
130: Une St Valentin Mémorable
Write by Gioia
***Deborah Nicol***
Je n’ai jamais reçu de
fleurs pour la St Valentin. Siaka, mon défunt mari n’était pas un amoureux très
expressif et je ne croyais même pas en l’amour avant de le connaître donc on
s’est accepté ainsi. Techniquement, cet immense bouquet de fleurs couleur pêche
m’attendait à l’école depuis le 13. On me l’aurait fait livrer après mon
départ, mais je l’ai trouvé sur la table de mon bureau temporaire le 14, donc
je considère que c’est un cadeau de St Valentin venant de je ne sais qui. La
carte qui l’accompagne ne fait mention d’aucun nom et la signature m’est
inconnue. Vu le type de journée qu’on aura, j’apprécie qu’elle commence sur une
note si agréable. Les jours précédents ont été un ramassis de rencontres,
discussions et décisions difficiles à prendre. Ses caméras de surveillance ont
été tellement révélatrices qu’aujourd’hui je me félicite d’avoir suivi le
conseil de Nan Chantal. Certains professeurs que j’ai vus dans des postures
douteuses avec des élèves seront renvoyés. J’aurais en réalité renvoyé tous
ceux que je trouvais suspects, mais comme me l’a fait remarquer le directeur,
trouver des remplaçants en plein trimestre n’est pas chose aisée. Il faudra
compter une période d’adaptation entre les nouveaux et les élèves. Ensuite la
dernière chose qu’on veut, c’est une horde de parents en colère si jamais les
résultats scolaires de leurs enfants se voyaient affectés après le changement.
Bref, je ne suis pas dans la position la plus facile, mais j’ai connu pire
comme situation depuis que je travaille au TRA.
La première chose à
faire, c’est de rédiger le discours annonçant aux élèves le report des
différents concours. Nos téléphones aussi ne cessent de sonner. La majorité des
appels viennent des parents qui ont entendu de leurs enfants les rumeurs
concernant la classe de la petite Hadassah et d’autres infos complètement
fausses. Ça serait donc gauche de se lancer maintenant dans une série de
réjouissances. Le besoin immédiat, c’est de réinstaurer l’ordre dans
l’établissement et calmer les inquiétudes parentales. Le discours est fait. Le
directeur me confirme qu’il a fait passer le mot. Les cours prendront fin
quinze minutes plus tôt et toute l’école se rassemblera au rez-de-chaussée, sur
la place à cet effet, afin que je puisse délivrer mon message. Je commence à
rencontrer les professeurs suspects dans une vingtaine de minutes et en début
d’après-midi, les parents des élèves concernés dans l’affaire se présenteront à
ma demande.
***Jennifer Bembastique***
Il y a du grabuge à
n’en plus finir ici et je n’ai aucune idée de ce qui se passe, merci à ma
tante. Jérémie qui l’accompagnait au supermarché il y a quelques jours, est
rentré tendu et me l’a dénoncé tandis que la concernée calait sur le fait
qu’elle a vu une vieille faire du rentre-dedans à Romelio. Son fils lui a
expliqué que la dame n’était autre que la fondatrice de l’école, mais ma tante
ne démordait tellement pas qu’il m’a fallu lui révéler la présence de Hadassah
pour lui expliquer le pourquoi Romelio pourrait être en compagnie d’elle. Dans
la foulée, j’avais oublié la présence de Jérémie dans la pièce et à l’heure
actuelle, le petit monsieur dit qu’il est fâché contre moi. Apparemment,
j’aurais dû lui dire que Hadassah était la fille de Romelio par principe.
J’ignore ce qu’un gosse de 14 ans veut m’apprendre sur les principes, mais bref,
depuis il est silencieux quand je l’interroge sur ce qui se passe dans sa
classe. De l’autre côté, j’ai ma tante qui ne démord pas concernant la pauvre
Deborah. Le fait que j’ai annoncé un peu tôt ma réconciliation avec Romelio et
que ce dernier ne vienne pas me chercher la conforte dans l’idée qu’il y a
anguille sous roche. L’anguille pour elle serait Deborah, une vieille qui
approche la quarantaine. Oui, une vieille, un peu de la même catégorie que ma
tante. Bon j’exagère, mais elle est plus âgée que nous quoi. Je ne la juge pas
honnêtement, c’est la famille de mon amie, mais elle est mince et carrée comme
euh…un carré. Les hanches sont droites, le derrière bah il n’y a rien. Je l’ai
déjà vu en jean et jupe. Rien du tout. C’est tout plat. Il y a un peu de
poitrine devant, mais selon mon observation, c’est le genre de poitrine qui a
connu de meilleurs jours. Maintenant que j’y pense, elle a la même forme que
Hadassah, même si la petite au moins a des hanches féminines malgré sa délicate
stature. Pour une vieille, elle est vraiment bien hein, mais ça reste une
vieille quoi et je ne vois pas quel homme dans la fleur de l’âge trouverait
d’attirant chez une dame âgée. Quel que soit l’angle sur lequel on analyse la
théorie de ma tante, elle reste farfelue. Même s’il devait me quitter, la
logique c’est qu’on part de 10 vers 15 non ?
