
114: Smooth operator
Ecrit par Gioia
***Elikem Akueson***
Je suis de retour à
l’appart des filles depuis trois jours. J’essaie de m’installer en douceur ici
en commençant par réaménager un peu la chambre de Snam pour qu’elle soit plus à
mon goût. Maman avait la charge du loyer depuis que les filles sont venues à Nairobi,
mais puisque Dara déménage petit à petit, et d’ici la fin de l’année devrait le
faire totalement, il me faut discuter avec Hilda de la suite des choses. Maman
me l’a un peu confiée, après m’avoir expliqué son histoire. Elle est assez
insaisissable dernièrement donc j’ai dû lui glisser un mot sous la porte avec
mon numéro d’écrit dessus pour qu’on s’entende sur une date. Le lendemain, en
soirée, elle et moi prenions place au salon.
— On se détend,
je ne viens pas te couper la tête, je blague parce qu’elle me paraissait
stressée.
— Je suis encore
une fois désolée pour Cédric. Tu vois, il n’est pas togolais comme nous, et le
pire anglophone donc c’est plus un problème de culture qu’autre chose. Il ne
savait pas que c’était offensant.
— L’excuse de la
culture différente je ne l’achète pas pour être honnête, mais de toutes les
façons, ce n’est pas pour parler de lui que je t’ai écrit. C’est plutôt pour
qu’on discute un peu de notre cohabitation.
— Ah OK, je
t’écoute.
— Comme tu le
sais, Dara bougera d’ici la fin de l’année. Il y a de fortes chances que je
m’installe ici et vive avec toi. Comme le loyer est de 90 k dans votre
monnaie, et on se retrouve à deux, on a trois options. La première, on se
partage en deux et on finit à 60. Si c’est trop pour toi, on peut chercher une
troisième coloc pour se retrouver à 30 k par tête, ou on se cherche un
nouvel appart de deux chambres. J’ai vu le concierge qui m’a dit qu’il y en a
quelques-uns dans l’immeuble, donc heureusement on n’aura pas besoin de bouger
ailleurs, à moins que tu veuilles changer de coin. Personnellement je suis
ouverte à tout.
— En fait,
j’attendais que Dara se marie avant d’annoncer ma nouvelle, mais voilà, elle
dit avec un grand sourire en agitant sa main gauche et sur son annulaire se
trouve une jolie bague.
— Oh je n’avais
pas fait attention, mes félicitations. Vous vous êtes entendues entre filles ou
quoi ? je demande en rigolant.
— Même pas. C’est
vrai que j’ai donné quelques signes à mon mec, mais il m’a totalement surpris
avec, donc pour en revenir à ta proposition, je pense qu’il te faudra chercher
des colocs ou déménager peut-être ? Je
suis désolée de te l’annoncer si tardivement.
— Mais non, ne le
sois pas, je n’étais même pas certaine de m’installer ici la semaine passée. Tu
as déjà une date de confirmée pour ton mariage ?
— On en discute
encore, mais ça devrait se faire en janvier.
— Wow janvier à
côté-là ? C’est
proche hein.
— Yep, je n’en ai pas l’air, mais je suis
ultra stressée par les préparatifs actuellement.
— Bah, s’il y a quelque chose qu’on peut
faire pour t’aider, n’hésite surtout pas.
— Merci la grande. Comme tu le proposes
en fait, oui j’aurais une petite demande à formuler, mais ce n’est pas lié au
mariage. Est-ce que tu peux me filer le numéro d’Océane ?
— Oh euh__, oui donne-moi une seconde, je
lui dis et texte la concernée qui me confirme qu’elle n’y voit pas
d’inconvénient, du coup je le balance à la petite.
— Super, un gros merci, elle chantonne en
s’éloignant avec un grand sourire.
Quelque chose me dit qu’elle s’est attachée à
la grande folle d’Annie. C’est drôle et touchant. Je retourne également à mes
affaires et le lendemain, je plie bagage pour faire ma semaine chez Snam comme
convenu. Ils sont en appel de famille avec les grands-parents Magnim et Ciara
qui se trouvent dans un coin de l’Afrique australe actuellement. Je m’arrête
pour des salutations rapides, les complimente sur leurs joies qui transpirent
presque de l’écran et continue à répondre à Océane qui m’embêtait depuis le
matin pour connaître mon emploi du temps des jours à venir. En réalité, elle
est plus excitée par mon installation que moi-même.
