprit était. On ne va pas coucher ensemble hein, non non, c’est comment ? C’est ce à quoi tu t’attendais ? Non, mais. Tu donnes ton sperme, je me fais
inséminer, fin de l’histoire.
— Aide-moi à
finir cette histoire. Je paie pour une procédure, me masturbe pour donner mon
sperme, tu prends tes hormones, te fais inséminer et le reste du temps qu’on
fait ensemble, tu penses qu’on fera quoi ? Apprendre
les comptines le temps que Malike (prononcé Maliké) naisse ?
— Malike ? je répète confuse.
— C’est le prénom
de notre bébé.
— Que qui a décidé
ça ?
— Malike, je l’ai
décidé. Il est unisexe, vient de ma langue et lié à ton prénom.
C’est mignon, j’avoue,
mais je ne tombe pas dedans. On a plus important à régler.
— On va passer du
temps ensemble, apprendre à devenir parents, c’est ce que tu avais proposé.
— Passer du temps
ensemble suppose se découvrir. N’importe qui sait qu’une activité sexuelle
régulière est bénéfique pour la mère et l’enfant tant que ton gynécologue ne le
déconseille pas.
— Bref, c’est pas
la force, je ne vais pas coucher avec toi, un point c’est tout ! Si tu veux ton enfant, on fait l’insémination.
— Si tu veux ton
enfant, viens chercher ton sperme à la source ! il rétorque et me cloue le bec par la même
occasion.
***Romelio Bemba***
Il faut souvent sortir
de son pays pour constater combien l’Afrique est réellement un continent rempli
de pays si différents. Je ne peux expliquer pourquoi je m’attendais à une ville
déserte, mais Dar es-Salaam est bien peuplée. Michelle, la tante de Hada réside
dans le nord de la ville à Mbezi beach assez proche du IMTU hospital où elle et
son mari travaillent. Elle comme infirmière et lui un médecin généraliste. On l’a
même trouvé enceinte, une grande surprise pour Hadassah qui est aux anges
depuis notre arrivée. À Nairobi, Snam m’avait fait la remarque à Nairobi que
Hadassah ferait une très bonne grande sœur vu la patience qu’elle démontrait
avec Solim. Ne pouvant pas lui en donner, je suis ravi qu’au moins sa tante puisse
lui donner des petits cousins. Notre quotidien depuis les trois jours qu’on
fait ici, c’est de découvrir les environs, se rendre à la plage non loin du
domicile de sa tante, sinon lorsque cette dernière le peut, aller au centre-ville
pour jouer les touristes, comme aujourd’hui. Du moins c’était le plan, avant
que Stella n’appelle alors qu’on s’apprêtait à sortir. Je l’ignorais depuis un
moment parce qu’elle me prenait la tête pour les cheveux de Hadassah. La
meilleure option qu’elle a trouvée c’est d’appeler sa sœur et demander à me
parler.
— Je serais
dehors, passe-lui le bonjour, j’annonce à Michelle et sors les attendre dans la
cour.
Va savoir si elle
croyait que cette méthode m’obligerait à rester au téléphone pour l’entendre me
rappeler ce qu’elle m’avait déjà écrit. À savoir que je n’ai absolument pas le
droit de changer la couleur des cheveux de sa fille sans son autorisation et qu’elle
se fera un plaisir de reprendre Hadassah si c’est ainsi que je compte la
récompenser de me la laisser. Des âneries que j’ai lues en rigolant de
dérision.
— Eh ! C’est quoi ma responsabilité dedans ? Je dois lui enfoncer le téléphone dans l’oreille ? vocifère Michelle.
— Tu as raison ! Je suis bien contente qu’elle soit avec quelqu’un
qui pense à son bien-être, cheveux ou pas. Au moins, il l’a emmené ici ! Depuis quand tu me promets que ma nièce
viendra me visiter et jamais je ne la vois ? Mais pour
l’envoyer chez cette bande de rapaces que tu appelles belle-famille, tu ne
manques jamais à l’appel ! elle aboie
de plus belle.
J’entre et fais signe
à Hadassah de me suivre avant que cette discussion ne tourne au vinaigre. On connaît
assez bien la route jusqu’à la petite plage non loin du domicile et avant de s’y
rendre, je lui propose qu’on s’arrête pour se prendre une glace pour découvrir
son visage inondé de larmes qu’elle cachait. Je fouille dans mes poches, retourne
la lisière de la casquette et nettoie les traces de larmes sur ses joues.