Romelio qui bande tellement sur mes formes ferait quoi chez quelqu’un qui n’a
rien de spécial en dehors d’une jolie chevelure pour son âge ? Bref, j’ai envoyé un cadeau à Deborah pour m’excuser
du comportement de ma tante et le sujet de l’heure c’est qu’il y a du remue-ménage
à l’école. Il y a trente de minutes de ça, on assistait à un défilé de voitures
devant l’école dont celle de Romelio. Pendant que je supervise l’équipe, un de
mes employés traîne un peu aux étages inférieurs avec la consigne de me
renseigner dès qu’il verra mon mari sortir du bureau de la fondatrice.
Quelques minutes avant
le début du service, il est de retour et m’informe que la fondatrice demande à
me rencontrer quand nous aurons fini de nous occuper des élèves. C’est
apparemment l’assistant du directeur qui lui aurait transmis la requête tandis
que Mme Nicol était avec les parents d’élèves. Je repasse me faire une beauté
avant de descendre comme prévu. On ne sait jamais. Il se peut que Romelio soit
sur place ou qu’elle veuille me remercier de vive voix pour avoir levé l’ombre
sur les manigances qui se déroulaient dans son école. J’en profiterai pour
demander une augmentation.
– Journée chargée
hein, je commence dès qu’elle m’invite à la suivre dans son bureau.
— Heureusement, elle
finit bientôt, elle répond avec un petit sourire. Alors, je voulais te voir
pour qu’on se parle de ton contrat.
— Merveilleux, je
dis excitée et croise les pieds. Mais avant, il y a du nouveau concernant Hadassah ?
— Oui. J’aurais
appris de quelques élèves que tu lui faisais des faveurs ?
— Oui ? je confirme d’une voix hésitante, ne
comprenant pas en quoi ça répondait à ma question.
— Le directeur m’a
également confirmé que jamais vous n’avez discuté de ça et jamais il n’a validé
cette initiative.
—OK? Je dois valider avec
le directeur si je décide de faire plaisir à mon enfant?
— Oui madame.
Enfant ou pas, Hadassah est une élève comme les autres ici et une fois qu’elle
franchit le pas de cet établissement, elle est sous notre responsabilité. Tout ce
qui lui est servi par la cantine, le traitement qu’elle reçoit de ses
professeurs, tout absolument tout doit recevoir l’approbation de l’école, parce
qu’en cas de problème, la plainte est portée à nous.
— D’accord, je ne
vois toujours pas le problème, je n’ai porté plainte nulle part, je dis agacée
qu’on tourne en rond pour je ne sais quelle raison.
— Il n’est pas
question de plainte, mais tu as outrepassé tes fonctions ce qui a indirectement
un climat conflictuel entre les élèves. C’est fâcheux et je le regrette, mais
vu ce qu’on traverse, nous avons dû prendre la difficile décision de mettre fin
à ton contrat. Bien évidemment, tu….
— Pardon, j’ai du
mal comprendre ? je l’interromps
assommée par ses mots.
— Comme je
disais, ce n’est pas de gaieté de cœur que nous sommes arrivés à cette décision
et j’ai également ajouté dans l’enveloppe, une lettre de référence pour l’avenir,
elle me dit sur un ton compatissant après avoir poussé devant moi une enveloppe
kaki.
— Mettre fin à
mon contrat parce que je n’ai pas demandé votre permission pour faire du bien à
ma fille ? Non mais vous vous
entendez ? C’est…c’est quoi cette
histoire à la con ? Je suis
chez quelqu’un ici ?
— Jennifer il….
— Où est le
directeur ? Je veux lui parler !
— Renseignez-vous
auprès de la secrétaire. En ce qui me concerne, je vous souhaite bonne chance
pour la suite.
