162: il est là

Write by Gioia

***Jennifer Attipoe***

Je ne comprends pas comment un seul homme peut danser au point de transpirer et il refuse de s’arrêter. Cette fois, je garde une distance respectable de Bruce qui occupe toute la piste de danse à notre mariage sous les acclamations de notre cortège. Plus qu’une heure et le DJ feindra un problème avec son équipement conformément à notre plan, donc j’endure avec le sourire.

À l’heure convenue, le DJ arrête brusquement la musique. Les plaintes s’élèvent et Jérémie qui fait partie de notre cortège va à sa rencontre pour comprendre ce qui se passe comme la musique n’est pas relancée.

— Donnez-moi une minute s’il vous plaît, mon équipement déconne, il déclare au micro.

— L’équipement déconne comment ? On ne peut pas vous confier quelque chose et attendre un travail professionnel ? Bruce ainsi que d’autres s’échauffent.

— Doucement chéri, donnons-lui du temps, j’essaie de l’amadouer.

— Et puis quoi encore ! Monsieur tu fais travailler ton équipement ou tu me rembourses, non mais qu’est-ce que ça veut dire ! il vocifère.

— Tout doux Bruce, je vais voir ce qui se passe, tente Eben qui le tient par l’épaule avant d’aller rejoindre le DJ.

Je croise les doigts et prie Dieu que ce petit ne flanche pas vu qu’il jette souvent des coups d’œil inquiets vers moi. C’est le cousin de Khaya, un jeune qui se débrouille dans la musique, donc je l’ai payé en conséquence pour son service.

— De toute façon, on a assez dansé.

— De quoi tu parles ? On venait à peine de commencer, Bruce aboie dans ma face.

— Woh pardon, c’est toi qui as raison, je conclus rapidement.

Que personne ne m’arrache la tête ici. Je n’ai pas la force. Le petit reçoit des coups de pressions donc j’essaie encore d’amadouer Bruce et comme ma tante ramène Noble qui fait sa grincheuse, son papa accepte enfin qu’on rentre.

— En tout cas, ce fut un beau mariage. On reste pour surveiller ici, dit mon oncle.

— Oui, allez-vous reposer, vous l’avez mérité, ajoute ma tante après nous avoir fait des accolades.

— On va se revoir jeune homme, incapable va ! il lâche au petit quand on arrive à son niveau.

— C’est bon Bruce, c’est bon, je dis en l’entraînant loin

— Pfff ! Laissez-moi, il a gâté ma fête.

Je n’arrive toujours pas à croire que cet homme est dans sa 37e année. Il râle encore et comme sa fille l’imite, on finit par en rire.

— Ne gaspille même pas ton énergie sur lui mon sushi, on fera notre show à la maison, il l’amuse tout en l’attachant dans son siège.

Ça y’est, c’est fini, nous nous dirigeons vers la maison. Je suis à féliciter pour la patience que j’ai démontrée ces derniers mois. Bruce a eu le mariage qu’il voulait ici à Lomé. Une magnifique lune de miel m’attend à Bora-Bora. J’ai fini par adhérer à l’idée de Bruce. Se marier ailleurs ne sert à rien. Le stress de l’organisation fait qu’on ne profite même pas totalement de la journée de toute façon, alors qu’en lune de miel on est détendu. Il m’a quand même fatigué la mâchoire pour cette lune de miel, parce que pour monsieur, les plages existent partout, donc il ne voit pas l’intérêt qu’on verse plus de 3000 euros par personne pour se rendre là. J’ai fini par comprendre aussi que ce type est juste allergique à certains montants. Dès qu’on dépasse la tranche de 500, il se met à convertir en CFA et radote. Si je l’avais écouté, il m’aurait culpabilisé pour qu’on aille à Cuba ou Punta Cana, des endroits que j’ai déjà visités quand je vivais au Canada et la dernière chose que je veux, c’est revivre mon revivre mon passé dans mon présent. J’ai rêvé de Bora Bora donc j’ai insisté et il a cédé. L’argent on le gagne pour le dépenser et mes revenus sont réservés pour l’entretien de la maison et notre chérie, des rôles que je remplis parfaitement, donc je mérite d’être récompensée à la hauteur de mes rêves et mon endurance dans cette vie.

