
Chapitre 5 : Une femme à sa mesure
Write by Kaylee
CHAPITRE 05
*** REBECCA
Je suis dans la cuisine du restaurant, en train de vérifier les assiettes dressées pour le service du soir. Ce soir, le menu est raffiné : carpaccio de saumon fumé à la mangue, filet de bœuf mariné au romarin, et pour finir, ma crème brûlée à la vanille de Madagascar. Chaque détail compte. Ici, rien ne sort sans mon approbation. Je suis la chef. Et ce restaurant, c’est mon royaume.
Une commis dépose une assiette devant moi. Je goûte, ferme les yeux un instant.
— Moins de sel, dis-je.
Elle hoche la tête et recommence. Elle sait que l’exigence est la règle ici.
J’adore cet endroit. J’y ai tout construit. Il y a trois ans à peine, je ne savais même pas comment découper correctement une dorade. Aujourd’hui, je forme des équipes entières et je signe les cartes d’un restaurant d’hôtel parmi les plus cotés du pays.
Tout ça, je le dois à une seule personne : mon mari.
Saïd.
Il m’a repérée, aimée, formée, poussée. Il a cru en moi quand moi-même, je doutais. Sans lui, je serais peut-être encore serveuse dans un petit bistrot de Durban. Aujourd’hui, j’ai un nom, un statut, une famille.
Un message clignote sur mon téléphone.
Saïd : « Ma belle, tu me manques. Je pense à vous. Dis à mes princesses que papa les aime. »
Je souris. Mon cœur se serre un peu. Deux semaines qu’il est au Bénin. Ce n’est pas toujours simple, mais je me rappelle pourquoi il voyage : c’est pour nous. Pour les filles. Pour notre avenir.
Je m’essuie les mains, prends un selfie rapide en tablier, puis je lui réponds :
Moi : « On pense à toi aussi. Tes princesses vont bien. Elles réclament déjà leur cadeau. Moi aussi d’ailleurs. On t’aime. »
Je range le téléphone et reprends le service. Ce soir, l’hôtel accueille une délégation d’affaires française. J’ai supervisé le menu personnellement. Tout est millimétré.
À 21h, je souffle enfin. Je sors par l’arrière de l’hôtel. Mes épaules sont lourdes, mes pieds brûlent dans mes chaussures, mais j’ai cette satisfaction discrète que seuls les chefs connaissent : tout a été maîtrisé aujourd’hui.
L’air est moite, mais il me fait du bien. Je m’apprête à me rendre au parking pour chercher ma voiture quand je me sens observé.
Et comme une mauvaise habitude, il est là. David.
Adossé à sa voiture, chemise entrouverte, montre qui brille, sourire trop assuré.
— Rebecca… tu sais que je pourrais t’attendre toute la nuit ?
— Tu n’as pas autre chose à faire ? répliqué-je d’un ton sec, sans même ralentir.
— Oh, j’ai mille choses à faire. Mais aucune d’aussi captivante que de croiser ton regard. Tu as vu ton reflet aujourd’hui ? Une reine, comme toujours.
Je roule des yeux, agacée par son ton de séducteur de pacotille.
— Ce que je vois, c’est un homme qui a confondu persévérance et harcèlement. Va jouer ailleurs, David.
Il marche à côté de moi, mains dans les poches, la voix douce mais insistante.
— Ce n’est pas du harcèlement. C’est de l’admiration, pure et simple. Franchement, ton mari est soit un saint, soit un idiot. Comment peut-il te laisser seule aussi longtemps ?
Je m’arrête net. Je me retourne vers lui, mes yeux plantés dans les siens.
— Tu crois vraiment que l’amour, c’est une présence physique constante ? Tu crois que l’absence, c’est de l’abandon ? Moi, je vois un homme qui sacrifie son confort pour le bien de sa famille. Et toi, je vois quoi ? Un type qui tourne en rond dans le parking d’un hôtel, incapable de comprendre ce qu’est le respect.
Il esquisse un sourire, visiblement un peu ébranlé, mais toujours dans son rôle.
— Je dis juste que tu mérites mieux. Tu mérites d’être célébrée. Et je suis prêt à le faire.
— Tu crois que je suis en promo ? Étiquette “à choyer” incluse ? je réplique, le ton acerbe. Je n’ai pas escaladé cette montagne pour finir trophée dans ta vitrine. Ce que j’ai, c’est un amour solide. Toi, ce que tu proposes, c’est une illusion. En solde.
Il me regarde, silencieux, puis hausse les épaules.
— Tu changeras peut-être d’avis.
— Non. Toi, tu changeras de trottoir.
Je le laisse là, sans un regard en arrière. Il ne me suit pas cette fois. Et s’il a un minimum de dignité, il ne reviendra pas. Je monte dans ma voiture, démarre, et laisse la colère s’évaporer dans l’air moite.
C’est facile d’être fidèle quand on sait ce qu’on a. Et moi, je sais.
À la maison, je trouve Sarah et Soraya en pyjama, vautrées devant un dessin animé, leurs rires emplissant le salon. Dès qu’elles m’entendent, elles se précipitent vers moi.
— Maman !
— Mes trésors ! dis-je en les serrant dans mes bras. Vous avez été sages ?
— Ouiii ! crient-elles en chœur, leurs yeux pétillants.
— Alors mes championnes, racontez-moi tout. L’école ? La cantine ? Les copines ?
— Sarah a mangé DEUX desserts ! dénonce Soraya, indignée.
— J’avais faim ! proteste Sarah. Et puis c’était des fruits. Des fruits, c’est sain !
Je ris, secouant la tête.
— C’est noté, future nutritionniste. Mais demain, un seul dessert, d’accord ?
— Promis ! disent-elles en chœur, les doigts croisés dans le dos.