C’est sur un long
juron que je sors de son bureau après avoir ramassé l’enveloppe. La secrétaire qui
a reçu le gène de sorcellerie de sa fondatrice m’informe que le directeur ne
sera disponible que dans quatre jours ! Elle a
même refusé quand j’ai insisté qu’elle l’appelle pour lui expliquer que la
requête vient d’une employée. Il ne me reste plus qu’à régler la chose avec
Oyena parce qu’ils se foutent le doigt dans l’œil s’ils pensent que je vais
attendre pendant quatre jours. Avant de l’appeler, il me faut lire ce que dit
même cette foutue lettre. Je rejoins mon équipe qui s’apprêtait à démarrer pour
retourner au Snack. Une lettre remplie de mauvaise foi ! Qu’est-ce que le noir gagne à bloquer l’avancement
de son prochain ? Non
seulement on me licencie, mais ce renvoi prend effet aujourd’hui. Comment elle
compte nourrir ses élèves la gourde ? Si ça
se trouve, elle cherchait des remplaçants depuis un moment, pourtant elle me
souriait quand on se croisait.
En plus de cette mauvaise
nouvelle, c’est une Yasmine très agitée que je trouve au Snack. Elle s’avance
dès qu’elle me voit entrer.
— Qu’est-ce que
tu as dit à ton mari concernant mon enfant ? elle m’aborde
sur un ton belliqueux.
— Qu’est-ce que j’ai
dit comment ? Tu vois bien que je
viens d’arriver non ?
— Jennifer ne
joue pas avec moi ! elle répond
et sans perdre une seconde se jette sur mon col. Qu’est-ce que tu as dit à cet
homme pour qu’il s’en prenne à Amaya ? elle tente
de me secouer bien que les intervenants, mes employés essaient de nous séparer.
— Tu perds la tête
ma parole, je m’écrie après m’être dégagée.
— C’est demain
que je vais te montrer comment je perds la tête si tu ne t’appliques pas ce
soir pour bien baiser ton mari et lui sortir du cerveau les conneries que tu
lui as racontées concernant mon enfant ! Je te
laisse le restant de cette journée et pas une minute de plus pour qu’on réintègre
Amaya à l’école, elle me met en garde et m’ignore carrément pour répondre à un
coup de fil.
— Quoi ? elle aboie en guise de réponse.
-…..
— Et toi tu m’appelles
en larmes au lieu de supplier ton père pour qu’il laisse ta sœur ? Gemma tu me sers à quoi ? elle sanglote d’une voix enragée.
-…..
— Va appeler les
gens dans le quartier ! J’arrive !
— ….
— Gemma ne m’énerve
pas que « papa a dit que ». D’ailleurs que je trouve dans la maison
ou que je vois des marques sur ta sœur à mon arrivée et tu comprendras ta
douleur ! Ce soir, c’est ton délai ! Elle m’assène avant de sortir en trombe et
bouscule ma tante qui faisait son entrée.
Cette dernière me
regarde bouche bée.
— Je dis, c’est
Yasmine qui vient de passer ça ?
Ayant également perdu
ma langue, je n’ai même pas pu répondre. Je vais m’enfermer dans mon bureau à
faire les tours et j’essaie de me calmer parce qu’actuellement, c’est le tourbillon
dans mon esprit. Je peux dire adieu à Romelio si elle lui parle de la stupide
idée qu’elle m’a recommandé sur la procréation assistée l’an dernier. Le pire c’est
qu’on était si proches l’an dernier elle et moi que je n’ai plus souvenir de
tout ce qu’on s’est dit. Peut-être que je lui ai révélé pire ? Je panique et j’essaie de l’appeler en vain.
La seule chose qui me vient, c’est ce que je détiens sur elle, donc je lui
retourne la balle.
— Je me suis
déplacée exprès chez toi Yasmine pour interroger Amaya. Je lui ai donné la
chance d’avouer, mais elle a préféré jouer à la grande. En quoi suis-je
responsable du mauvais comportement de ta fille ? Tu penses que Romelio a besoin que je lui
souffle une idée pour agir ? Au lieu
de demander qu’on trouve un terrain d’entente, tu viens me menacer ? Appelle-moi.
— Je n’ai rien à
te dire ! Va sucer ton mari et
sort de son cerveau tout ce qui concerne ma fille ! elle me retourne.
— OK, il ne
faudra pas venir pleurer chez moi, je lui réponds, dégoûtée par l’idée que j’ai.