Le lendemain, je me lève super motivée avec
l’intention de jardiner une fois que j’aurai rempli quelques demandes d’emploi.
Snam et moi avons longtemps parlé des projets sur sa cour arrière, mais qu’elle
reporte régulièrement par manque de temps. Vers 10 h 30, je ferme mon
ordi, discute un peu avec maman pendant que je vais chercher Solim à la
garderie. Il fait en général la demi-journée, mais ce n’est pas la fin du monde
de le faire sortir une heure. Sa mère qui se trouve à l’uni m’a donné son
approbation de toute façon. Ça m’amuse de le voir s’exciter comme s’il
comprenait un mot du plan que j’ai prévu pour nous. Je le nourris, le force à
faire la sieste sans pour autant y arriver totalement. Il se réveille après
moins d’une heure, et ne veut plus coopérer donc je l’installe dans son bac à
sable avec ses jouets dans un coin où je peux le surveiller puis j’attaque ma
tâche tout en fredonnant un air joyeux. Aucune idée de combien de temps s’est
écoulé, mais je me fais interrompre par la sonnette.
— Maman a oublié sa clé ? je
lui demande tout en le sortant de son bac pour qu’on aille voir de qui il
s’agit.
Je distingue une forme étrange par la partie
vitrée de la porte d’entrée quand je me rapproche. Je m’empresse d’ouvrir,
croyant que peut-être Snam avait besoin d’aide avec des sacs de course, mais je
me retrouve nez à nez avec un gigantesque bouquet de roses rouges tenu par
l’homme qui sait classer les chaussures des gens.
— Il paraît que tu ne dors plus par ma
faute ? Voilà, il dit et me présente l’énorme bouquet.
C’est parce que Solim
s’agite sur ma hanche que mon esprit parvient à revenir sur tête et je constate
que c’est réellement ce type qui se tient là.
— Je dois en
conclure que tu n’aimes pas les fleurs ?
— Mais qui t’a
d’abord demandé des fleurs my friend ? Tu
fous quoi ici ? je
réplique furieusement.
Il me prend de court
en tournant les talons, avance jusque vers les poubelles et je m’écrie quand je
comprends ce qu’il veut faire.
— Tu es malade ? Tu vas jeter un bouquet de je ne sais pas
combien de fleurs ? Tu
sais combien ça coûte des fleurs de ce genre?
— Donc tu les
veux ou pas finalement ? Je ne
lis pas dans les pensées, il me répond au loin.
— Je ne veux pas
tes fleurs et tu n’as pas intérêt à les jeter ici. Va les offrir à quelqu’un
d’autre, je réponds et claque la porte.
Solim choisit ce
moment pour se mettre à pleurer et étire son corps vers la porte comme s’il
pouvait l’ouvrir. Je le berce, mais rien.
— Tu arrêtes
maintenant, sinon tata va se fâcher ! je le
gronde, mais il ne veut rien entendre.
On sonne à nouveau.
J’ignore, l’instant de calmer Solim qui me montre je ne sais quelle force il
croit avoir. On sonne à nouveau. Le sang dans mon corps s’est réchauffé
subitement. Je vois rouge, j’ouvre et lance mon pied qui fend simplement l’air.
L’individu se tient bien loin du perron avec son bouquet, un sourire moqueur
sur ses lèvres.
— Je m’attendais
à un seau d’eau, mais un coup de pied n’est pas mal aussi.
— Je ne veux pas
de tes satanées fleurs demi-portion !
— Qu’est-ce que
tu veux dans ce cas ? il me
prend de court avec la douceur de sa demande.
Une idée mesquine me
traverse l’esprit sur le champ. J’inspire un bon coup et lui souris.
— Entre donc, je
lui propose et m’efface.
Il s’exécute et je lui
demande de me suivre jusqu’au jardin.
— Prends un
râteau et tu étales le fumier de ce coin, je commence en désignant l’endroit,
jusque-là.
Le regard qu’il me
retourne m’aurait fait pouffer de rire dans d’autres circonstances, mais je
garde un air bien serein.
— Tu veux que je
prenne un râteau ?
— Un souci avec
tes oreilles ? Tu as du mal à entendre ? Je le provoque.
— Bien, où
dois-je déposer les fleurs ? il me
prend à nouveau de court.