Je laisse la petite à la nounou, le temps d’aller ôter ma robe que j’ai voulu simple, puis je reviens m’occuper de mon trésor. L’une des joies d’avoir un bébé d’un an c’est qu’elle ne nécessite plus trop mes bras pour dormir. Tu lui donnes son lait après le bain, allume sa berceuse et hop, elle est calée pour la nuit.

— Tu peux le croire ? Un de mes gars vient de m’informer que la musique est revenue à notre départ, il m’explique, dégoûté. Si ce n’est pas quelqu’un qui est contre moi ça, c’est quoi ?

— Est-ce que ceci te fait toujours croire qu’on est contre toi ? je demande d’une voix lascive après avoir fait tomber le peignoir qui révèle la tenue affriolante que j’ai enfilée en allant me changer.

Ce type est tellement fou qu’il hurle tel un loup et me soulève par les cuisses bien que je lui demande de me laisser au sol. Je me suis même pris la porte sur la tête avec ses mouvements brusques. Tu parles de vouloir créer une ambiance sexy. On s’est chamaillé dans la chambre avant de faire l’amour bruyamment. Je m’endors le cœur quand même paisible et la tête remplie des rêves qui seront réalité dans une semaine lorsqu’on prendra cet avion. Ma valise est remplie de vêtements assortis de famille ainsi que de pyjamas puisqu’on passera Noël et la fin de l’année là-bas. J’ai hâte de voir la réaction de Noble quand on trempera ses pieds dans la mer lol. Ah oui, je l’emmène partout, on ne va pas rater l’opportunité de payer 10% des billets d’avion tant qu’on le peut encore. Comme l’a dit ma tante, elle n’est pas née pour souffrir, sa maman a assez souffert pour elle.

***Mini Tessa Bemba***

(Mai, soit cinq mois après l’anniversaire de Malike.)

C’est dur de sourire aux gens quand on est déçu, mais j’ai refusé de laisser la déception m’envahir cette semaine, d’où ma présence à l’introduction d’Othniel, le second fils des Tountian qu’Océane appelle affectueusement Othmiel mon miel tandis que le papa et le grand frère préfèrent Othi. Parlant du grand frère, c’est fou de voir un Ezer de deux ans qui reconnaît qu’il est désormais un aîné. Il comprend maintenant les requêtes de ses parents. C’est adorable de le voir se presser pour chercher le sac à couches quand sa mère le lui dit. Toutefois, il reste un enfant de deux ans hein et c’est sans surprise qu’il a enchaîné les dégâts, devenant le boutentrain de la journée.

Après une journée remplie de conversations, mon esprit commençait à se remplir de pensées dont je n’étais pas fière, donc j’ai sauté sur l’occasion quand Lio m’a informé qu’il quittait l’hôpital. Je prétexte une migraine et m’enferme dans le silence mais Hadassah nous relance sur son sujet favori depuis le mois dernier, l’Afrique du Sud, donc je me retrouve happée dans la conversation. On a décrété avril, le mois des vacances familiales et cette fois, je les ai emmenés sur ma terre d’accueil. Depuis notre retour, Hadassah ne cesse de s’extasier sur le pays et ses réactions m’amusent quand je lui explique qu’elle n’a vu qu’environ 15% de ce qu’offre l’Afrique du Sud. Elle veut tout savoir et quand elle est ainsi on ne peut la stopper.

— Radio cancan, tu vas te doucher et au lit, lui annonce son père quand elle se lance sur une autre question à notre arrivée.

— Mais oh, c’est le week-end. Pourquoi tu me mets un couvre-feu ?

— Parce que tu t’es couchée tard sur tes cahiers et ce matin tu étais debout à 7h pour regarder tes émissions sur le Net.

— Beh j’ai le droit, tu as refusé que je touche à la télé du lundi au jeudi, donc je fais quoi moi sinon suivre un récap de mes épisodes le vendredi pour m’assurer de comprendre celui du samedi ? Faut te décider à un moment hein, « chai pas moi », elle ajoute sur la fin sa phrase mythique depuis son entrée en première, qui me fait toujours rire. L’adolescence c’est quelque chose.

— Ma décision demeure, tu te douches et direction le lit telle une fille bien éduquée.

— Genre les filles qui ne dorment pas à 19h sont mal éduquées ? Toujours à juger les gens toi et après c’est pour me pondre des grosses leçons de morale, elle continue à râler.

— Les gens cherchent le grand juge que je suis comme papa hein.

— Ouais c’euuu ça, elle soupire, exaspérée.

