
Chapitre 14
Write by Spice light
– Joan MUAMBA FOKE –
Je suis hyper étonné de voir l’appel de maman aussi tôt. Je dormais encore. La flemme depuis quelque temps, mais celle d’hier était à un autre niveau : même les révisions en groupe, je n’y suis pas allé. Après que papa a crié au téléphone, je rassemble mes dernières forces et fais un petit sac pour aller chez eux. Entre-temps, je fais le ménage et je range tout, avant d’appeler Alliance pour lui dire que je rentre chez les parents.
[…]
J’arrive, j’ouvre le portail et vais frapper à la porte. C’est la ménagère qui m’ouvre.
— Bonjour Joan.
— Bonjour. Les parents sont là ?
— Oui, maman est rentrée du travail ce matin, et quant à monsieur, il n’est pas sorti aujourd’hui.
— D’accord, je dépose d’abord mon sac. Sinon, ça va ici ?
— Oui, oui, on va tous bien.
[…]
— Ça se passe comment là-bas ? me demande maman.
— Ça va bien, maman. Je comprends maintenant pourquoi tu es si dévouée à ton travail.
— C’est bien que tu aies compris. C’est important. Surtout, on travaille d’abord pour sauver des vies. L’argent vient après, sauf qu’aujourd’hui, tout a changé. Le corps médical n’est pas le seul fautif, les patients y sont pour beaucoup. Toi-même, tu vois mon rythme de travail depuis des années maintenant : on te soigne, et à la fin, au lieu de payer les frais médicaux ou de signer une reconnaissance de dette, tu préfères fuir. Ce métier, on le fait par passion, oui, mais aussi parce qu’il est rémunéré. Si c’était gratuit, il n’y aurait pas tous ces spécialistes de santé aujourd’hui.
— Tu as bien raison, maman. Sinon, papa est où ? Je ne l’ai pas vu.
— Attends que je l’appelle. L’heure passe et je suis de garde toute cette semaine.
Maman revient avec papa.
— Le vié, on dit quoi par ici ? Tu t’es fait petit toute la journée.
— Ça va, mon petit. Seulement, la vie avec ses surprises…
— Ah oui, des surprises, il y en a tellement.
— Bon, si je t’ai fait venir, c’est parce que, tu sais, dans la vie, on vit pour un jour mourir, c’est comme ça. Mais seulement, la mort n’avertit pas, elle ne choisit pas qui prendre. Aujourd’hui, c’est Marguerite qui est partie. Demain, peut-être que ce sera moi, et ainsi de suite. Dans tout ça, tu dois être fort, mon fils.
— Donc tu veux me dire que je suis orphelin ? Maguy est morte ?
— Oui Joan. Et je te présente toutes mes condoléances. En attendant le programme des obsèques, tu resteras ici et tu pourras recevoir toute personne qui viendra te présenter ses condoléances, me dit maman.
Je me lève simplement et vais dans la chambre, que je ferme à clé. Donc tous mes espoirs, les films que je me faisais avec ma mère… ne se réaliseront pas ? Après combien d’années j’ai espéré ? J’étais tout près du but. L’année prochaine, j’allais être transféré à la capitale et entamer les démarches pour la retrouver. Je n’arrive simplement pas à pleurer. Je suis dans le déni.
Une semaine après, les gens défilent pour me présenter leurs condoléances. Comme on le dit, la vérité vient par les escaliers. Aujourd’hui, il faut expliquer pourquoi ma mère est morte alors que maman Elsa est vivante. Puisqu’ils ne l’ont jamais dit. J’ai le cœur lourd. Demain tôt le matin, on s’en va pour les funérailles. J’ai même raté les examens, mais ce n’est plus un problème pour moi.
[…]
Une fois arrivé là où se déroulent les obsèques, toute ma famille maternelle se précipite vers moi, en larmes. C’est comme ça que j’apprends être l’unique enfant de ma mère. Au fond, j’espérais qu’elle avait eu d’autres enfants… mais non.