— Euh, je__, dépose-les
sur la table à manger, je vais m’en occuper tout à l’heure.
Il s’exécute, revient
et j’écarquille les yeux quand il s’attaque à la fermeture de sa tunique jaune.
— Qu’est-ce que
tu fais ?
— Tu ne veux plus
que j’étale ton fumier ?
— Mais demande une
pièce pour ça non ! Bref
tu trouveras des toilettes dans le couloir, seconde porte sur la gauche,
j’indique le visage détourné.
Il s’éclipse et je
sors le trotteur de Solim pour le mettre dedans. Je précise que le traitre
s’est calmé dès que j’ai réouvert la porte. Le bouquet est si gros que j’ignore
comment le porter. Snam n’a certainement pas de vase pour le contenir, mais le
plus surprenant c’est que ce type allait jeter tout ça il y a moins de vingt
minutes. C’est un malade mental, je commence à le croire. Le bouquet sous les
bras, je vais en cuisine, prend le plus gros saladier de Snam, le remplit d’eau
et y dépose les fleurs après quelques gymnastiques.
Je reviens au salon et
mes yeux tombent sur une vision agressive et non sollicitée. Il est sorti de la
salle de bain quand ? Et
qu’est-ce qu’il fout torse nu, le cou penché sur ma tablette ? Je me dépêche et l’arrache sous son regard
inquisiteur.
— On ne t’a pas
appris à te mêler de tes affaires à ce que je vois !
— J’étais
curieux, il dit sans aucun remords.
— Tu emmènes ta
curiosité loin de mes affaires !
— D’accord
Akueson, il répond avec un sourire dont je ne sais quoi penser.
— Attends-moi
dans le jardin, je lui annonce, porte Solim pour me rendre dans ma chambre et
je reviens avec un de mes t-shirts assez amples que je lui donne.
— Je dois aussi m’apprêter
à recevoir un coup de pied de ton mari ?
— Han ? je fais confuse.
Il fixe ma main et je
comprends où il veut en venir. Je porte toujours l’alliance de Ray.
— Mes coups de
pied sont amplement suffisants.
— Je n’en doute
pas, il répond avec humour en fixant mes pieds.
Comme nous sommes sur
le sujet, je lui donne aussi mes crocs.
— Tu ne me fais
pas de réflexion sur leur taille. Elles appartiennent à mon frère, je lui dis.
Il hoche poliment la
tête et ensemble nous retournons dans le jardin. Je remets le petit dans son
bac à sable pour qu’on s’amuse pendant qu’on se délectera du cinéma d’un
richissime PDG qui étale du fumier. Vingt minutes plus tard, je ne veux que
deux choses, crier « bouh » et qu’on me rembourse mon ticket. Le film
n’est pas intéressant. Non seulement il ne galère pas, mais en plus il sifflote
comme si je lui avais trouvé l’activité parfaite.
— Mon père est
agriculteur, il m’informe à un moment comme s’il avait senti mon regard
inquisiteur sur lui.
— Je vois. C’est
de son jardin que tu as pris ses fleurs, raison pour laquelle ça ne te disait
rien de les jeter ?
— Tu ne les
voulais pas. Que voulais-tu que j’en fasse ?
— Excusez-nous, on
n’est pas encore à ton niveau pour tenter ce genre d’opérations.
— Est-ce que je
suis au niveau qui mérite quand même une bouteille d’eau ? Je meurs de soif.
— Tu gardes un œil
sur le petit s’il te plaît, je reviens, je lui dis avant d’aller lui chercher
sa chose.
Bouteille en main, j’y
retourne et j’écarquille les yeux de stupeur devant son torse reluisant de
sueur contre lequel est collé un Solim qui rigole parce qu’il se fait secouer.
— J’ai dit de le
surveiller, pas de le porter, je crie plus fort que prévu.
Il hoche un sourcil, mais
je continue.
— Et c’est quoi
cette manie de facilement se dévêtir chez les gens ? Tu ne connais pas le mot gêne ?
— Depuis quand es-tu
devenue si prude ? il
ironise.
— Quand on n’est
pas chez soi__, depuis quand quoi ? je me
reprends après une pause.
— OK, tu ne m’as
décidément pas reconnu. Terminale, Collège Protestant, ton com_
— Cédric, « je ne ferme jamais mes jambes » Asamoah ? je l’interromps
avant qu’il ne finisse.
