148: Les no names plus a baby and most

Write by Gioia

***Romelio Bemba***

Peut-on considérer ce que j’ai fait là comme le mur? Parce qu’Hadassah me croit dans ma chambre pendant que je me gare non loin de la crèmerie Akato Plage comme indiqué par Mini et l’avertit par message de mon arrivée. Une quinzaine de minutes plus tard, je souris bêtement en la voyant arriver.

— Quelque chose me dit que tu dormais, je la taquine une fois qu’elle est à ma hauteur et elle se marre.

– Même pas. Je t’ai fait poireauter?

— Énormément, j’ai failli m’endormir ici, je continue à la taquiner.

— Mais là, tu as quitté la maison plus tôt que prévu?

— Non je blague. On entre dans la voiture ou on marche?

— Suis-moi, elle me dit et s’avance vers la crèmerie.

Voilà qu’on m’offre de la glace.

— Tu n’as droit qu’à quatre boules pardon, je suis au chômage.

— Compris maman, je réplique avec humour et elle me tire la langue de façon adorable. Alors et ta journée?

— Booouuhhh, elle soupire, je ne veux pas gâcher l’ambiance donc parlons de la tienne. Elle est plus intéressante de toute façon.

— Et pourquoi la mienne serait plus intéressante? je lui demande curieusement amusé par sa réflexion.

— Bah tu as plus de stabilité que moi. Tu as une fille et en plus une ado donc c’est sûr que les débats intéressants sont d’actualité chez toi.

— Si tu considères que recevoir ses conseils sur ma vie privée sont des débats intéressants oui.

— Haha, pardon je veux savoir, tu as éveillé ma curiosité.

— Les enfants, je dis avec humour en secouant la tête. Hier matin, elle me montre des photos qu’elle a prises de notre week-end et plus on avance, plus je me rends compte qu’elle s’attarde souvent sur celles d’une femme. Elle croit, j’insiste sur la croyance, elle croit la jouer fine en me disant que c’est une amie des Asamoah très sympa, ingénieur logiciel de 32 ans, bref, tu comprends qu’elle a fait ses recherches.

— Une petite préparée, elle commente amusée.

— Je lui demande donc ce qu’elle me veut avec ses informations et elle me retourne sur un ton effronté, si elle doit tout faire pour moi.

— Haha, ce n’est pas l’effronterie, c’est la complicité.

— C’est ça. Cette complicité lui a valu une belle punition d’une semaine et elle me boude sous prétexte qu’elle voulait juste m’aider.

-Bouuuuuhhh, je te boude aussi. Tu n’es pas reconnaissant, elle rigole.

— Concentrez-vous sur vos vies, je réplique sur le même ton.

— Elle n’a pas de vie sans son papa chéri, comprends la. C’est ton unique enfant.

—Yep.

— Je la comprends très bien ayant grandi seule avec mes parents, mais j’ai quand même grandi avec quelques copines du quartier qui sont restées mes amies malgré la distance.

— Idem, je suis enfant unique aussi, mais les cousines et Elikem, la mariée de la semaine dernière est ma compagne de galère depuis l’enfance.

— C’était une belle mariée hein, on a passé un week-end magique avec eux.

— Ouais, tu n’imagines pas à quel point on attendait ce moment dans la famille. Te revoir a élevé le week-end pour moi.

— Pour moi aussi, elle répond tout en jouant avec le bout de son tissage qui lui arrive sur le ventre.

Nous avons fini nos glaces donc on retourne à la voiture.

— Tu veux que je te ramène? je demande comme elle bâille.

— Je n’en ai pas envie, elle dit et me fait sourire parce qu’elle baille à nouveau.

— Je te ramène, on pourra se voir demain de toute façon.

— Dis que tu veux me jeter plutôt oui, elle dit en se triturant les yeux.

— Je vais te jeter dans ton lit oui. Où se trouve la maison de ton cousin?

— Oh c’est pas la peine, je peux m’y rendre à pied.

— Tu n’as pas intérêt à bouger tes fesses de là. Je te ramène, un point c’est tout.

—Tchieuu, bossy much? elle rigole. (C’est quelle autorité ça?)

— Blâme-le sur le fait que je sois père, je dois te voir entrer avant de partir, je rigole aussi.

***Mini Attiba***

Par la gauche, je lui indique et en une dizaine de minutes, nous sommes devant le portail de Bruce.

— C’est toute cette marche que tu t’es tapée pour venir à la crèmerie? J’aurais pu passer te prendre.

— Pardon, ne débarque pas sans prévenir juste parce que tu connais chez lui.

— Ne me dis pas que tu as menti sur ton âge.

— Oh, je ris aux éclats, c’est quoi cette idée? Je ressemble à une mineure moi? 

— Pourquoi tu refuses que je vienne te chercher dans ce cas?