Elle m’appelle sans
tarder, donc je n’ai pas le choix que de lui lancer la pierre déjà polie pour
elle.
— Avant de m’aligner
les insultes, sache qu’Océane, la belle-fille de ta sœur fréquente un de mes
proches. Je peux très bien l’informer que tu essaies de l’envoûter pour la
dégager de la vie de son père, avec des preuves à l’appui sans me mouiller. On
peut jouer à ce jeu et voir qui en sortira vainqueur, je lui sors mon meilleur
jeu et elle rigole comme une détraquée.
— Jouons ma
chérie, je suis la personne adéquate pour toi. Cours sur tes jambes arquées
pour me dénoncer et après ? Qu’est-ce
que j’ai à perdre comparé à toi ? Tu auras
qui comme témoin pour corroborer ta version des faits ? Parce qu’oublie si tu comptes sur le type que
tu m’as envoyé. Il est occupé à me chauffer la chatte depuis son arrivée.
— En fait tu n’es
qu’une sale garce, tu n’as même pas de dignité, je murmure choquée et révoltée.
— La sale garce
indigne te réitère qu’elle te laisse jusqu’à demain pour que ton mari enlève sa
bouche de la vie d’Amaya ! Le
reste je n’en ai rien à foutre ! Dénonce-moi
au pays si tu veux imbécile. En passant, tu oublies mon numéro désormais et ton
argent aussi, elle conclut sur ça et raccroche.
— Enfoirée ! Je m’écrie d’une voix tremblante.
La majorité de mes
revenus vient de mon contrat de restauration à l’école. Le Snack bien que beau
et cosy reçoit moins de monde depuis la fin de mon émission culinaire. Je n’étais
pas payée une blinde comme animatrice, mais la visibilité que m’offrait cette
chaîne portait beaucoup le Snack. Puisque j’ai retourné à Romelio une bonne
partie de nos économies, je n’aurais plus rien sur quoi compter si on me renvoie
réellement. Il me faut des conseils donc je m’en vais chez Eben avec ma tante qui
était de passage normalement parce que Jérémie a demandé qu’elle passe le chercher
plus tôt que d’habitude. Tout au long du trajet, elle ne cesse de me griller
concernant Yasmine, mais je tiens ferme. Comme je ne veux pas la mettre dans la
confidence concernant le contrat de restauration, je lui donne une raison bidon
pour qu’elle patiente dans la voiture tandis que je vais voir Eben que j’avais
prévenu avant de sortir du Snack. La première chose que je fais c’est de foncer
dans ses bras dès qu’il m’ouvre.
— Qu’est-ce qui
se passe ?
— Mon monde s’écroule,
je dis apeurée. J’ai…, je vais peut-être me retrouver au chômage et…
Un coup à la porte
nous interrompt. On se sépare après qu’il ait autorisé la personne à entrer et
à ma grande surprise, c’est Océane dont le sourire disparait quand elle me
voit. Je me retourne vers celui que j’appelle ami qui me dévisage comme s’il
était gêné et à nouveau je regarde celle qui entre dans son bureau tout en m’ignorant.
— Je venais juste
te déposer ceci, elle dit après avoir laissé une sorte d’enveloppe sur son
bureau, l’embrasse sur la bouche, essuie ladite bouche avec son pouce et sort
tout ça sans m’accorder un regard.
Je fixe tellement la
porte qu’elle a fermée qu’il doit toussoter pour que je ramène mon regard sur
lui.
— Wow, je commence
sur un ton dérisoire. Si je comprends bien, tu étais là quand cette femme m’a
dénigré et dans mon dos….
— Non je t’arrête
de suite. Ce n’est pas dans ton dos que…
— Tu m’arrêtes
sur quoi Eben ? je
vocifère. C’est devant mon torse que tu as repris avec elle alors ? Puisque tu veux me dire que ce n’est pas dans
mon dos. Une femme qui m’a limite craché dessus ! On a fait la même classe ! Le même banc pendant trois ans ! études, récré, on était toujours collé ! À se soutenir, s’entraider ! C’est avec une femme qui m’a ouvertement
humilié que tu décides de t’allier, pour m’humilier davantage quoi. Je vois ce
que je représente pour toi.
— Jennifer, tu es
mon amie. J’ai toujours honoré et respecté notre amitié. La preuve étant que
les années et même la distance géographique n’ont pas réussi à nous éloigner. J’ai
été présent du mieux que je pouvais pour toi et à mon niveau ça ne risque pas de
changer. C’est bien parce que tu comptes pour moi que je t’ai présenté à cette femme.