— Comme on se
retrouve Elikem, il réplique sur un ton drôle que je ne partage pas du tout !
Malheureusement la
minute qui suit, les événements m’échappent à une vitesse fulgurante. Pour une
raison inconnue, j’étais si emportée par la conversation avec « je ne ferme jamais mes jambes » que je n’ai pas entendu la porte d’entrée s’ouvrir.
Le moment qu’on se rende compte de la présence de Snam, elle s’écriait « what c’est quoi ce bouquet », et son regard étonné se posait par la suite
sur Cédric au torse nu.
— Il s’en allait,
je déclare paniquée et frappe le torse de Cédric avec la bouteille tout en lui reprenant
Solim.
— Pourtant je n’ai
pas fini. Salut maman Rudyard.
— C’est bon pour
aujourd’hui.
— Bonjour tonton
Cédric, désolée de vous avoir interrompu, elle dit tout en me prenant le petit.
— Tu n’as rien
interrompu, j’interviens à nouveau. Il s’en allait.
Cette fois, je ne
donne pas l’occasion à l’autre de nous faire part de son opinion. C’est par la
main que je le tire, oubliant une seconde notre différence de poids.
— J’ai besoin de
ma tunique et une douche si possible.
— Non, mais ! Demande des babouches pendant que tu y es. On
t’a dit qu’ici c’est ton hôtel ? Je
vais te chercher ta tunique, attends ici, je lance, cours, mais à mon retour,
le type n’est plus là où je l’ai laissé.
Sa voix résonne au loin
dans le couloir et il remercie Snam pour la serviette qu’elle lui donne. J’ai l’impression
que mes nerfs vont exploser.
— Je suis désolée.
Je lui ai ouvert croyant que c’était toi.
— Pas besoin de t’excuser
Elie, tu as le droit de recevoir des gens ici si tu veux. L’essentiel c’est que
vous vous soyez réconciliés, Snam qui m’a rejoint me répond avec un sourire qui
ne me dit rien qui vaille.
— On ne s’est pas
du tout réconcilié ! Il est
venu m’emmerder.
-Ah__euh, donc je ne devais
pas l’inviter pour le dîner alors ?
Je me frappe la face avec
ma main gauche. Peut-être, c’est le ciel qui m’indique que Nairobi n’est pas
fait pour moi, parce que c’est insensé qu’il sorte d’un trou dès que je
considère l’option de m’installer ici.
47 minutes, les
gens. Il a passé une quarantaine de minutes dans la salle de bains des gens,
sans aucune considération pour notre facture d’eau. Il est sorti de là gaillardement
et s’est excusé, qu’il a utilisé la lotion de corps qu’il a trouvé.
— Oh c’est pas
grave, Snam aussi l’excuse facilement.
— Je serais volontiers
resté pour le dîner, mais je suis attendu ailleurs. Il est couché le champion ?
— Non, il est sur
sa tablette avec son papa.
— Ah d’accord, je
le reverrais une prochaine fois. Merci pour ton hospitalité, il continue à s’adresser
à Snam.
— Je t’en prie. Bonne
soirée alors. À la prochaine, Snam conclut et nous laisse.
— Bonne soirée,
il m’annonce et me prend par surprise alors que je l’attendais avec une
réplique cinglante si jamais il osait me sortir une nouvelle phase.
Il s’en va réellement en
marchant comme s’il était le propriétaire des lieux. Curieuse, je le suis pour
voir s’il me fait marcher, mais il se met réellement au volant d’une voiture
noir matte et s’en va. Bon au moins, il ne m’a pas donné du fil à retordre sur
ce plan. Vers 1 h du mat, alors que je m’apprêtais à dormir, voilà Océane
qui me demande par message si quelque chose d’intéressant s’est passé aujourd’hui.
Je lui réponds avec un « imbécile » en gros caractères. J’aurais dû me douter que
ce type n’aurait pas débarqué seul ici, et le lendemain, ce que je craignais que
Snam s’imagine sur nous, a commencé à se répandre. Maman m’appelle et se lance
sur un ton très joyeux.