— Tu répondrais quoi à mon cousin s’il te demande à quel titre tu viens me chercher?

— Ton ami? Tu n’as pas le droit d’en avoir?

— C’est un peu compliqué pour que je t’explique ce soir, mais sache juste que je préfère garder ma vie privée même si j’apprécie mon cousin.

— Soit, je respecte ton choix.

— Merci, je dis soulagée et je fais exprès de détacher lentement ma ceinture, espérant qu’il se décide.

Il descend aussi, et s’adosse à sa voiture.

— Alors euh…, bonne nuit?

— Un câlin est permis au moins?

Mon cœur s’allume à cette phrase. J’attendais un contact, même le plus infime depuis que j’ai vu son message m’indiquant qu’il quittait sa maison. En un pas, je suis dans ses bras. Il sent si frais et chaud, ce sont les seules qualifications que m’évoque son parfum. Il me recouvre entièrement donc, mon menton repose sur son épaule. Quand il se détache, nos joues se frottent et ce que je n’espérais plus se passe. Sa bouche effleure ma joue, mes lèvres dans un bisou discret pourtant il est si sensuel. Croyant qu’il allait se tenir à ça, je vais moi-même chercher le genre de baiser qu’il m’a fait miroiter quand sa bouche me trouve en chemin. On se découvre avec passion, nos langues s’emmêlent et nos saveurs de glace se mélangent. Nos corps se rapprochent davantage, mon esprit commence à nous dévêtir et c’est à ce moment qu’il détache doucement sa bouche de la mienne.

— J’espère que tu dormiras mieux que moi ce soir, il murmure d’une voix rauque en me câlinant la joue.

Je n’ai même pas les mots. Comme un robot je hoche la tête et rentre. Comment un baiser peut exciter au point que mes tétons soient bien visibles malgré le soutif que j’ai en dessous de mon t-shirt léger? Une toilette intime à l’eau froide s’impose pour bien dormir.

On garde cette routine toute la semaine. Il arrive vers 21 h 45, l’heure à laquelle Bruce et Jennifer sont couchés ou au salon devant la télé. Comme Jennifer sait que je tourne des vidéos la nuit, personne ne passe me chercher quand je rase les murs pour sortir par l’arrière. On se voit à la crèmerie même s’il refuse que je lui offre d’autres glaces et généralement vers 22 h 30, il me reconduit au portail et parfois il me redonne les baisers enivrants dont il a le secret. Les fois où il ne m’embrasse pas, on se câline quand même, mais ce qu’on fait régulièrement et qui embellit mes journées, c’est qu’on discute. On discute de tout et de rien. Le troisième soir, il a même apporté un jeu de société et nous avons un pari en cours. Il m’offre un exutoire à ma propre vie. En journée, je m’occupe essentiellement des préparatifs du baby shower ou je me prends la tête avec l’impatience concernant ma situation professionnelle, mais dès que la journée se couche, je sais avec confiance qu’il arrivera à me faire changer d’idée. Pour ça seulement, j’adore sa compagnie. Le hic en revanche, c’est qu’avec nos rencontres, j’ai négligé ma chaîne YouTube pourtant c’est de ce revenu que j’arrive à m’en sortir, donc c’est avec peine que je lui ai expliqué par message ce matin qu’on ne pourra pas se voir ce soir. Le lendemain, je dois à contrecœur lui renvoyer le même message parce que je n’ai pas fini d’éditer hier.

— Tout va bien? il me texte vers 14 h.

— Je vais aussi bien que quelqu’un qui lutte avec une guirlande de ballons depuis la matinée.

— C’est déjà l’heure du baby shower?

– Jour J-3.

— OK, je suppose que je ne suis pas invité comme tu préfères me cacher comme un vilain secret?

— Lol, tu n’es pas un vilain secret Lio, mais oui, je préfère te garder caché pour avoir tout ton temps.

— Le temps que je passe seul là?

— Regarde comment tu parles comme si je t’ai délaissé depuis un mois.

-48h aujourd’hui, c’est long quand tu m’as habitué à te voir au quotidien, mais c’est pour la bonne cause. Trouve le moyen de glisser mon prénom dans les choix des futurs parents.

— Hahaha, tu es fou. Ils attendent une fille normalement, donc dommage pour toi.

— Normalement?

— La femme de mon cousin veut une fille. Je pense qu’ils sauront bientôt.

— C’est tout le mal que je lui souhaite alors. Je te laisse avec la guirlande. N’essaie pas de me blâmer si jamais tu ne réussis pas à la monter.

« C’est comme ça qu’un copain encourage sa meuf? », j’ai tellement envie de lui envoyer ça, mais je me retiens. On n’utilise pas de titre, d’ailleurs on ne fait que se voir, discuter et s’embrasser de temps en temps, donc je ne veux pas trop m’avancer.