— Je veux pas que
maman et tata Mie se fâchent à cause de moi, elle hoquète.
— Elles ne sont
pas fâchées à cause de toi chérie.
— Si, elle
hoquète de plus belle au point que ses épaules se soulèvent par la force de sa
respiration.
Je m’abaisse à son
niveau et elle entoure mon cou de ses bras. Vu qu’elle ne pèse rien pour moi,
je me relève avec elle qui crie au passage.
— Tu ne vas pas
tomber, je te tiens.
— Mais c’est gênant
papa, se plaint-elle, les gens vont nous regarder bizarrement, pose-moi. Je
suis vieille !
Je la dépose avant qu’elle
ne me tape une grosse crise. Madame la vieille rajuste sa casquette et reprend
la marche. Les larmes ne sont plus qu’une ancienne histoire.
— Tu viens alors ? elle me hèle carrément.
A-t-elle conscience qu’elle
vient de m’appeler papa ? Peut-être
pas, pourtant moi j’en suis encore troublé. Je la rejoins, on se prend nos
glaces et pendant qu’on regagne la plage, j’essaie de la distraire avec des anecdotes
sur mon enfance pour qu’elle ne songe pas trop à la dispute entre Stella et sa sœur.
Dispute qui n’était même pas finie à notre retour, pourtant nous avons brûlé
près d’une heure dehors. Je m’en suis assuré, espérant qu’au retour Michelle
serait plus calme, mais non. C’est le retour de son mari quelques minutes après
nous qui a apaisé les tensions et mit fin à l’appel. Cet homme m’a confirmé que
dans un couple, il faut de temps en temps un calme pour ramener l’ordre. Comme
cette journée était notre avant-dernière ici, il a réussi à nous convaincre de
faire un dernier tour en ville, histoire qu’on se quitte sur une meilleure
note. Nous avons fini la journée par une randonnée à Oyster Bay durant laquelle
Michelle a demandé qu’on se parle. On s’est donc assis sur les bancs en bordure
de mer tandis que son mari et Hadassah continuaient à longer la jetée.
— J’aimerais qu’on
discute de Hadassah. Quels sont tes plans en ce qui la concerne ?
— Qu’entends-tu
par plans ?
— Comment ça ? Plans non ? elle rétorque sur un ton abrupt.
— Tu me demandes
clairement ce que tu veux. Le mot plan englobe beaucoup.
— Je veux savoir
si tu comptes la reconnaître bientôt.
— C’est avec ta sœur
que j’en parlerai et si tu veux tant savoir, je t’invite à en discuter avec
elle.
— À quoi tu joues
au juste ? Tu es dans quel camp
finalement ?
— Il n’y a qu’un
seul camp ici Michelle. Celui de Hadassah. Je n’ai pas besoin d’en choisir un
autre ou même de le nommer. Ce que je ne ferai pas en revanche, c’est entrer
dans un jeu où on se fait des confidences pour qu’à l’avenir, ta sœur me
ressorte une connerie. Je ne suis pas son ami et encore moins le tien. Tu m’as
reçu chez toi avec courtoisie donc je te l’ai retourné. Si tu veux continuer
avec agressivité, on va s’arrêter ici sur le champ.
— Désolée, elle
soupire longuement, je suis à cran après la discussion avec Stella. Ce n’est
pas elle qui m’envoie en mission. Ma sœur n’est pas comme ça. Je suppose qu’elle
n’est pas un sucre d’orge avec toi, mais je t’assure que dans le fond, elle n’a
rien contre toi. C’est juste qu’elle doit gérer tant de choses que parfois elle
se mélange. Bref, je suppose que ça doit sonner comme des excuses à tes
oreilles.
— Un peu oui, je
confirme et elle soupire à nouveau tout en câlinant son ventre.
— Avant de fermer
la page des excuses, je tenais à t’en présenter de formelles pour ne pas l’avoir
ramené à la raison quand j’ai découvert que tu étais le vrai père de Hadassah. Stella
elle…, bref désolée.
— J’apprécie, je
dis sincère qu’elle le reconnaisse. Sa propre sœur ne l’a jamais fait et même
si ça ne change pas les circonstances, j’apprécie réellement.