— Va chercher tes peignes ma puce, je vais te défaire tes tresses, elles ne sont plus bonnes.

— Au moins une personne qui pense à mon bien-être, elle râle encore et quand elle s’éloigne, on pouffe de rire tous les deux.

— Tu aimes trop me fatiguer l’enfant.

— Elle vit pour ça, il réplique en rigolant.

Comme il l’a dit, elle revient avec une provocation pour son père et le même qui l’appelle radio cancan l’entraîne dans des ébats qui ne finiront pas aujourd’hui. Je l’ai dit plusieurs fois, mais j’aime tellement leur relation que ça me mine qu’on n’arrive pas à concevoir.

— Bébé ? Allô Houston ? Mini ?

— Hum ? je réponds à Lio qui me tire de mes pensées.

— Tu étais où ? Je vais me chercher un truc au frigo et je te demandais si tu voulais une glace ou un sorbet.

— Rien, j’ai consommé assez de sucre avec les cupcakes chez Océane, je lui explique tandis que Hadassah répond à un appel FaceTime.

Stella apparait sur son écran. On se salue rapidement et je me concentre sur la tête de Dada.

— Doucement, elle a la tête fragile, m’adresse Stella et je m’arrête de suite.

— Beh non, c’est rien ça, explique Dada.

— Comment ça, c’est rien ? Je t’ai vu plisser le nez.

— Je vais faire attention, je dis et continue en prenant mes précautions.

— Lol, tu parles des choses du passé toi. Tessa c’est un nounours, les tresseuses de mamie Hana m’ont baptisé en me charcutant…

— Et tu ne m’as rien dit ? sa mère l’interrompt en colère. C’est quoi ces conneries ?

— Quelles conneries ? demande Lio qui revient avec un pot de yaourt caillé que je leur fais souvent.

— C’était une façon de parler maman.

— Oui c’est ça. Pourquoi Hadassah me dit qu’on lui a martyrisé la tête Romelio ?

Lio lève un sourcil inquisiteur à sa fille tout en lui prenant le téléphone.

— Je n’apprécie pas d’entendre ça, elle continue.

— Pourquoi elle choisirait de se tresser régulièrement si on lui martyrisait la tête ?

— En fait ! rétorque Hadassah qui reçoit de Romelio un coup d’œil qui fait office d’avertissement.

— Et je n’apprécie quand même pas, répète Stella.

— Noté, il dit et redonne le téléphone à Dada.

Maintenant je me sens stressée avec les yeux de Stella sur moi. Je me concentre sur ma tâche tandis qu’elles parlent maintenant de ses études.

— Comment ça se passe avec les contrôles continus ? Tu galères toujours en enseignement scientifique ?

— La matière de la mort, je déteste, mais je m’accroche avec l’aide de Tessa.

— Ah. J’ignorais qu’elle avait fait le programme français.

— Non je ne l’ai pas fait. Je relis simplement ce qu’elle fait.

— En fait, elle m’aide avec la méthodologie parce que j’arrive pas à la suivre. C’est ce que me sort ce relou de prof pour justifier ses 13 qu’il me colle régulièrement en tout cas.

— Qu’est-ce qui est difficile dans le fait de suivre une méthodologie ?

— Beh c’est coton maman, il faut rédiger comme ceci, éviter les mots comme cela parce qu’ils ne sont pas scientifiques. J’ai quand même évolué depuis la rentrée, pas vrai papa ?

— Yep ! il confirme avant de se lever et me chuchote à l’oreille qu’il va se doucher.

— À force de lire les corrections que Tessa apporte à mes devoirs, mon cerveau enregistre les bonnes expressions et je me rappelle de les utiliser.

— Comment elle corrige tes devoirs si elle n’a jamais fait le programme français alors ?

— Bah elle a un background en communication de masse ? C’est ça qu’on dit en français aussi ?

— Juste Communication ma puce, je dis amusée.

— Voilà. En plus elle écrit des articles régulièrement pour le magazine où elle travaille, donc elle s’y connaît en langage pro.

— Je vois. En revanche, 13 ce n’est pas suffisant, ça ne te fera pas entrer à Paris-Saclay ou Paris Dauphine.

— Genre y a que ces deux universités dans le monde ? Hadassah répond sur la défensive. De toute façon, j’ai même pas envie d’y entrer.

— Tu veux aller où si ce n’est dans une université de renom ?