— Prends-soin de toi et j’ai hâte de te revoir quand tu auras du temps, il m’envoie et fait trembler la résolution à laquelle j’essaie de m’accrocher.

Je lui envoie juste un Smiley qui embrasse en réponse. Allez, on reprend avec cette guirlande. J’ai confirmé à la décoratrice que je pourrais m’en occuper.

Jour J-1 du baby shower, j’ai une rencontre avec Sia au magazine Source donc j’y vais avec tous mes espoirs. Les éloges dont elle me couvre me font rougir, mais pas autant que le montage final du week-end des Asamoah.

— Écoute, je dois le redire, tu m’as sauvé la mise. Je ne comprenais même pas ce que madame Asamoah attendait concrètement quand elle est venue me voir, mais tu as réussi à délivrer Girl, ils sont aux anges et le highlight qu’on a mis en ligne a augmenté le trafic sur nos plateformes sociales.

—Thank you so much. Il faut dire que l’équipe m’a facilité la tâche par leur coopération aussi. Pour des vidéographes uniquement habitués à des shootings, ils se sont très vite adaptés à mes instructions et bien sûr, ta team de production a tout déchiré, je confirme les yeux remplis d’étoiles.

— Let’s say, c’est un super travail d’équipe alors. Voici, elle dit et me pousse un chèque. A bonus for you, elle s’explique.

— Oh….merci, je dis surprise parce qu’elle m’avait versé la dernière tranche au retour du Ghana. As-tu une seconde pour qu’on reparle de ma proposition? je choisis d’introduire.

— Yeah, ça tombe bien que tu l’adresses, parce que j’ai besoin de quelqu’un pour transcrire le contenu.

— Quel genre de contenu?

— Scolaire, professionnel et lifestyle, je m’explique. Le but du magazine c’est principalement d’exposer les jeunes africains francophones aux inspirations de leur continent. J’ai donc commencé par la grosse rubrique Focus professionnelle sous forme d’interview filmée et quelques sections rassemblant des conseils d’apprentissage scolaire, d’orientation, ainsi de suite. À travers les éditions, j’ai découvert avec les retours que notre public s’intéressait aussi à la vie privée de certaines inspirations donc j’ai ajouté une autre rubrique importante « Catching up with » pour mettre en lumière un heureux événement ou accomplissement. Il y a eu le mariage d’Océane Ajavon Tountian et le prochain « Catching up with » sera sur Cédric Asamoah, celui qui a gracié notre première couverture, seulement, elle soupire, je n’ai plus le temps d’être impliquée à fond dans mon magazine. Je pensais qu’étudier à distance c’était une question de trois heures avant le coucher…

Je l’interromps par un rire qu’elle partage en secouant la tête.

— Yeah, je ne sais pas pour qui je me prenais, mais bref, j’ai besoin de temps pour mes études et ce que j’anticipe pour le magazine cette année requiert une nouvelle addition à l’équipe. Qu’en penses-tu?

— Donc je vais essentiellement retranscrire les interviews sous la forme d’articles?

— Effectivement et parfois, il se peut que tu conduises les interviews si je ne peux le faire. Je pense aussi que tu auras à couvrir des événements dans les mois à venir.

— Quels genres d’événements?

— J’ai actuellement sur la table, deux demandes, l’une pour les soixante ans d’une architecte reconnue qu’on a déjà interviewée et un salon de mariage organisé par une Event planner qui je pense veut marquer le coup pour sa première édition.  J’attends un retour du département de recherche pour considérer la seconde demande, parce que je tiens à notre réputation, mais la première sera probablement validée.

— Parfait, ça me convient moi, je suis dans mon élément.

— Super, parlons donc de salaire.

Comme je m’y attendais, le salaire est loin de ce que je gagnais à Durban. Elle propose 120000 par mois et un bonus de 100000 pour les couvertures d’événements. Je lui ai demandé du temps pour y penser comme si j’avais mieux, mais c’est décourageant quoi. Je m’arrête au resto de Jen fermé pour la journée en préparation pour demain. Il ne manque vraiment plus grand-chose et je suis assez fière de moi. La guirlande là m’a épuisée, mais elle tient. On a abandonné certaines idées comme le fait d’avoir des coussins. Ce n’est pas sanitaire et ça fait bizarre que des gens viennent dans un resto pour s’asseoir sur des coussins, aussi dodus soient-ils. Au lieu d’un fauteuil, on lui a trouvé un joli sofa entouré par la guirlande composé de ballons blancs, bruns et d’un rose hyper doux. La décoratrice a proposé qu’on mette l’emphase sur le thème donc en plus de l’immense peluche achetée par Bruce, on a ajouté d’autres oursons de taille diverse ici et là dans la salle. La pièce maîtresse qui attire dès qu’on entre c’est l’immense poster de son shooting de grossesse. Elle est drapée dans un tissu satin bourgogne et touche son ventre avec un sourire adorable sur la face. Les tables de jeux et d’amuse-gueules sont déjà dressées. Tout a été préparé par les soins du personnel de Jen, ça aide d’avoir son resto en réalité. Je reste là pour donner un coup de main avec les dernières choses et rentre avec Bruce quand ce dernier passe pour voir l’évolution. Je lui fais également part de la proposition de Sia comme il vit ici, il s’y connaît mieux.