— Le pourquoi je
te demande ce que tu comptes faire de Hadassah, c’est surtout parce que je
voulais que tu te mettes entre elle et les Muamini. Stella n’est pas une
mauvaise mère ! Elle fait
de son mieux, mais elle a tendance à ne pas accepter que sa belle-famille s’applique
activement à rappeler à Hadassah qu’elle n’est pas des leurs. De l’abominable
grand-mère qui achète les pyjamas aux enfants pour noël tout en oubliant
sciemment Hada, à Fréjus, le mongol qui se dit frère d’Etienne. Tu ne peux pas
le rater lorsque tu le croiseras. Il ressemble à un criquet qui marche avec son
cou mince comme un spaghetti là, bref ! Lui,
sa femme et leurs diablotins d’enfants détestent le fait que Hadassah soit la
potentielle et surtout unique héritière d’Etienne. On croirait même que leur
frère fait partie des millionnaires français quand tu vois comment ils traitent
la petite avec mépris. Bref, je vais m’arrêter ici pour le bien de mon enfant
qui me rappelle au calme par des coups. Une dernière chose, elle dit et m’arrache
un sourire. On sent le genre de personne qui conclut en cinquante phrases. Hadassah
a hérité de Stella ce mauvais côté de croire qu’elle maîtrise tout. C’est-à-dire
que tant que tout n’explose pas dans sa face et elle est dos au mur, elle n’ouvre
pas la bouche, elle ne panique pas, elle reste stoïque, pourtant à l’intérieur
elle a peur, elle est perdue, elle ressent l’injustice. Je regrette d’avoir quitté
la France quand elle était si jeune, parce que moi présente, sois certain qu’on
aurait évité pas mal de choses et on n’aurait pas parfois l’impression de traiter
avec une adulte dans la trentaine plutôt qu’une ado. Je n’ai malheureusement
pas de suggestions, mais fais ce que tu peux pour éviter qu’elle soit à nouveau
exposée à cette famille d’enflures. Après cette année, ce sera le lycée et dans
trois ans, elle embarquera dans un autre monde. C’est le seul moment qu’elle
passera sous la protection parentale et elle mérite de mener une existence relativement
tranquille, ne serait-ce que pour les trois ans à venir. Si tu as besoin de mon
soutien, n’hésite même pas, elle termine sur un ton décidé comme si elle était
prête à prendre les armes là si on le demandait.
— Merci de m’avoir
expliqué la situation et compte-sur moi pour m’occuper pleinement de Hadassah.
Elle est si soulagée
qu’à un moment, j’ai cru qu’elle verserait des larmes. Je l’aide à se relever
et on retrouve les deux autres qui s’amusaient si bien qu’on aurait cru que
notre arrivée les dérangeait. Bien sûr, je sors mon téléphone pour capturer ces
moments, comme si je n’en avais pas assez déjà d’elle. 128 Gb que j’ai
réussi à remplir entre les documents professionnels, moments en famille et mon
obsession pour ma fille donc je vais m’envoyer quelques trucs par e-mail pour faire
le ménage. Je n’ai rien regardé depuis qu’on a quitté Lomé donc j’ai une tonne
de messages non lus, mais un en particulier retient mon attention. Il semble
venir d’un cabinet d’avocat et ce dernier a essayé de me joindre à trois
reprises. Je dois le lire quelques fois pour saisir le sens et rigole d’étonnement.
— Ça va chef ? me ramène la voix de Hadassah.
Je prends du temps
avant de lui confirmer que oui. Jennifer s’est pris un avocat qui cherche à
connaître mes disponibilités pour qu’on s’entretienne sur la demande de divorce
que sa cliente veut introduire ? Je lis
à nouveau les messages, juste pour m’assurer que mes yeux n’ont pas imaginé les
mots.
— Eh…., t’es sûr
que ça va ? Hadassah à nouveau m’interpelle
et cette fois me tient la main.
Je remets mon
téléphone en poche, passe un bras autour de son épaule et lui embrasse la tempe
avant qu’on reprenne la marche. Le soir, au lit, je donne mes disponibilités à son
avocat après avoir supprimé tout ce qui la concerne dans mon téléphone. Je dors
peu cette nuit là, parce qu’assailli par les questions à n’en plus finir. Comment
quelqu’un qui a merdé se permet de demander le divorce comme si c’était moi la
personne en faute ? Sa
réponse m’attendait en note vocale, le lendemain. Stella aussi s’excusait par
message pour sa réaction de la veille. Je lui ai envoyé un Ok et réservé les messages
de Jen pour les écouter une fois dans l’avion en direction d’Addis-Abeba.