— Beh je veux découvrir autre chose que Paris moi. Il y a l’Afrique du Sud…

— Non mais qu’est-ce que tu me racontes ? Les Africains se ramassent par milliers pour venir ici et tu veux aller dans un autre pays d’Afrique ? Tu perds la tête ?

— Un pays d’Afrique c’est pas un pays ? Je préfère nettement l’Afrique du Sud que le 17m2 classique de Paris.

— Tu me changes ce ton insolent sur le champ, elle vocifère subitement, me faisant sursauter aussi. Pour qui tu te prends ?

— Mais qu’est-ce que j’ai dit ? Pourquoi tu cries ? s’étonne Dada.

— Ton mépris me sort par les pores. Tu ne sais rien faire de tes dix doigts pour gagner de l’argent et tu oses minimiser les appartements ici ? Tu te crois mieux que tes amis qui vont y vivre ?

— Eh mais j’ai minimisé qui moi ? Tessa, tu m’as entendu minimiser ici ? elle rétorque toujours étonnée et sa voix tremblotante m’indique qu’elle risque de fondre en larmes bientôt.

— Je pense qu’il y a un malentendu, je m’essaie, mais ça ne va pas loin.

— Ça ne concerne que ma fille et moi ! elle appuie et la phrase me laisse une marque brûlante sur le cœur.

— J’allais simplement dire qu’elle n’a minimisé personne et ça me concerne, je suis présente ici, j’insiste sans savoir pourquoi.

— Romelio ? elle l’interpelle, signifiant qu’elle ne veut plus parler avec moi.

Le cœur lourd, je me dirige vers la chambre où je trouve Lio qui sort de douche.

— Va voir TA fille avant que LA seule mère qui a réussi à enfanter la fasse pleurer, je lui lance en rage et continue dans la salle de bain sans m’arrêter.

***Romelio Bemba***

Ce sont les cris qui m’accueillent au salon. Hadassah crie et pleure. Stella fait de même. Je n’y comprends rien. Elles discutaient dans une ambiance chaleureuse et je reviens dans les éclats de voix.

— Hey hey hey, je fais pour les stopper et prends le téléphone à Hadassah qui respire comme un animal traqué.

— On peut savoir ce qui se passe ?

— Il se passe qu’elle mérite une bonne gifle pour revenir sur terre ! lance Stella.

— T’en fais pas, tu pourras me gifler autant que tu veux, mais ne me reproche pas un jour que je ne te raconte rien ! elle lance et s’en va en trombe.

— Pourquoi tu menaces ma fille ?

— Qu’est-ce que tu en as fait ? Hadassah ne m’a jamais parlé ainsi. Elle est devenue une pourrie gâtée qui se croit trop bien pour les appartements parisiens pourtant, depuis treize ans, elle n’avait qu’une envie, se casser d’Arras pour Paris et y vivre avec son amie Estelle.  

— Déjà, je vais te donner un cinq minutes pour rassembler tes esprits, descendre ton ton de deux étages et on reprend cette conversation, je lui dis posément et m’installe en fixant mon téléphone.

— Je ne suis pas…

Je coupe simplement l’appel et quatre minutes plus tard, je la rappelle.

— Tu reprends et tu évites les accusations à deux balles si tu veux qu’on arrive à régler le problème. Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?

— Elle m’a parlé comme si j’étais sa copine !

— Qu’a-t-elle concrètement dit Stella ? Si je dois la punir, il me faut bien savoir.

— Les « beh », « bah », la manière dont elle me répond comme si je lui posais des questions évidentes, son manque de motivation. Comment elle ne s’intéresse plus à intégrer une université de renom ? Depuis qu’elle fréquente cette fille qui vient d’une famille aisée, Hadassah a changé. Elle croit que la vie lui sera facile comme l’autre et je suis persuadée qu’elle a appris les répliques méprisantes chez cette Thema. Ce n’est pas la Hadassah que j’ai éduquée. Je veux qu’elle revienne ici pour la terminale.

— OK, je vais régler ça.

— Et pendant que tu y es, parle avec ta femme. Autant j’apprécie qu’elle s’occupe de ma fille là-bas, autant je ne veux pas l’avoir dans mes pattes quand j’essaie d’éduquer ma fille. Je doute qu’elle veuille m’entendre sur l’éducation de vos futurs enfants, donc j’attends le même respect de sa part.