— Donc elle ne peut pas payer mieux malgré le bruit qu’on fait autour du magazine là?

— Tu trouves aussi que c’est peu?

— Tu vas faire quoi avec 120000 dans ce pays? C’est comme ça avec les étrangers hein. Dans leurs têtes, on est prêt à tout accepter comme c’est la galère ici. Comment se fait-il que sa tante touche le million par mois et elle ne peut pas t’offrir au moins 500000? Je suis déçu. Attends qu’on arrive à la maison pour en parler à Jen.

J’acquiesce. Jen se fait toujours tresser à notre arrivée. J’aurais préféré que Bruce attende pour lui en parler, mais il se met à râler directement.

— Donc on ne vous a pas bien payé après vous avoir déplacé jusqu’au Ghana hein? je sens qu’elle se moque.

— Je te dis! Tout ce bruit, ils m’ont fait croire qu’ils étaient des vrais gens.

— En tout cas, ce n’est pas la faute de Sia. Elle n’a que 20 ans donc elle fait ce qu’elle peut avec ses moyens. Les grands du pays ne doivent pas gêner les enfants s’ils savent que leurs mains sont courtes quand il faut payer.

— Et pourquoi elle lance une entreprise à 20 ans déjà? rétorque Bruce.

— Elle n’a que 20 ans? je répète estomaquée.

Je la savais jeune, mais à ce niveau, c’est dingue. Jen nous fait une brève genèse d’elle et je suis bouche bée. C’est une vraie grâce d’avoir du soutien parental.

— Hum, je répète qu’elle doit apprendre à bien rémunérer ses employés. Il faut lui parler hein, c’est la petite de ta copine.

— Pardon Bruce, elle ne m’a demandé avant d’ouvrir son entreprise. J’ai fait ce que je pouvais Tessa.

— C’est déjà beaucoup, merci.

— Demain, on t’engage pour…

— On engage comment? Elle vient fêter, pourquoi tu veux lui donner du travail? Jen interrompt Bruce.

— Ce n’est vraiment pas nécessaire Bruce, je réponds voyant qu’il compte insister. Je serais présente avec ma caméra pour des photos de toute façon.

Jennifer le lance sur un autre sujet donc je m’éclipse pour finir d’éditer la compilation des quelques sites touristiques de la région où résident les Asamoah. La vidéo est live sur ma chaîne, je la regarde à nouveau comme d’habitude et satisfaite, je ferme tout. Il me faut déjà penser à ce que je vais devoir proposer la semaine prochaine, mais pour l’heure, j’essaie de voir ce que fait Lio. Il m’envoie une vidéo que j’ai du mal à comprendre avant de lire le message qui suit.

— Pas mal hein pour quelqu’un qui n’a jamais gonflé de jeux aquatiques?

Je l’appelle parce que je n’y crois pas.

— Tu as gonflé cette immense glissade?

— Yep, il confirme d’une voix remplie de fierté. Je m’y suis mis après avoir déposé Hadassah à l’école et j’avoue être…

Un cri joyeux recouvre la fin de sa phrase.

— J’ai dit qu’on descend les pieds en premier et pas la tête sinon je perce le toboggan, tu me connais très bien, il gronde sa fille je suppose, en tout cas la menace me fait rire.

— Après avoir passé la journée dessus, tu percerais ton travail hein?

— Elle me connaît bien, ce n’est pas au-dessus de moi. Tu dis quoi de beau toi?

— à la maison, je réfléchis.

— Un vendredi soir? Il…

Un autre cri joyeux l’interrompt.

– Pardon ne perce pas le jeu de l’enfant.

— Après m’être cassé la tête sur le mode d’emploi au point de remettre en cause mon intelligence? Jamais de la vie, il me chuchote et menace à nouveau Hadassah qu’à la prochaine incartade, il débarque avec les ciseaux.

Je meurs de rire au point d’en tousser.

— Tu veux venir le voir en personne ce toboggan?

— Euh…, genre chez toi? je demande prise de court.

— Oui, il répond avec humour. Je ne mords pas et tu peux compter sur Hadassah pour me garder à l’œil.

— Mais euh…ça ne va pas la gêner que je m’immisce dans votre soirée?