Toutefois, j’ai 35 ans. Ce n’est pas à mon âge que je vais me mettre à choisir
des camps. Tu sais très bien qu’il y a des nuances dans le tableau que tu veux
peindre. La première nuance étant que vos problèmes sont plus vieux que ma
relation avec elle. Je reconnais qu’elle s’est mal comportée quand je te l’ai
emmené et même si ça te semble tiré par les cheveux, j’ai choisi de ne pas
parler directement de notre réconciliation espérant qu’en laissant un peu de
temps s’écouler, tu trouverais la chose plus tolérable. L’autre nuance c’est
que je l’aime cette femme. Je suis le premier à reconnaître ses défauts et c’est
avec joie que je pourrais vous aider à enterrer la hache de guerre si tu le
souhaites.
— Wow, je fais sidérée.
On peut donc me rouler dessus quoi, c’est rien. Tant que tu es amoureux, tout
baigne.
Il ne se dérange même
pas pour commenter.
Je rigole carrément et
secoue la tête. Si ça se trouve, ils étaient de retour ensemble quand je
donnais bêtement l’argent à Yasmine pour qu’on l’évince. De l’argent qu’elle ne
compte même pas me rembourser et…
— Je sais que tu
es fâchée, mais tu étais là pour me parler de quelque chose avant qu’elle n’entre ? Qu’est-ce qui se passe ? il reprend sur un ton soucieux.
Je lui présente la
lettre de l’école qu’il lit pendant que je lui explique ce qui s’est passé.
— Tu as une copie
de ton offre d’embauche ?
— Pas sur moi
non.
— Tu peux me la
faire parvenir le plus tôt possible ?
— Ce soir même. Je
vais chercher mon neveu à l’école et je te la ramène. Je pourrais retourner à l’école
demain ?
— Pour travailler
non, puisque tu as reçu ta lettre de renvoi.
— Mais je la conteste ! C’est pas pour ça que tu veux mon contrat d’embauche ?
— Oui. Enfin, je ne
suis pas expert en affaires, mais je vais demander conseil à un ami. Seulement,
l’établissement appartient à ton employeur et tant qu’il ne sera pas revenu sur
sa décision, tu ne peux pas t’imposer.
— Mais depuis
quand on renvoie si rapidement ? On ne
donne pas de délai aux gens ? À la
limite un avertissement ? C’est
tellement con leur truc que je ne comprends pas.
— Bon tout dépend
de ce qui a été stipulé dans ton offre. Comme dans la lettre, il est mention
que ta faute représente un manquement aux obligations de ton contrat, il nous
faut passer ton offre au peigne fin pour s’assurer qu’on n’abuse pas de toi.
— Et dans le pire
des cas ? Si vous ne trouvez rien ? J’accepte mes indemnités et c’est la fin ?
— On verra ce que
te recommande l’avocat, mais ne soyons pas directement défaitistes. Apporte le
contrat et on commence par là.
C’est sur un OK résigné
que je me lève et m’excuse avec l’intention de m’en aller.
— Au fait, il y a
une amie du nom de Yasmine qui m’a escroqué de l’argent pour que je découvre
par la suite grâce à une employée qu’elle comptait s’en servir pour envoûter
Océane.
— Euh ? il fait confus.
— Elle m’a
demandé de l’aide, tout ce qu’il y a de plus banal pour aider sa famille. C’est
à mon employée qu’elle a confié ses réelles intentions après une soirée arrosée
et cette dernière me l’a rapportée sans savoir que je connais Océane. D’ailleurs
j’ignorais le lien entre les deux jusqu’à ce que mon employée me raconte l’histoire
pour m’avertir que mon amie ne comptait pas me rembourser. C’est parce que j’ai
reconnu le nom de famille d’Océane que j’ai su qu’il s’agissait d’elle.
— Attends, tu m’as
envoyé loin là. Tu dis quoi ? C’est
qui cette Yasmine ?
— Demande à Océane.
Elle saura de qui je parle, je termine sur ça et m’en vais.
Je ne vais pas mâcher
la bouffe pour le nourrir non plus. Il a déjà choisi son Océane donc qu’il se
débrouille avec ça. Au moins, Yasmine ne bouffera pas mon argent gratis. Khaya est
l’employée dans mon scénario. Je vais lui donner cette avance de salaire qu’elle
a demandé pour qu’elle joue son rôle, mais je reste dégoûtée.