— Alors j’ai entendu
chez Aïdara que tu__
— Faux et usage
de faux ! Il ne se passe rien
entre ce type et moi. Je voulais simplement lui donner une petite leçon après
qu’il ait insulté mes chaussures. C’est Océane qui s’est crue maligne et lui a
donné l’adresse de Snam alors que le type la cherchait elle. Il est venu avec
un bouquet, Snam nous a trouvé, bref un gros malentendu. Ce n’est pas ce que tu
crois maman.
— Tu me parles de
qui comme ça ?
-Je____, ce n’est pas
ce que tu as entendu chez Dara, je conclus avec regret pendant que mon esprit
enregistre le fait que je viens de donner le bâton pour qu’on me frappe.
— Elle a dit que
tu as trouvé des appartements dans l’immeuble, mais laissons ça pour le moment.
Qui est ce garçon ? Il t’a
offert un bouquet ? Il est
beau ?
— Maman, fais
comme si je n’ai rien dit.
— Mais pourquoi ?
— C’est celui qui
m’a giflé quand j’étais en terminale.
— Waow, et vos
chemins se croisent ainsi ? C’est
le destin alors, elle réplique avec un grand intérêt.
Je baisse la tête en
signe de défaite. Quelque part, je sens que c’est fini. La paix que je voulais vient
de prendre son vol sans difficulté.
***Océane Ajavon***
La petite Hilda me tue
de rire par ses messages. Elle m’a dit qu’elle est agent de com d’un magazine
et ça se voit à la facilité qu’elle a de mettre en valeur son beau-frère. Si je
n’avais un autre morceau sous les yeux ici, j’aurais honnêtement flanché pour
ce Cédric, parce qu’il ne faut pas se mentir. Il est à croquer le type. Si je n’avais
pas eu le temps de bien l’analyser durant notre première rencontre, elle s’est
arrangée pour me balancer des photos de lui qui m’ont convaincu qu’il sera très
bien avec Elikem. J’ai même fait des collages de leurs photos et c’est ce qui m’a
poussé à lui donner le feu vert pour qu’elle balance mon numéro au mec. Aucune idée
s’il l’a demandé comme elle voulait me le faire croire. De toutes les façons, le
type a simplement demandé si j’étais toujours fâché. J’ai conclu ce qui m’arrangeait,
soit qu’il croyait converser avec Elikem, du coup j’en ai profité pour faire arranger
un peu les choses à ma sauce là-bas et lui filer l’adresse de Snam, en lui
indiquant que s’il voulait s’excuser, il devait se déplacer.
« L’imbécile » d’Elikem
ne me fait ni chaud ni froid. Cabri peur n’a plu peur de couteau, et de toute
façon, je ne suis pas responsable de ce qui se passera entre deux adultes
vaccinés, à moins qu’il l’agresse ? Bon
sur le coup, je n’ai pas pensé jusque-là, mais je bloque la négativité, amen.
Pour le moment, j’ai un autre morceau à croquer. Après une courte absence, il
est de retour, le mari et frère des gens. Il est dans la salle d’attente de mon
Spa et ce qu’il ignore, c’est qu’il m’aura comme masseuse aujourd’hui. Je lisse
un faux pli sur la blouse de massage que je me suis fait faire juste pour cette
mission. Elle est deux fois plus courte que celles de mes employés, parce que
mes jambes, mon meilleur atout je pense, doivent être dans sa face lorsque je
ferai mes tours. Je me fais une queue de cheval plus serrée et d’un pas décidé,
je vais le chercher dans la salle d’attente.
— Mr Tountian ? je me lance sur une voix plus grave que d’habitude.
— Eben,
appelez-moi Eben, il me retourne sur un ton qui m’indique qu’il est sous le
charme.
— Suivez-moi, je
lui indique par le cou et prends de l’avant.
Je lui montre la pièce
où il doit se changer et vais l’attendre dans la salle tamisée où je vais le
torturer bientôt. D’abord, il se pointe en serviette un peu trop basse sur ses
hanches. Un visuel qui me fait douter l’espace d’une seconde, parce que je n’imaginais
pas qu’il cachait un corps aussi attirant sous ses vêtements. Je me reprends rapidement
en me rappelant qu’il est sous mon charme. C’est moi qui mène le jeu.
— Ici, mettez-vous
sur le ventre, je désigne la table pour qu’il s’installe.
— Est-ce que j’ai
réservé le 100e massage du Spa ?
— Euh non, pas à
ma connaissance, pourquoi ?
— Avoir la
patronne à ma disposition ce n’est pas rien, il réplique avec humour.