— Attends alors. Hada? il crie à son endroit. La tata de l’église qu’on a revue chez les Asamoah peut passer à la maison?

— La tata à la mini?

Le nom là se promène aussi dans sa bouche? Il lui confirme en plus. La petite me tue avec ses précisions. « Elle veut venir quand? », « C’est elle au téléphone là? »

— Ce n’est pas la peine de lui forcer la main, j’interviens espérant qu’il m’entend.

— Ce n’est pas la première fois qu’elle te voit. Tu es un visage familier, donc ça devrait aller, mais tu n’es pas obligée. Je préfère juste de savoir ici que seule à réfléchir ce soir.

— Dans ce cas, je suis partante si elle donne son approbation.

— Oui c’est elle, il lui confirme.

— Bah dis-lui de venir avant 18 h parce que je dois finir mes révisions avant 19 h 30 pour regarder mon émission de chant et demande-lui si elle aime les farfalles.

— Tu as entendu la cinquantenaire qui vit dans un corps d’ado?  

— Je suis bluffée par son programme hein et oui, j’aime les farfalles.

— Super, prends un maillot si tu en as. C’est une soirée piscine ici, je n’essaie pas de te foutre à poil pour te mater.

— Lol, mais je n’allais pas croire ça.

— On ne sait jamais, autant que je couvre mes arrières, mais j’admets que mes yeux ne regretteront pas de te contempler.

— Dommage pour tes yeux, je n’ai pas de maillot.

— On y remédiera une autre fois alors, on t’attend.

La vitesse à laquelle je sors de mon lit est incroyable. Douche rapide, je reste simple dans ma tenue et j’explique aux Attipoe que je vais sortir un peu.

— Pour aller où ça? Demain c’est le baby shower, Jen m’amuse avec son rappel.

— Ouais je sais. Je rentrerai à temps, je vais juste voir mon monde.

— Ne va pas pleurer là-bas à cause du salaire hein, je ne suis pas encore décédé, il n’y a rien à craindre, Bruce me rassure à sa manière que j’apprécie même si elle est drôle.

Pharmacie BESDA, c’est le repère que m’a donné Lio. J’y arrive sans peine et il est déjà sur place. Je me fais gronder pour avoir pris une moto au lieu de louer un taxi comme il l’a stipulé par message. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me retrouve sur place, comme il m’a dit que la maison n’était qu’à deux minutes à pied de la pharmacie, je pensais qu’il m’indiquerait comment y arriver.

— J’ai apporté du jus, je tente pour diffuser son agacement.

— Tu as trouvé le temps du jus, mais écouter c’était difficile? Tu sais que les motos sont dangereuses?

— Mais tu penses que je me déplace généralement?

— Bref, on en reparle, il dit devant un portail gris qu’il pousse.

L’immense glissade aquatique attire mes yeux dès l’entrée. Il me prend les jus et je le suis jusqu’à la piscine hors terre qui se trouve non loin de la glissade. Hadassah crie de joie en atterrissant dans la flaque d’eau à la fin du toboggan et se redresse avec un immense sourire aux lèvres.

— Coucou tata Mini.

— Salut la grande, tu t’amuses bien à ce que je vois.

— C’est l’éclate totale! Je suis rentrée de l’école et bim, voilà un grand château aquatique dans le jardin. Papa fait toujours des folies, elle rigole.

— Tu en as de la chance, je dis amusée par sa joie débordante.

— Ouais et il va m’apprendre à nager aussi! Tu n’as pas apporté un maillot?

— Je n’en ai pas, mais une prochaine fois peut-être.

– D’accord. Tu pourras mettre les pieds dans l’eau alors. Je vais faire un autre tour, à tout à l’heure.

— C’est le dernier, lui dit son père.

Elle crie un OK en montant les marches vers la glissade.

— Moi aussi je ne sais pas nager, je lui confie quand il se rapproche de moi.

— La prochaine fois, je m’occupe de toi alors.

C’est une promesse à double sens, c’est ainsi que je le perçois dans son regard ainsi que sa voix, mais comme il l’a promis, il n’a rien tenté de la soirée. Pendant qu’il apprenait les bases de Hadassah, j’observais confortablement prélassée sur une longue chaise de jardin avec un verre de cocktail en main, le duo père fille à l’œuvre.

— Elle craint l’eau? je lui demande une fois seuls après leur séance de natation.

— Oui, un événement l’a terrorisé dans l’enfance. J’essaie de lui redonner confiance parce qu’elle refuse de participer aux cours de natation à l’école.

— Vu comment elle adore son toboggan, je suis confiante que très bientôt sa crainte fera partie de son passé.

— Je l’espère hein. J’ai claqué de l’argent pour justement lui rendre le moment amusant.