— Chéri s’il te
plaît, laisse-moi rentrer à la maison. Tout ça n’est qu’un gros malentendu, je
t’assure. Tu te rappelles que j’étais mal en point à la période là hein. Elikem
m’a annoncé la nouvelle comme si tu m’avais trompé et j’ai vu rouge Romy. Je te
jure que si j’avais su, je n’aurais pas réagi ainsi. On a trop de gens entre
nous chéri, ce n’est pas bon pour nous. Tu vois comment mon oncle et ma tante
ont mal pris le fait que tu ramènes mes affaires ici, en plus de tes nombreux
refus de nous voir, du coup c’est ma tante qui a fait le coup de l’avocat. Je
ne sais même pas d’où….
— Tu m’as appelé
Jenny ? on entend la vieille dire
dans la note vocale qui brusquement fin là.
Mais elle en a envoyé
une seconde.
— Je n’ai pas
envoyé cet avocat Romelio. Je ne veux pas divorcer, c’est un malentendu, je te
le jure, elle dit d’une voix larmoyante. Pense à tout ce qu’on a sacrifié pour
en arriver là. Quand nous étions tous les deux au Canada, on n’avait pas de problèmes.
C’est le pays, l’entourage, ce n’est pas bon pour nous. On a besoin de s’éloigner
un peu pour se retrouver. Ne permets pas à ceux qui doutaient de nous d’avoir
le dernier mot mon amour. Ils n’attendent que notre séparation pour jubiler. Tu
sais combien je t’aime. C’est toi et toi seul l’homme de ma vie et je suis
prête à t’épauler pour tout. Je suis désolée pour la peine que je t’ai causée. Pense
à comment j’ai tout bravé pour toi. Ta famille, ton rythme de vie avec le
travail, j’ai tout supporté par amour. Je t’ai toujours suivi. Il n’y a que moi
pour t’aimer avec tant de dévouement et je le ferai à jamais, c’est promis. Je
t’aime.
Je me marre tellement
que je n’arrive pas à trouver une réponse adéquate de Dar es-Salaam jusqu’à
Addis-Abeba. Même pendant les deux heures que dure notre escale, je ne sais pas
quoi lui répondre. Maintenant que je connais sa raison, j’aurais même préféré
qu’elle le garde pour elle.
— Ça te dirait qu’on
retourne cet été chez ta tante ? je
propose à Hadassah sur un coup de tête. Pour une raison inconnue, je me sens léger
et heureux.
— On pourrait ? elle s’illumine presque.
— Pourquoi pas ? Il faudra coordonner avec maman pour ton retour
à Arras, mais oui, j’aimerais qu’on y retourne.
— Mais tu pourras
venir avec moi à Arras aussi ? Ton travail
sera d’accord pour que tu partes autant ?
— On va s’arranger
pour passer autant de temps que possible ensemble, je la rassure tout en
câlinant sa tête. On pourra découvrir Zanzibar et choisir les endroits où j’emmènerai
un jour ma femme.
— Ouais ça serait
chouette ! Je vais la rencontrer
alors ?
— Bientôt, je lui
dis avec confiance.
Bien sûr, elle me
rappelle les minutes suivantes qu’il ne faut pas annoncer à l’avance de bonnes
nouvelles aux enfants. Les questions par-ci par-là. C’est son film qui la
regardait finalement et je n’ai eu du répit qu’une fois madame satisfaite. Ce
répit, je le mets à profit pour ôter mon alliance et la mettre dans ma poche.
Ensuite je vais supprimer tous mes réseaux sociaux. Photos, même ses commentaires,
je ne veux plus rien. J’en ouvrirai d’autres au besoin plus tard. S’il y a bien
quelque chose qu’elle m’a confirmé, c’est qu’on ne s’est pas mariés pour les
mêmes raisons. C’est moi le gros sentimental qui pensais accomplir ma destinée
avec elle à mes côtés. C’est moi qui me calais sur des vieux principes pour justifier
le port de mon alliance, les quelques affaires d’elle que j’avais encore à la
maison, ainsi de suite. Je comptais même la lui accorder cette dernière
discussion, une fois calme, pour éviter qu’on se blesse inutilement. Maintenant
là, je me sens libre de tout lien. Même la bienséance ne me retient plus.