— Notre emploi du
temps est un peu surchargé récemment, je mens à moitié. Nous sommes effectivement
dans une bonne saison, mais j’ai tout simplement pris la place de sa masseuse.
— Félicitations, votre
réputation n’est plus à faire.
— Merci, je dis
fièrement. Même s’il le dit pour me flatter, j’aime naturellement les
compliments donc je le prends avec joie, pendant que mes doigts se délectent de
sa peau si__
— Si douce.
— Merci, je l’entends
dire avec humour et je m’arrête mortifiée quand mon esprit se rend compte que j’ai
verbalisé mes pensées.
-Je_, je commence en
me raclant la gorge, beaucoup d’hommes négligent l’entretien corporel, je lance
pour ramener la discussion sur un terrain plus générique.
— Je ne fais pas
partie de cette catégorie, quoique je ne vais pas jusqu’à l’extrême comme d’autres
aussi. Tant que je suis beau et propre, ça me va.
Fascinée par le spectacle
de mes doigts sur sa peau, je perds le fil de ses mots, jusqu’à ce qu’il m’arrête
en tenant mes poignets.
— Excuse ma
franchise, mais je pense qu’on devrait s’arrêter ici. Je ne veux pas vous
embarrasser, il m’avoue d’une voix aussi lourde que mes seins.
J’ai tellement perdu
le fil que je n’ai pas remarqué qu’il s’était remis sur le dos et ma poitrine
dandinait devant sa face. Je pourrais me pencher légèrement, il ôterait les
trois premiers boutons pour se faire de la place et sa bouche irait s’abreuver sur
chacun de mes tétons. L’image de moi penchée vers lui me fait réagir si violemment
que je m’en mords la lèvre. Il se redresse, sans briser notre échange de regard
presque magnétique et mes yeux descendent tous seuls sur ses jambes écartées.
Je reviens aussitôt sur sa face pour ne pas me faire prendre.
— Je veux t’emmener
dîner, il dit en me prenant la main.
-Je__, je travaille.
— Tu finis à
quelle heure ?
— Umm, je ne vais
pas vous charger moins que la séance même si vous décidez de l’écourter, je lui
réponds.
— J’ai déjà payé,
tu as oublié ? il me retourne avec
humour et je me sens bête.
— Suivez-moi, je
vous emmène au sauna, je lance pour m’extirper de cette pièce qui respire trop
la sensualité. Tout ça, c’est la faute des huiles de carpolobia et de bois de
santal que j’ai mélangé pour cette séance. Il avait réservé une session de 30 minutes
pour un massage et 15 minutes au sauna, donc je mets ces 15 minutes à
profit pour changer ma culotte, pincer mes tétons pour les dégorger puis je me
répète que cet homme est ma victime. C’est lui qui doit être émoustillé à la
fin de nos rencontres et non moi. Je le retrouve quand mon professionnalisme est
de retour.
— Alors, ce dîner ? il me relance quand je la raccompagne dans la
salle d’attente à la fin.
— Je ferme à 23 h
et en général je suis prête à dormir dès que j’arrive chez moi.
-23 h c’est
plutôt tard pour un Spa à ma connaissance.
-23 h c’est l’heure
régulière pour les gens qui bâtissent un empire.
— Eh bien, j’en
apprends des choses, il me dit avec un sourire. Je vais m’en rappeler.
— Bonne journée
Mr Tountian, j’insiste sur le monsieur et le plante là.
Pourquoi, à 23 h,
je sors de mon Spa après l’avoir fermé avec le gardien et le type descend de sa
voiture ?
— Prête pour le
dîner ? il me lance.
Non ! Dans la vie, il faut être persévérant comme
un homme qui veut une nouvelle chatte. Si cette phrase n’était pas un proverbe,
je l’inclus dans mon vocabulaire désormais. Je m’avance, l’air toujours étonné,
mais je m’installe quand même dans son véhicule après qu’il m’ait ouvert la
porte.
— De quoi as-tu
envie ?
— Attends, tu es
sérieux ? C’est à 23 h que tu
comptes réellement m’emmener dîner ? Il y a
même des restos ouverts à cette heure ? je
continue de m’étonner.
— Je pensais que
les gens qui bâtissaient leurs empires jusqu’à 23 h connaîtraient tout de
la night life, incluant la liste des restos ouverts à cette heure, il ironise.