— Tu me fais regretter mon père pourtant il n’était pas si prévoyant, je dis un peu nostalgique.

— Désolé de raviver des plaies.

— Ça va, je vous trouve juste beaux à voir, tu avais raison de me faire sortir de la maison.

— Tu vois alors? J’ai généralement de bonnes idées, il dit amusé.

Hadassah est de retour. Elle m’annonce fièrement que c’est elle qui fera le dîner. Des Farfalles dont elle seule maîtrise la recette donc je n’ai pas le droit d’aider. Elle refuse aussi que j’assiste son père pour dresser la table. Apparemment, je suis l’invitée donc mon rôle c’est de boire le cocktail que Lio a préparé avec les différents jus que j’ai apportés. Je ne vais certainement pas me plaindre. Qui ne veut pas d’un traitement princier.

Pendant qu’elle est aux fourneaux, je décide d’avoir aussi l’avis de Lio sur l’offre du magazine.

— Tu gagnais combien à Durban?

— L’équivalent de 550000 CFA.

— Et ton loyer?

— Euh…, je calcule mentalement, environ 277000 pour deux chambres, je vivais avec ma mère.

— Une idée globale de tes charges mensuelles?

— Bon je ne prenais que des tous inclus en location, je commence en reprenant mon calcul mental, disons l’équivalent de 100000? Je ne peux pas dire exactement, il y a des mois où j’ai dépensé plus parce que je sortais souvent, bref disons entre 100 et 150.

— Dans le meilleur des mondes, il te restait donc 123 k dans le compte à la fin de chaque mois.

— Wow, ah bon? je fais surprise.

— Tu ne vas pas t’en sortir mentalement si tu compares régulièrement ce qu’on te propose à ta vie en Afrique du Sud. Je ne dis pas d’accepter tout ce qu’on offre, mais de prendre aussi en compte les réalités économiques de chaque pays. À quoi ressemble la progression professionnelle dans ton domaine?

— Où veux-tu en venir?

— On passe à quelle étape après celle qu’on t’a proposée aujourd’hui? Combien de temps ça prend? Combien peux-tu espérer obtenir comme salaire?

— Euh…, pour être honnête je n’en ai aucune idée, j’avoue penaude. En fait, je suis passée d’animatrice à associée de production de quelques programmes sur la chaîne où je travaillais. À côté, je développais une chaîne…tu ne rigoles pas de moi, mais bref, je développais une chaîne YouTube axée sur le contenu voyage et quatre mois avant que je quitte Durban, j’avais réussi à vendre le concept de ma chaîne à la production. Comme je me faisais contacter parfois par des hôtels ou agences de voyages qui m’offraient des trois jours payés pour qu’en contrepartie, j’expose mon public à leurs services, j’avais proposé à la chaîne de produire le contenu pour eux. Nous avions même dressé un budget. Ils me fournissaient une équipe de tournage basique, je prenais en charge le script, mon make-up, et je continuais à collaborer avec les hôtels ou agences pour des offres alléchantes. Elle devait être mon émission celle-là et à deux mois de la finalisation, ils ont renvoyé le directeur de la chaîne. Le nouveau n’a accordé aucun intérêt à mon projet parce que ça ne cadrait pas avec sa vision pour la chaîne. Il a annulé la majorité des émissions sur lesquelles je travaillais et c’est comme ça que je me suis retrouvée au chômage avec la fameuse promesse de « on te rappellera au besoin ».

J’apprécie qu’il me câline le dos au lieu de me dire les « désolé », ou « je comprends ». Je ne m’en remets toujours pas bien que ça fait un moment.

— Bref, je te raconte ça pour dire que l’étape suivante que j’avais en tête pour ma carrière, c’était de produire mon émission.

— Tu dis que tu as une chaîne YouTube?

— Pardon, c’est gênant, je dis tête baissée.

— Mais c’est toi qui l’as dit, il répète amusé.

— Tu peux essayer de l’oublier?

— Trop tard, je veux la voir.

Heureusement, Hadassah annonce triomphalement que le dîner est prêt. Sauvée par le gond. Farfalle au pesto avec du saumon grillé en accompagnement.

— Tu sais vraiment cuisiner, je la complimente.

— Merci, tu dois tout finir alors.

— Eh, le traitement d’invité est fini? se moque son père.

— De toute façon, je suis une gourmande, je la rassure et lui prouve que mon ventre sait encaisser.

Lio s’occupe de débarrasser et elle nous abandonne à table pour aller étudier.

— Une fille modèle hein. Il fallait chasser les comme nous pour qu’on accepte d’étudier un vendredi soir.

— Sur cet aspect, je ne peux pas me plaindre. Sa mère l’a habitué à une routine qu’elle a gardée. Généralement, elle ne s’autorise pas de loisirs quand elle a beaucoup à faire, mais ça reste une jeunette hein. De temps en temps, tu la crois étudier, tu t’arrêtes dans sa chambre et elle est sur internet devant les vidéos drôles, sur son piano ou en appel avec ses copains.