Encore une fois, ma
tante me cuisine fort du cabinet d’Eben jusqu’à l’école. Elle ne lâche pas l’affaire
bien que je réponde par monosyllabes. Nous arrivons à l’avance à l’école,
pourtant Jérémie sort avant l’heure de fin des classes.
— C’est un ami
qui m’a dit qu’il a vu depuis la fenêtre la voiture de tata, il nous informe après
que sa mère lui ait demandé ce qu’il faisait ici.
— Et tu sors de
classe pour ça ?
— Non hein. On a
fini plus tôt aujourd’hui. On est même en train de se rassembler pour le discours
de la fondatrice. Ça risque de saigner tout à l’heure. On a mis la main sur la
bande de toqués qui s’amusait à faire écrire des conneries sur le bureau de
Hadassah. Devinez un peu qui faisait partie de ce groupe.
— La fille de
Yasmine non.
— Ha ? Comment tu as fait ? Jérémie, étonné demande à sa mère.
— Dès que tu as
ramené cette histoire à la maison, je l’ai suspecté. Je t’ai bien dit de ne pas
marcher avec elle ou pas ? J’espère
pour toi qu’on n’a pas attaché ton nom à ça.
— Jamais on ne
collera mon nom à des nullités pareilles. Toi aussi tu n’es pas étonnée tata. Tu
t’en doutais ?
— Non. Tu as dit
qu’il s’agissait d’un groupe ?
— Oui. Un groupe
de petits merdeux dont deux membres venaient de notre classe. L’écervelée d’Amaya
et une autre inconsciente qui a supplié Hadassah en larmes de plaider sa cause
chez la fondatrice. C’est elle qui nous a un peu éclairés sur l’histoire parce
qu’Amaya n’est même pas revenue en classe après son passage chez la fondatrice.
Sa mère est venue ramasser son sac et depuis on ne sait rien. Selon la
pleurnicharde, le père de Poppy a proposé qu’on règle l’affaire par une
punition corporelle et ceux qui ont refusé comme les parents d’Amaya ont pris
la suspension d’un mois.
— Un mois même n’est
pas suffisant. Il fallait étendre ça sur le trimestre en entier.
— Oh maman, on
est au début du trimestre. Si tu loupes le trimestre en entier, elles sont de
combien les chances de passer en classe supérieure ?
— Tes camarades
ne savaient pas ça avant de faire des bêtises ? Qu’est-ce qui les a même poussés à faire ça ?
— Ce ne sont pas
les bêtises des filles pfff ! C’est
surtout pour ça que l’implication de Maya m’énerve. On était potes et dans
notre dos elle essayait d’intégrer le cercle de Poppy Jamila Wanke. C’est une
fille de première qui se prenait pour la reine de l’école parce que
mademoiselle est liée à la famille de la fondatrice. Dès la rentrée, Maya n’avait
que son nom en bouche. Poppy par ci oh, le papa de Poppy est le directeur de l’Insao
ah, sa grand-mère est l’ancienne ministre Raïssa Wanke, bref des infos inutiles
que seule Maya trouvait intéressantes. Apparemment, l’intérêt pour Poppy aurait
baissé quand Thema est rentrée de Nairobi. Dommage pour eux, ils se sont rendu
compte que ce n’est pas si évident d’approcher Thema. En tout cas, impossible
quand tu n’es pas connue de Hadassah qui énervait depuis que tu as commencé à
lui faire des repas persos. La pleurnicharde nous a dit qu’afin d’intégrer le
club de Poppy, il leur fallait emmener aussi Thema. Oui j’ai dit club, vous avez
bien entendu, il dit sur un ton exaspéré. C’est ainsi qu’elle et Maya ont eu la
brillantissime idée d’écrire des conneries sur le bureau de Hadassah avec l’idée
que cette dernière se méfierait de toute la classe du coup son amitié avec Thema
en prendrait un coup.
— Elles devaient
même être renvoyées pour l’année entière ! s’indigne
ma tante.
— Ah, la pleurnicharde
a juré qu’elle et Maya ont simplement écrit ce que leur disaient Poppy, son
cousin et un autre con qui aurait eu une altercation bête avec Hadassah.
— C’est facile de
condamner les gens qui ne sont pas présents pour se défendre, je dis.
— C’est clair. En
tout cas, la classe est divisée à l’heure actuelle. La majorité a conseillé à
Hadassah de ne pas intervenir. La minorité a pitié de la pleurnicharde parce qu’en
vrai elle fait pitié. On a tout fait pour qu’elle arrête de pleurer. Les profs l’ont
même mis à la porte, mais elle n’arrive pas à se contenir. Elle ne cesse de
clamer que ses parents vont la tuer dès qu’elle rentrera.