— Ma Tessa t’a empêché d’éduquer Dada ? je demande à nouveau, parce que j’ai du mal à le croire.

— Elle a carrément pris la défense de Hadassah alors que j’essayais de lui faire entendre raison. Et je n’apprécie pas votre « Dada ». Hadassah déteste les surnoms cucul donc arrêtez de l’obliger à s’y faire.

— On oblige une fille de seize ans à se faire à un surnom ? je ne peux m’empêche de lui répéter sur un ton dérisoire.

— Oui, elle confirme avec force même. Hadassah est timide, elle n’aura pas le cran de dire à ta femme que le surnom l’agace, parce qu’elle ne voudra pas passer pour une effrontée.  

L’un après l’autre, règle les choses dans l’ordre, je me répète pour éviter de la reprendre sèchement concernant le surnom.

— Je te rappelle, je conclus et coupe après son « j’attendrais ton appel. »

Hadassah dort déjà quand j’entre dans sa chambre, donc je continue simplement dans la mienne et j’entre dans la salle de bain guidé par le bruit de l’eau qui coule. Tessa est nue, la tête levée vers le pommeau qui fait couler sur son visage fin de l’eau à un débit fort. Je fais tomber mes vêtements l’un après l’autre et la rejoins.

— Je sais qu’on n’est qu’à notre première année de mariage et rien ne presse, mais j’ai commencé cette union avec une foi énorme, elle commence sans se tourner. Est-ce un crime d’avoir cru que tu ferais partie de l’infirme pourcentage de ceux qui redeviennent fertiles des années après une vasectomie, même si la vasovasostomie ne fut pas un succès immédiat ? D’abord on ne conçoit pas naturellement et on enchaîne deux inséminations ratées.

Elle se retourne cette fois et la peine dans ses yeux me prend par les tripes.

— Tu es l’homme le plus intègre que je connais Romelio. Tu n’es pas comme nous autres qui pouvons commencer la journée sans prier et ne même pas m’en rappeler. J’aimerais donc comprendre, pourquoi Dieu ne nous accorde pas cette seconde chance ? Que devons-nous faire pour qu’il comprenne qu’on attend que lui ? J’ai même refusé de prendre la potion aux ails et feuilles bizarres que maman a reçus du guérisseur traditionnel qu’elle a consulté, croyant qu’on traîne à concevoir à cause des Attiba et Attipoe. J’aurais pu céder, ça m’a tenté, je ne vais pas mentir, mais j’ai résisté parce que j’avais confiance que Dieu pourvoirait à sa manière. Je veux savoir, si quelqu’un comme toi ne mérite pas une seconde chance, qui le mérite ?

J’encercle ses épaules et la laisse se coller à mon torse contre lequel elle fond en sanglots et m’explique qu’à la présentation du fils des Tountian, il lui est arrivé de se sentir étouffée pendant qu’Océane racontait son accouchement aux mamans présentes et chacun partageait son expérience sans qu’elle puisse participer à la conversation. Elle m’avoue également qu’elle s’est sentie mal de penser ainsi, parce qu’elle savait que le moment était dédié aux Tountian et non elle, mais elle n’a pas réussi à se ressaisir d’où la décision de partir. Elle a tellement pleuré qu’au retour au lit, je lui donne un doliprane 1000Mg pour éviter qu’elle se réveille demain avec la migraine.

— Merci, elle répond d’une petite voix.

Nous restons nus et je l’enlace avant d’éteindre la lumière puis lui câline la tête, tandis qu’elle a le visage enfoui contre mon torse.

— Tu peux expliquer la situation à ta mère si tu en ressens le besoin.

— Hors de question, je ne vais pas t’exposer à des questions gênantes, elle réplique catégoriquement.

— Les questions gênantes ne représentent rien à ce que je ressens en te voyant dans cet état.

— Je suis désolée, je ne sais pas pourquoi j’ai craqué comme ça. C’est à moi de t’encourager, mais je…

— Non, je dis et détache ma tête pour effleurer ses lèvres de miennes. On s’encourage. Tout comme tu as choisi de porter mon fardeau avec moi, je suis prêt à supporter les questions pour toi Mini. La seule chose que je ne suis pas prêt à faire, c’est accepter de boire le mélange de ta mère. Je ne fais rien sans conviction surtout quand il s’agit de foi.