***Jennifer très
bientôt Amouzou***
On ne peut jamais
appeler Oyena et l’avoir du premier coup, pourtant j’ai besoin qu’elle mette la
pression à cet incompétent d’avocat qu’elle m’a introduit pour qu’il me
rembourse mon argent. C’est quoi ce service médiocre ? On n’informe pas les gens qu’on a contacté leurs
maris avant de le faire, ou même après l’avoir fait ? Lui ne le fait qu’après avoir reçu la
confirmation de Romelio et le pire, il ose m’envoyer un SMS pour m’en informer.
Même pas un appel. Comme quoi, il est un peu pris. Toutes ses explications, c’est
par SMS qu’il me les donne. Que non, il m’avait expliqué que le divorce le plus
simple c’est celui à l’amiable, donc c’est normal qu’il entre en contact avec
Romelio pour qu’on fixe une rencontre ensemble et en discute. Pourtant je n’ai
pas souvenir qu’il m’avait expliqué la chose ainsi. Il m’a demandé mon
certificat de naissance, de mariage et contrat de mariage si nous en avions. Je
lui ai transmis mon certificat de naissance, expliquant que le reste était avec
mon mari et regardez ce dans quoi il me met ! J’avais même oublié que je l’avais rencontré
ce type. Cette histoire commence à me prendre trop d’espace dans le cerveau.
Voilà Khaya qui déambule avec son téléphone quand je suis déjà sur les nerfs.
Je lui aurais arraché les yeux si elle ne m’avait pas expliqué que Romelio avait
répondu. Ma situation est tellement honteuse. Bloquée par mon mari, je suis
obligée d’utiliser le téléphone de mon employée pour communiquer avec lui. Elle
gagne quand même par les unités que je lui fournis depuis là, donc je ne l’entends
pas se plaindre. Je lui donne quelques directives et vais m’enfermer dans mon
bureau en exigeant qu’on ne vienne pas me déranger.
— Merci de m’avoir
rappelé que je devais penser à ce qu’on a sacrifié pour en arriver ici. Tu me
rappelles que même ton petit doigt ne valait pas le tiers de ce que j’ai fait
pour nous. Je préfère nettement être la risée de ma famille voire du pays que de
t’ouvrir à nouveau les bras. J’ignore si c’est une malédiction que tu crois m’envoyer
ou tu surévalues ton fameux amour pour te remonter le moral, mais les femmes
aimantes et dévouées sont nombreuses dans ce monde. J’en ai connu avant toi. La
seule chose que tu avais, contrairement à elles, c’était mon amour. J’en
connaitrai encore et une d’entre elles aura mon amour. Ton avocat a déjà reçu
mon emploi du temps. On se voit bientôt.
Ce n’est pas Romelio
qui a écrit ça ! Ce n’est
pas lui. Romelio ne parle pas ainsi. Il respecte les femmes. Il déteste qu’on
parle avec dédain aux femmes. Ça doit être Elikem. J’ai vu les photos de mariage
sur les profils de Macy et Snam. Si ça se trouve, il est encore à Nairobi et la
chienne a répondu à sa place comme elle cherche à mal me parler depuis.
— Je t’aime chéri.
Je comprends ce que tu ressens, je suis prête à tout pour me faire pardonner.
On va traverser ça ensemble, je suis là pour toi, je lui réponds une fois
calme.
On ne m’y prendra plus. Je ne vais pas tomber dans un second piège et m’enflammer pour rien. Je manque de me fouler le pied en sortant en trombe du bureau, mais je reprends courage. D’abord, je dois me rendre à la banque. J’ai déjà dépensé environ 35 % de l’argent vidé sur notre compte commun, mais il appréciera mon effort. Je vais lui retourner 55 % et garder le reste pour mes besoins personnels. La semaine prochaine, les enfants reprennent l’école. Je pourrais enfin rencontrer Hadassah et gagner également son cœur. Romelio est à moi, point final. Je vais même mettre une magnifique photo de notre mariage où on se regarde avec tendresse en statut et rappelle aux rapaces qui planent sur nous que « Personne ne se mette entre ce que Dieu a uni ». Le tonnerre qui va localiser ceux qui essaieront sera terrible, c’est une parole bénie. Amen.