— Elle joue au piano?

– Très bien. Si elle ne fait pas sa timide comme tu es là, tu l’entendras durant son émission. Chaque vendredi, j’ai droit à un concert.

— Finalement, je ne sais plus qui a trop de chance entre toi et elle.

— C’est moi, elle représente ce que j’ai de plus beau dans ma vie.

— Pour l’instant c’est ma mère qui le représente, mais un jour j’espère connaître cette sensation à travers mon enfant.

Le regard chaleureux qu’il avait quand il parlait de Hadassah se voile je trouve, mais c’est si rapide que je me demande si je l’ai rêvé.

— Tu le vivras, tu es encore jeune. Alors, cette chaîne YouTube? Tu ne vas pas te défiler à vie, il me relance joyeusement.

Il y a une honte particulière qu’on ressent quand quelqu’un brise un mur qu’on avait érigé. La majorité de mes abonnés ne me connaissent pas dans la vie réelle. J’ai quelques amies mamans influenceuses aussi, mais ça c’est un autre cercle. Celui dont Lio fait partie n’est pas supposé découvrir mon univers virtuel, mais c’est ce qu’il fait depuis une dizaine de minutes. Il a même choisi de me regarder sur sa télé. Je garde les mains sur mon visage, c’est trop pour moi.

— Donc c’est une vraie pro que j’ai à mes côtés quoi?

— Arrêteee, je me plains en m’enfonçant dans le sofa tandis qu’il rigole.

— Tu n’as pas à rougir Mini. Je ne connais pas les rouages de YouTube, mais tes vidéos sont agréables à regarder. Ça se sent que tu prends du temps pour les monter, enfin tu le fais toi-même?

J’ôte timidement une main pour voir sa face. Il n’a pas l’air de se payer ma tête. Je hoche la tête pour répondre par l’affirmative à sa question.

– Wow. Et tu me dis que les voyages ont été financés par des hôtels et agences de voyages?

— En partie et même s’ils financent, j’ai toujours d’autres frais à couvrir.

— Pourquoi tu voulais vendre ton travail à une chaîne de télé?

— Parce que je cherchais un public plus grand. Enfin…, je me disais que c’était le but ultime.

— Voici mon avis et je précise qu’il n’est peut-être pas le meilleur parce qu’encore une fois je ne connais pas le domaine du contenu monétisé. Ce que tu as créé ici, c’est un peu ton produit comme un prestataire de services. Si tu produis du contenu pour une chaîne de télé et qu’ils te remercient un beau matin, qu’est-ce qui les empêche de te remplacer tout en continuant avec ton concept?

— J’allais copyright le nom, TWT, travel with tessa.

— Ils peuvent aussi jeter le nom et en prendre un autre ou pas? Rien ne les empêche de reprendre le concept, y enlever un petit truc et le rebrand à la saison suivante comme une nouvelle émission. Je me base sur ce que j’ai vu avec les nombreux shows qui défilent sur nos écrans hein, corrige-moi si je me trompe.

– Oui.., je…ils peuvent effectivement. Je suppose que…bref, je n’ai pas considéré ça. Je me disais que je serais si compétente que la direction de la chaîne ne ressentirait pas le besoin de chercher ailleurs.

— Les gens sont bizarres, parfois capricieux sans raison. Un beau matin, les visions changent, bref l’humain est ondoyant. Tu peux rester compétente et la direction décidera qu’elle veut du changement bien que ça ne soit pas pertinent. Là où je veux en venir, c’est que les 95658 abonnés qui te suivent là t’ont trouvé et restent parce qu’ils étaient attirés par ta personnalité, ton contenu ou une combinaison des deux. Si tu peux, je considère que la meilleure option serait de proposer une version de ce que tu fais déjà avec les hôtels et agences de voyages.

— élabore s’il te plaît, je demande intriguée.

— Ils t’offrent des billets et/ou séjours chez eux avec l’intention que tu produises du contenu mettant en valeur leurs services à ton public non? Voilà le magazine Source avec qui tu as un contact désormais. Pourquoi ne pas leur proposer le format articles et photos de ton séjour? Je m’explique, tu es invitée par le Hilton de Nairobi pour un week-end. Tu fais ton montage vidéo que tu mets sur ta chaîne et tu écris un article avec des photos pour le magazine Source qui met simplement en avant les avantages d’un séjour à Nairobi tandis que la vidéo se concentrerait sur les avantages de séjour au Hilton Nairobi. Le magazine est gagnant comme tu ne voyageras pas de leur poche. Ils te rémunèrent pour l’article produit.

— Un peu comme les pigistes quoi.