— Je comprends, mais tu ne t’es jamais demandé si on commettait une erreur. Maman m’a dit que c’est Dieu qui a donné aux guérisseurs leurs talents, donc pour elle ce n’est pas un crime de se tourner vers eux si on a des problèmes. Je t’accorde qu’elle a tendance à consulter pour connaître l’avenir, mais elle n’a jamais basculé du mauvais côté, genre sorcellerie, envoûtement, sacrifice, tu vois.

— Oui je vois et je sais aussi qu’on a des guérisseurs en Afrique qui opèrent des miracles grâce aux dons divins. Même dans la bible, certains ont reçu leur délivrance par des oints de Dieu qui se sont servis de leurs dons. Seulement ceux qui ont reçu leurs guérisons y ont cru d’abord tu vois et moi je ne crois juste pas en ce guérisseur pour l’instant. Le monde dans lequel on vit aujourd’hui me rend méfiant. Je ne dis pas que j’ai forcément raison, mais je préfère m’embarquer dans quelque chose le cœur léger que rempli de doutes ou de peur. Je crois que si cette solution est la bonne pour moi, j’en serais convaincu tôt ou tard, mais si tu veux le faire toi, je ne t’en voudrai pas, tant que tu es convaincue.

— Non, je ne suis pas. Je suis juste désespérée et de toute façon, je ne vais pas faire un truc sans toi. On est une équipe.

— Tu sais comment je t’aime toi ? je lui demande emporté et la fait basculer sous moi.

— Attends, on n’a pas fini, elle essaie de m’arrêter alors que ma bouche se perd dans son cou. J’ai fait une connerie avec Stella je pense…

— On s’en fout, je réponds depuis son cou et j’entreprends de lui faire l’amour comme il faut.

Nous en avons besoin. Le second échec de FIV nous a pris par surprise. J’ai tant espéré aussi et recevoir la mauvaise nouvelle m’a un peu ébranlée, mais Dieu m’a donné une partenaire avec qui je peux tout vivre. Échecs, craintes, espoirs, je ne vois pas ce que je ne peux pas partager avec ce bout de femme qui fait battre mon cœur. Demain on reprendra courage, on croira de nouveau en la vie, mais ce soir, on fait l’amour en tant que Romelio et Tessa, on a besoin l’un de l’autre, on a besoin de se perdre dans nos gémissements, de se communiquer nos désirs et de renouer l’un avec l’autre.

On s’endort, nus, satisfaits, les membres emmêlés et la peau collante. Le lendemain, la joie du Seigneur nous accueille à l’église. Papa nous délivre un message qui renouvelle nos forces mentales. On s’arrête chez un traiteur pour ramasser nos commandes qu’on a passées le vendredi et nous rentrons. Tessa va s’occuper de ses valises parce qu’elle voyage lundi pour le travail. Le magazine s’étend de plus en plus. Ils ont même loué un local à côté de leur actuel pour avoir plus d’espace. C’est en Côte d’Ivoire que se rend ma femme cette fois pour couvrir un séminaire axé sur l’entrepreneuriat féminin dont les têtes d’affiche sont apparemment des personnalités montantes de la région.

— On peut parler ? m’interpelle Hadassah après notre déjeuner.

— Je suis là. Qu’est-ce que tu as à me dire ?

— Maman ne t’a pas raconté ?

— C’est ta mère qui veut me parler ou toi ?

Elle soupire, et se lance après s’être installée.

— Maman m’a accusé de choses que j’ai pas dites juste parce que j’ai mentionné l’éventualité d’aller ailleurs qu’en France.

— Quelles sont ses accusations ?

Elle me partage une version différente de l’histoire racontée par Stella. À la fin, de son récit, elle revient encore sur le fait qu’elle n’a méprisé personne et le ton sur lequel elle le dit, m’indique que cette partie l’a froissé plus que le reste.

— Hadassah, je t’ai dit que la vie n’est pas compliquée. Quand tu parles avec quelqu’un et tu vois que la conversation dérape, tu t’arrêtes.

— Mais elle n’arrêtait pas. Je devais me défendre.

— Et qui t’a dit que la défense se fait à coups de cris et larmes ? Tu peux avoir raison et la manière dont tu délivres tes arguments te donnera tort. Je t’arrête aussi, je ne suis pas en train de dire que tu as tort dans ce cas précis. Je t’explique que tu te fais plus de mal avec ta récente tendance à vouloir avoir raison de gré ou de force, je t’ai moi-même fait la remarque ou pas ?