On m’apporte une chaise. Je me mets avec mes parents qui sont avec moi. Ivy et Sun sont là aussi, ainsi que quelques membres de la famille de papa et deux petites sœurs de maman Elsa. J’apprécie le geste. Je ne m’imaginais pas rester seul avec tout ce monde, bien qu’ils soient ma famille maternelle.
Le soir, c’est la veillée, et demain tôt le matin, on se prépare pour la morgue. Je m’habille tout en blanc. Bien que les autres soient en noir, maman n’aimerait pas que je m’habille en noir. Elle ne préférait d’ailleurs pas cette couleur.
On sort le corps de la morgue. Tous (sa famille principalement) pleurent. Mais moi, non. Même maman Elsa laisse couler quelques larmes. Papa est si triste. Je n’ai jamais demandé la nature de leur relation, et je ne sais vraiment pas comment ils en sont arrivés là.
[…]
Le jour de l’enterrement, il faut commencer par le témoignage. Et j’apprends, à l’annonce du programme, que j’ai un temps pour lui dire quelques mots.
« Mère de deux enfants, comme elle aimait si bien le dire, Marguerite IYOMBE, 44 ans, nous a laissé un enfant, puisque l’un est mort nourrisson. Elle est décédée des suites d’une courte maladie. Issue d’une famille nombreuse, elle est la première à laisser ses frères et sœurs. Elle a eu un parcours triste, mais est restée forte et objective. Nous demanderons au responsable de la famille de préparer son témoignage, ses frères et sœurs ainsi que son fils. »
À mon tour, mon père me tient la main et je m’avance vers l’estrade. Je saisis le micro afin de m’exprimer.
— Maman, après toutes ces années, ton fils est là. Celui que tu faisais passer avant tout est là, mais toi, tu es allongée. Après tous ces espoirs nourris durant des années, malgré les desseins de mon cœur, tu n’es pas là. Tu es présente, je le sens, mais impossible pour nous de communiquer. J’aurais voulu que tu m’expliques. Mais je t’aime, maman.
Je rends le micro, et toujours soutenu par mon père, je regagne ma place. Alors que nombreuses personnes pleurent encore plus après mon discours, je reste serein. Je n’arrive toujours pas à y croire.
Le moment du dépôt de gerbes de fleurs ainsi que du dernier au revoir arrive. Un oncle vient me chercher : c’est moi qui ouvre le bal. Au fur et à mesure que j’avance, mon cœur bat plus fort. Une fois devant le cercueil, j’ai l’impression de sombrer. Je pose mon regard sur son corps allongé là-dedans. Son doux visage, un peu tristement endormi. J’ai l’impression qu’elle me sourit… et je pousse un grand cri. Je viens de réaliser : je n’ai plus de mère. C’est une évidence.
— Elle a tout plaqué pour t’attendre, tu sais ? Mariage, travail, voyage… tout, me dit l’oncle derrière moi.
Je pleure encore plus. Surtout avec les pleurs de celles installées près du cercueil. Je me réfugie dans les bras d’une certaine tantine Jaël. On pleure tellement que je me sens étouffé… et je perds connaissance.
On m’asperge d’eau, et je finis par me reconnecter à la réalité.
Les gens continuent de passer pour se recueillir auprès de son corps. Mais où était tout ce monde quand elle n’allait pas bien ? Pourquoi ne l’ont-ils pas aidée à me chercher ? Et pourquoi elle-même ne l’a pas fait ? Elle disait toujours que je comptais le plus pour elle. Peut-être qu’elle voulait me laisser vivre avec mon père. J’étais sa priorité. Mais je ne l’ai pas priorisée. Pourquoi n’ai-je pas entamé les recherches dès l’année dernière ? Toutes ces questions me font me sentir encore plus mal.
Après le mot du chef de famille, on embarque pour le lieu de son repos éternel. Je vois comment on la met sous terre… Vraiment, la vie n’attend pas. Ces sept années auprès d’elle étaient les meilleures de ma vie. Peut-être qu’elles le resteront pour toujours. Mais revenir dans ce lieu pour la revoir, je ne sais plus si j’en aurai la force.