— C’est encore
mieux qu’on la tue. Elle ne risquera pas de reprendre, achève ma tante.
Un de ses copains le
texte et il nous abandonne pour retourner dans l’enceinte de l’établissement. Pendant
qu’on patiente qu’ils sortent, un homme suivi de quelques militaires nous
dépassent et entrent dans l’école. La voix de Deborah nous parvient par la
suite. Dans un discours éloquent qui contraste avec la noirceur de son âme,
elle leur parle brièvement de l’affaire en cours et met un accent sur ce que représente
l’intimidation ainsi que les dangers qui y sont liés. Elle adresse également
les valeurs ainsi que la vision de son établissement et précise qu’ils ont des
psys à disposition de ceux qui ressentent de parler. Pour finir, elle annonce
que le report des différents concours, conclut et c’est le directeur Douti qui
prend la parole par la suite. Son intervention est plus sèche et accusatrice
que celle de Deborah. Je n’en crois pas mes oreilles quand on entend le premier
cri.
— Oh on les
frappe ? m’interroge ma tante.
Je m’avance, mais le
gardien refuse de nous laisser entrer, prétextant qu’on ne peut plus le faire.
Il nous faut attendre la sonnerie de fin puisqu’on n’est pas entré avant le
début du discours. Des cris, des larmes, des supplications, c’est ce qu’on a
entendu pendant une dizaine de minutes. Jérémie paraît frappé d’effroi à sa
sortie.
— On t’a touché ? Jeje, qu’est-ce qu’il y a ? ma tante et moi l’interrogeons affolées.
— Les…les mimimilitaiiress
dududu papa de…de Poppy…ils…ils ont fefessé Poppy et…et…son coucousin….dededevant
nous….et…et le papa de Poppy…c’est….c’est lui…lui qui a….exigé ça.
— Ça c’est un
père ! se réjouit ma tante
comme si c’était le moment.
Je prends Jérémie qui
est toujours saisi par la peur et l’emmène en voiture. Les autres élèves n’ont pas
une meilleure apparence. Certains pleurent carrément.
— Il ne faut pas
être sage à l’école hein. Attends, je dois même prendre le numéro de ce
monsieur, ma tante continue de jubiler et menacer en douce Jérémie qui n’est toujours
pas revenu parmi nous.
C’est Hadassah que j’attends
pour ma part, donc dès que je l’aperçois, je m’élance, mais je me fais stopper
par une voix que je reconnaîtrai entre mille. Romelio d’une démarche assurée s’approche
et la petite me devance en allant s’écraser dans ses bras. Elle reçoit même un
bisou dans les cheveux et va s’installer dans sa voiture. Au moins, il se
rapproche de moi. Je croise fort mes doigts que Yasmine n’ait pas déjà tout
gâché.
— Bonsoir mon
fils, s’annonce ma tante juste pour nous gâcher le moment quoi.
— Tu peux nous
donner une seconde tata, je lui demande en mettant assez d’insistance dans mon
ton pour qu’elle comprenne qu’elle n’a pas le choix.
Elle s’engouffre dans
mon véhicule et même si les gens déambulent de part et d’autre autour de nous,
j’ai l’impression qu’on est seuls dans notre bulle.
— Je te laisse
une dernière chance pour ton bien, il commence avant que je puisse prononcer
son nom sous l’effet de l’émotion. On peut mettre tranquillement fin à cette
mascarade, sans se prendre la tête, ou dès demain, j’entame des démarches pour obtenir
une injonction d’éloignement contre ta tante et toi.
— De…de…enfin de
quoi..tu parles ?
— Je parle du fait
que tu aies approché mon enfant par des méthodes perfides pour des raisons que
toi seule connais et…
— Je voulais
juste…
— Et je m’en
fiche. Tes raisons m’importent peu. Ce qui m’intéresse c’est ce que je compte
te faire pour avoir osé. En six mois je pourrais obtenir cette injonction et par
la même occasion introduire une demande de divorce en ajoutant à mon dossier
les évènements qui m’ont poussé à demander cette mesure. Ou on peut s’entendre
sur un divorce à l’amiable, sans dépenser inutilement en frais d’avocats et j’oublierai
que tu t’es approchée de ma fille sans mon consentement.