Leur odeur, leur chaleur, leurs petits bras autour de moi… c’est ma force, mon ancre quand Saïd est loin. Elles sont le fruit de notre amour, deux petites tornades pleines de vie. Quand Saïd est là, il devient leur héros, leur papa gâteau. Il joue avec elles jusqu’à ce qu’elles s’effondrent de rire, achète des jouets qu’elles n’ont même pas demandés, dort parfois sur le tapis du salon juste pour être près d’elles. Je les installe pour leur dîner, et pendant qu’elles mangent, je pianote sur mon ordinateur, griffonnant une idée de menu : un mix de cuisine sud-africaine et méditerranéenne, un clin d’œil à nos origines mêlées.
Soraya grimpe sur mes genoux, son assiette à moitié terminée.
— Maman, papa revient quand ?
— Bientôt, mon cœur. Il m’a dit qu’il avait une surprise pour vous.
— Un poney ? lance Sarah, les yeux brillants.
— Peut-être ! dis-je en riant. En tout cas, je suis sûre que vous allez adorer.
Elles s’installent pour dessiner, décidées à faire une surprise à leur père. Elles le représentent en super-héros, cape rouge, un cœur géant sur la poitrine. Je ris doucement, prends une photo, et l’envoie à Saïd.
Moi : « Tes fans n°1 ont encore frappé. »
Il répond dans la minute, avec une flopée d’emojis cœur.
Je les couche ensuite, une dans chaque bras, comme tous les soirs. Et une fois qu’elles dorment, je reste quelques minutes à les regarder. Elles lui ressemblent tellement. Ce teint doré, ces cils longs, ce petit air fier…
Je couche les filles, une dans chaque bras, comme chaque soir. Une fois qu’elles dorment, je reste un moment à les regarder. Elles lui ressemblent tellement – ce teint doré, ces cils interminables, cet air fier même dans leur sommeil. Je m’allonge dans mon lit, fais défiler les photos de notre mariage. Trois ans déjà. La dot, les quatre millions, la fierté dans les yeux de mon père, les chants, les rires… Et Saïd, dans son costume sur mesure, si beau, si sûr. Il m’a sortie de mes galères, m’a fait grandir. Même s’il n’est pas parfait, je ne l’échangerais pour rien au monde.
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Le lendemain, à 6h30, je suis déjà debout. L’alarme n’a pas besoin de sonner – c’est un réflexe. L’hôtel s’éveille tôt, et moi aussi. Je me glisse hors du lit sans bruit, les jumelles encore endormies, Soraya blottie contre Sarah. Inséparables, ces deux-là. Je passe à la salle de bain : douche rapide, jean, tee-shirt noir, tablier noué à la taille. Avant de partir, je prends un moment pour prier, comme tous les matins. Je remercie Dieu pour ma vie, mes filles, mon travail… et surtout pour Saïd. Il a vu en moi ce que personne d’autre n’avait vu. Il m’a donné des ailes, pas juste de l’argent. Grâce à lui, je marche la tête haute. Fière. Fidèle.
À 7h, je suis en cuisine. L’équipe m’attend, et un nouveau stagiaire, Brian, commence aujourd’hui. Il est intimidé, ça se voit dans ses yeux.
— Bonjour, Chef, dit-il timidement.
— Bonjour, Brian. Ici, on est une équipe. Aujourd’hui, tu observes, demain, tu participes. Ça marche ?
— Oui chef.
Il sourit, soulagé. Je vérifie les stocks, valide les livraisons, goûte, ajuste, encadre. L’excellence, toujours. Ce restaurant porte le nom de mon mari. Il mérite le meilleur.
À midi, mon téléphone vibre. Appel vidéo. Rien qu’à voir son nom, mon cœur bat plus vite.
— Bae ! dis-je, rayonnante.
— Tu es au boulot, je ne te dérange pas ? demande-t-il, sa voix chaude me faisant presque oublier la frénésie de la cuisine.
— Tu es la meilleure distraction qui soit.
— Tu me manques, Rebecca. Les filles vont bien ?
— Oui, elles t’attendent. Elles parlent déjà de la surprise que tu prépares. Moi aussi, d’ailleurs.
— Je suis en train de tout organiser, dit-il, un éclat malicieux dans les yeux. Tu vas adorer. Promis.
Avec Saïd, c’est toujours une promesse tenue. Le week-end dernier, il m’avait envoyé des fleurs à mon bureau avec un mot : « Même à distance, mon cœur est à toi. »
— Je dois te laisser, ma reine. Je t’appelle ce soir.
— Je t’aime.
— Moi plus encore.
Je raccroche. Je reste là, quelques secondes, à savourer. Il me fait me sentir unique. Et je le crois.
Je raccroche, le cœur léger, et retourne à mes fourneaux. L’après-midi défile dans un tourbillon de commandes et d’ajustements.
À 17h, je récupère les filles à l’école. Sarah parle sans s’arrêter, racontant sa journée, tandis que Soraya, plus rêveuse, chantonne à l’arrière.
Le soir venu, après les avoir couchées, je m’offre un bain. Juste moi, le silence, et cette gratitude immense.
Beaucoup de femmes se battent pour exister chez elles. Moi, je suis célébrée. Aimée. Respectée.
Mais je reste sur mes gardes. Pas à cause de Saïd. Parce que je sais que le monde aime voir les couples heureux échouer. Mais je protège mon foyer. Corps et âme.
Je me glisse dans mon lit, une tisane à la main. Je griffonne des idées pour un livre de recettes. Un projet personnel. C’est Saïd qui m’y pousse.
— Tu as du talent, Rebecca. Il faut que le monde le voie.
Je m’endors en pensant à lui.
À nous.
À ce bonheur que rien ne semble pouvoir ternir.