— Oui, mais j’ai le droit de m’exprimer papa. J’ai gardé le silence dans le passé parce que je craignais qu’en me défendant, j’allais ramener des problèmes à papa Etienne et maman. Je ne peux pas retourner à celle que j’étais, pourquoi maman ne comprend pas ça ?

— Comment tu le lui as exprimé ?

— Beh, je lui ai pas exprimé.

— Donc si je te suis bien, elle devait deviner que tu es désormais une grande gueule qui s’assume ?

— Je suis pas une grande gueule, elle rouspète.

— Soit, tu ne l’es pas, je te l’accorde, mais ça ne répond pas à ma question. Elle devait déduire seule que tes « beh » « bah » ne sont que l’expression d’une nouvelle liberté qui t’est chère et non d’une insolence que tu as développée ?

- Mes « beh » « bah » ? elle répète confuse.

— Elle n’apprécie pas quand tu les lui sors.

— Putain, je me retrouve dans quoi moi, elle soupire main sur son visage.

— Penses-tu que ta mère veut ton bien ?

— Be…, oui, elle se corrige.

— Alors, pourquoi ne pas simplement lui présenter tes idées et lorsque tu vois qu’elle ne comprend pas, tu lui dis qu’elle se trompe au lieu de te lancer dans les cris ?

— Je vais essayer, mais elle doit faire des efforts aussi parce que ça va pas du tout. Elle ne peut pas m’accuser de choses que j’ai pas faites. C’est blessant et en plus elle doit comprendre que mes idées changent avec l’âge. Paris c’était mon rêve quand je ne connaissais que la France. En plus, elle n’a pas les bonnes infos, parce que j’ai des potes qui n’ont aucune intention d’aller en France après le bac et ils ne viennent pas de familles pauvres. Certains ont opté pour la Côte d’Ivoire, il y a une fille qui a même choisi Singapour. On veut voir le monde nous, il y a tant de découvertes à faire.

— Je comprends mon ange et ce que je veux, c’est ce que tu communiques ça à ta mère. Ce n’est pas facile pour elle de te savoir loin et découvrir tes projets ou nouvelles idées dans des disputes. Retourne lui parler calmement et tu verras que votre problème n’est en réalité que l’incompréhension, je l’encourage et le soir, je l’entends parler à sa mère sur la terrasse.

J’attends qu’elle finisse pour appeler Stella et lui parler seul à seul.

— Je tiens à m’excuser ainsi qu’auprès de ta femme. J’ignore ce qui m’a pris hier, elle commence.

— Ma femme est déjà couchée, mais je lui transmettrai le message. Comme nous sommes sur le sujet, je me permets de te conseiller ayant une petite expérience dans ce que tu traverses. J’ai été jaloux de ton mari aussi Stella.

— De quoi tu parles ?

— J’ai été jaloux, je répète. Jaloux du fait que Hadassah l’appelait papa tandis que j’étais juste le chef. Jaloux qu’il me fallait marcher sur les œufs ou forcer la discussion pour connaître ma fille tandis qu’un autre qui n’est même pas son géniteur avait facilement accès à elle.

— Je suis désolée…

— Je n’essaie pas de t’incriminer, on est déjà passé sur ce sujet. J’essaie plutôt de te dire que ta jalousie si tu la ressens comme je le suspecte n’est pas étrange. C’est dur de voir son enfant, l’être qu’on aime follement s’attacher à un autre tandis qu’il est ou dans ton cas semble devenir un étranger, mais je peux te rassurer sur deux choses. Hadassah ne change pas à cause de son amie comme tu l’as sous-entendu ou encore ma femme. Elle grandit, ses idées se construisent, son caractère se forge, c’est un humain comme les autres. Elle ne sera pas statique et la proximité avec ma femme est facile parce que Tessa est plus jeune que nous, mais jamais elle ne s’est projetée comme mère de Dada. Et je précise qu’elle aime son surnom. Elle m’a déjà boudé parce que je ne l’ai pas appelé ainsi.

— Je sais, elle m’en a parlé et tu as raison. Les jours passent et je me rends compte qu’elle devient une femme. Elle a des amis hors de mon cercle, elle vit des choses qu’elle me raconte des jours plus tard, mais j’entends que ta femme était déjà au courant. C’est dur à supporter, surtout qu’elle est mon unique bébé. Je ne veux pas qu’elle change drastiquement.