— Les quoi ça?

— Les journalistes rémunérés à l’article ou à la photo. C’est comme ça qu’on commence dans le milieu en général.

— Voilà. Je suppose que pour un début, tu ne pourras pas négocier un tarif élevé, mais l’avantage c’est qu’on n’a rien de tel à Lomé. Beaucoup voyagent sans savoir qu’ils peuvent s’abonner aux programmes de loyauté des compagnies aériennes pour tirer des bénéfices des nombreux déplacements professionnels. Ils ne savent pas que certains hôtels peuvent être réservés avec des miles, bref tu connais mieux l’univers des voyages donc je pense que tu trouveras rapidement un public si tu proposes cette idée au magazine.

— C’est une superbe idée, seulement, ce magazine rend plus hommage aux intellectuels de nos pays avec l’idée d’inspirer la jeunesse actuelle. Comment un contenu de voyage rentrerait dans sa vision?

— Là je ne sais pas. Je t’ai juste donné mon opinion, mais tu sais tout ce que tu as sur la table. À toi de trouver une harmonie dans tout ça, mais je répète, n’abandonne pas ton idée à une corporation.

Il ne m’a pas donné une opinion, mais des perspectives. Je repars en taxi loué par le gardien de monsieur parce qu’il ne me fait pas confiance. Il ne peut pas me déposer parce qu’il doit parler avec la mère de Hadassah qui au passage s’est carrément endormie sur son piano à cause de la soirée mouvementée qu’elle a eue, je pense. Dans mon lit, je repense aux diverses perspectives que Lio m’a présentées. Le 120000 ne me semble plus si décourageant, je sors un papier pour mettre au propre les différentes idées qui se mélangent dans mon esprit. Si j’arrive à toucher 400000 par mois d’ici l’année prochaine, je vais épouser cet homme, c’est décidé.

***Jennifer mamounette Attipoe***

La maquilleuse finit d’étaler la poudre brillante sur mes épaules dénudées. Je ne regrette pas d’avoir fait confectionner cette robe orange fluide que je porte. Je me sens tellement belle et aujourd’hui, je vais me réjouir sans retenue. Après un mois pénible, j’entre en mars. En août, mon bébé sera dans mes bras et si je le souhaite, rien ne m’empêche de refaire un shower en septembre. Je vis selon mes règles désormais, je priorise mon bonheur. La maquilleuse m’aide à bien enrouler mes nattes en queue de cheval et je me lève quand Tessa m’avertit que Bruce est là avec la Mercedes class C décapotable que je voulais.

— Je vais me mettre à l’arrière pour être à l’aise chéri, j’explique à Bruce.

— Comme tu veux, dépêche-toi, on a déjà du retard.

— Roh là là, qu’est-ce que tu es stressé toi.

— Ah bon hein? C’est pour pleurer après que la fête n’a pas duré comme tu en rêvais pourtant tu arrives avec près d’une heure de retard.

— Mais non, détends-toi, ce n’est plus le mois des larmes, pas vrai Tessa? je demande tout en jetant un coup d’œil à mon reflet dans le miroir.

— Tout à fait.

Bah voilà. Au moins il y en a une qui comprend que cette journée doit être zen. Bruce stresse toujours pour le retard, on ne peut rien faire sur ça. Je vérifie avec Oyena qui me confirme qu’elle sera présente. J’ai fini par comprendre qu’elle est l’amie à appeler pour une fête, une sortie ou bref lorsqu’on a envie de s’amuser. Son fond est compliqué en tant que personne, donc je reste en surface. De toute façon, je veux juste être entourée et recevoir des beaux cadeaux. Mon cœur cogne fort quand la Class C se rapproche de mon resto. Le trompettiste m’accueille avec les honneurs. Je danse dès que je descends du véhicule. Les invités sont dehors et m’applaudissent. Employés, des collègues de Bruce, ma tante et Jérémie, il manque Eben, mais je ne m’attendais pas à ce que la pétasse le laisse venir. Mes employés me sont restés fidèles malgré tout, surtout Khaya qui vient danser avec moi. Je vais faire quoi avec les amis? J’ai tout ce dont j’ai besoin ici et plus. La déco me cloue le bec, j’en ai les larmes aux yeux. Tout est décoré sous le thème des oursons, jusqu’aux emballages des cadeaux sur la table. Je cherche Bruce à qui je donne un baiser profond.

— Tu es satisfaite la reine mère? il rigole.

— Oui, merci, tu es le meilleur.

— Voilà ce qu’on veut entendre. Allons donc fêter comme il se doit.

— Montrons-leur, je confirme le cœur en joie.

Je sors quelques pas pour les vidéastes et tire la langue à Tessa qui me prend en photo avant de me diriger vers mon fauteuil royal. 

D’amour, D’amitié