C’est pour ça que je
me bats ? C’est pour ce type que depuis
des mois je multiplie mensonges, dors mal, sursaute dès qu’on m’interroge sur mon
mariage, conçois des plans rocambolesques, me réjouis, pleure, tombe malade ? C’est pour ce type qui me poignarde dans le cœur
un jour de St Valentin après 17 h en public de surcroît ?
— Pourquoi tu m’as
embrassé ? je demande, juste pour m’assurer
que je n’ai pas rêvé tout ce qu’il vient de me dire.
— N’est-ce pas ce
que tu voulais, il ironise avec un regard dérisoire. J’attends une réponse à ma
proposition.
Regarde le laid comme
un moucheron avec sa face aux traits durs. C’est ma tante qui avait raison. Il faisait
bel et bien du rentre-dedans à la vieille branche. Tout est clair maintenant. Son
corps a peut-être flanché quand j’étais dans la voiture mais son cœur est
devenu aussi noir que celui du diable. Il veut me faire du mal et c’est certain
que la vieille branche sèche de Deborah se venge sur moi à sa demande. C’est
lui qui a certainement demandé qu’on me renvoie. Sinon il n’aurait pas profité
du jour où je me retrouve potentiellement sur la paille pour ramener son fichu
divorce sur le tapis, sachant que je ne peux plus me permettre de régler des
lourds honoraires d’avocat. Il se sert du cuir dent pour couper mes entrées d’argent
afin de mieux me faire souffrir quoi, mais jamais je ne leur donnerai cette joie.
— Tu n’as pas ton
papier de divorce sur toi déjà là ? Je
suis prête à signer. Il me tarde de reprendre Amouzou.
— Tu l’auras sous
peu dans ce cas, il répond et s’en va.
Je me vois lui faire
plein de trucs comme ôter mes chaussures pour lui marteler le crâne, ou lui
lancer des pierres, mais je garde ma fierté. C’est tout ce qui me reste. Doucement,
malgré le cœur brisé, je retourne à mon véhicule.
— Les plans de St
Valentin duraient hein, commente ma tante sur un ton appréciatif.
— Est-ce que le
mariage c’est une fin en soi ma tante ?
— Hein ?
— Ne me parle plus
de la St Valentin. Je n’ai pas trouvé de roi digne de la reine que je suis.
— Tout ça, c’est
toujours la fête des amoureux ? elle
répète comme si je ne venais pas de le lui interdire.
Pourquoi s’époumoner à
lui expliquer de toute façon ? Je m’occupe
de ma couronne. C’est ce que je me répète à la maison, bien que durant ma
douche, je pleure toutes les larmes de mon corps. Dieu merci, ma tante me donne
mon espace pour aujourd’hui. Romelio m’a vraiment brisé. Et le plus drôle c’est
qu’il est fier de lui. Qui est fier de faire du mal à quelqu’un qu’il a aimé ? Ce que je sais en tout cas, c’est qu’il ne se
débarrassera pas de moi. Je ne serais peut-être plus sa femme, mais on verra si
c’est facile d’entamer une relation avec une autre quand ton ex est bien
présente dans ta vie. Je suis après tout l’amie d’Oyena. Et je sais qu’il n’aimera
personne comme moi. Je serais tellement présente qu’il ne pourra pas m’oublier,
mais jamais je ne lui redonnerai de chance. Pas après ce par quoi je suis
passée avec lui. Je suis belle, les hommes pullulent à Lomé même si je sais que
je n’aimerais aucun comme Romelio. Le vrai amour, celui qu’on a partagé ne se
rencontre qu’une fois. Que ça lui plaise ou non, j’ai été la seule capable de
lui faire ressentir autant d’amour au point qu’il brave tout. Je resterai son
unique amour ! On va voir s’il pourra
jouer la mascarade avec sa vieille bique quand ma présence lui rappellera l’authenticité
qu’on a connu.
Message du numéro un du
FMM : Fighto notre queen and more! J’ai déjà nettoyé ta couronne avec l’huile.
P.S : Pour ceux
qui seraient perdus, Poppy c’est la fille de Hamza Wanke, un des fils de Raïssa
donc frère aîné de Hadeya. Sa mère c’est Ortencia, la sœur aînée d’Oyena et
belle-sœur de Deborah. Ainsi s’achève le mariage de Jennifer et Romelio. On
passe de mariée à amie, ça ne fait rien. Poutine est passé de président à Premier
ministre dans ce pays. Glissez et tombez pour celles qui danseront. C’était
quand même le seul mariage intéressant.