— Elle ne changera drastiquement à tes yeux que si tu n’apprends pas à déceler les petits changements qui surviennent avec le temps parce que personne ne change subitement du jour au lendemain. Au final, aussi cliché que ça sonne, la solution se trouve dans une communication franche de chaque côté.

— Merci de m’avoir écouté Romelio. Je sais que tu le fais pour elle, mais tu m’as rassuré et j’apprécie.

— C’est normal, tu es sa mère, je lui rappelle et le sourire qu’elle me sort me confirme que cette reconnaissance vient de la soulager.

Le problème étant réglé, la bonne humeur reprend sa place dans ma maison le lendemain. Je fais livrer une composition de pivoines blanches et roses au magazine pour Tessa.

— Qu’est-ce qu’on célèbre ? elle me demande sur un ton affectueux dès que je décroche.

— Notre relation, elle m’est chère alors on mérite de la célébrer. Bon début de semaine Mini, je prie qu’elle soit merveilleuse et s’il advenait qu’elle ne le soit pas, on la passera ensemble.

— C’est moi qui t’aime trop en réalité.

— Ah bon hein ? C’est pour roucouler au téléphone que Sia te paie ?

— C’est Dada qui a raison, tu es teigneux, elle rigole et on se laisse sur ça.

***Garcelle Ekim***

L’accouchement m’a traumatisé et dire que je prévois en faire d’autres à Saahene. Bref, pour le moment je m’extasie devant mon fils qui fait sa première tétée. Ma grossesse ne fut pas de tout repos. Entre les présentations familiales qui furent glaciales du côté des Asamoah et les difficultés de communication avec le père de mon bébé, j’ai bien failli regretter mon choix, mais heureusement, ce n’est pas ma nature de me décourager facilement.

Maman prend le bébé qui finit de téter pour le changer et quand elle finit, elle le donne à Saahene qui le regarde avec tant de fierté. Il lui parle dans sa langue, le twi ou le fanti, je ne fais pas la différence, mais c’est symbolique donc je filme pour en profiter plus tard. Ce sera ma première publication sur le Net et la seconde sera de mon fiston dans sa poussette Cybex de Jeremy Scott offerte par son papa. J’ajouterai une jolie légende, « que nos enfants aient des pères riches et des mères magnifiques, amen » pour emmerder les connaissances qui font les faux culs auprès de moi depuis que j’ai affiché sur le net les nombreux cadeaux du bébé. Les cœurs vont brûler en voyant le père lui-même, sexy comme tout avec cette barbe qui lui donne cinq ans de plus que ses 18 ans. Il est majeur désormais, qu’on vienne encore me fatiguer.

— Vous avez toujours besoin d’un test ADN ou tu vois facilement tes traits sur Andino ?

— Andino ? Is that a Gabonese name? il me retourne en anglais.

Lui et moi communiquons généralement ainsi. Il veut s’habituer au français donc je le parle avec lui.

— Non, c’est un prénom nigérian, celui de mon père, je lui explique sans faire cas des gros yeux que me fait maman.

—Forget about it, my parents will never accept it.

— Tes parents ne vont pas accepter ? je répète confuse. On peut savoir pourquoi ? je continue irritée en imaginant ce que la pute d’Elikem a dit là-bas.

—We have Ghanian names, why would he bear a Nigerian one?

— Parce que son grand-père paternel est nigérian. Qu’est-ce qui est difficile à comprendre dans ça ?

—And why is it hard for you to grasp that we are Ghanian? We have our own customs especially as Asamoahs. We are named after our elders. From Yafeu to Thema, including me, we all have Akan or Fante names. You can pick a second name if you want, but Andino will not make the cut. I don’t like it.

— On peut savoir quel nom ils ont dont choisi ?

—Redmond, he will be named after my uncle Red.

— Over my dead body! je rejette cette idée avec tant de force que mon corps se soulève du lit.

Maman essaie de me tempérer, mais je ne peux plus m’arrêter bien que Saahene me demande des explications à ma réaction. Ils vont me passer sur le corps avant d’appeler mon enfant Redmond. Il est sorti de leur con ou du mien ? Si c’est pour me faire payer la poussette Cybex qu’ils veulent coller une version du prénom de l’autre malchanceux à mon enfant, ils peuvent la reprendre !

D’amour, D’amitié