— Haha, smartass,
je dis sans humour.
— Espero saber mais
sobre você hoje, il me répond sur un ton appréciateur.
(J’espère en apprendre
davantage sur toi aujourd’hui)
— J’espère que tu
viens de me complimenter hein, sinon ta grosse tête, je lui retourne et le fait
rire.
— Tu veux que je
te complimente ?
— Je veux surtout
que tu me nourrisses, comme tu me l’as fait miroiter.
— Du libanais, ça
te tente ?
— Si c’est une façon
fancy de me dire que tu m’emmènes manger un chawarma, c’est mieux que je
descende.
Il démarre et ne répond
que lorsqu’il s’engage sur le bitume.
— Grosse bouche
va.
— Ta chance c’est
que ma voiture est en panne depuis un moment. C’est ce qui te permet de m’avoir
dans ta voiture et carrément m’insulter.
— La chance n’existe
pas Océane. J’ai saisi mon opportunité et je n’ai pas insulté ta bouche. J’aime
les grosses bouches de toute façon.
Non seulement il a
insulté ma bouche (j’insiste sur ça), mais il me l’a bien fermé quelques
minutes plus tard quand nous sommes entrés dans ce petit resto ultra coquet et
discret. Même notre table était dans un coin super intime et en dehors de la
serveuse qui nous apportait le menu, il n’y avait pas d’âme qui vive ici.
— Je ne veux rien
entendre, je lui lance quand je commande mon chawarma.
Il rigole tout en portant
sa bière à ses lèvres. Que personne ne me juge, j’en ai trop envie et je n’ai pas
regretté mon choix quand on nous a servi.
— Alors qu’est-ce
que Mr Tountian fait dans la vie pour se permettre autant de visites au
Spa et connaître des restos ouverts après 23 h ?
— Avocat
spécialisé en litige immobilier qui aime soutenir son cercle d’amis, incluant
le propriétaire de ce resto.
— Hum, et les
défauts ? Tu caches une hache dans
ton capot avec laquelle tu attaques les gens ?
— Quelqu’un aime esprits
criminels ici, j’en apprends déjà, il rigole.
— Jusqu’au départ
de Morgan. La série a perdu sa saveur à son départ.
— Quelque chose
me dit qu’on ne parle pas de saveur intellectuelle ici.
— Donc tu veux me
dire que je ne suis pas assez intelligente pour apprécier l’intellect de quelqu’un
quoi ?
— Une femme qui a
assez d’intelligence pour bâtir son empire jusqu’à 23 h peut facilement apprécier
un autre genre de saveur quand elle se place devant son écran pour se détendre.
— Hum, tu es
vraiment un avocat, je dis sans pouvoir retenir mon sourire.
— Que veux-tu, parfois
ça déborde dans la vie personnelle.
— Et qu’est-ce
que tu fais de ta vie personnelle en dehors d’encourager tes amis qui sont proprio
de chics restos ?
— Je te drague.
Ma frite recouverte de
parmesan m’échappe. On ne peut pas faire plus clair que ça, et il l’a dit sans prendre
de pause. Maintenant, monsieur sirote sa bière tout en me regardant comme s’il
attendait ma réponse.
— Tu as les
épaules pour me draguer ? Je n’ai
pas beaucoup de temps à accorder aux relations, je mens proprement.
— Je drague avec ma
bouche et des actions, pas mes épaules. C’est l’empire qui grignote sur le
temps des relations ?
— Oui. J’ai
beaucoup de projets et une échéance à respecter.
— Dégage du temps
pendant trois mois.
— Pardon ?
— Libère quelques
jours sur ton emploi du temps. Si dans trois mois, je ne te donne pas envie de
partager tes projets, tu pourras reprendre tes habitudes.
— Tu es plutôt gonflé
à mon avis. Tu ne me demandes même pas si je peux. Tu m’annonces simplement que
je dois le faire.
— Nous sommes
adultes, toutes les propositions ne commencent pas par « est-ce que tu peux », mais rien ne t’empêche de les rejeter.
— Qu’est-ce que
tu crois pouvoir me montrer en trois mois ?
— Lance-toi et tu
verras, il me tente.
Une heure plus tard,
il me dépose chez moi avec un tupperware contenant un repas pour demain. C’est
en soupirant d’aise que je commence à me démaquiller. J’ai aimé chaque mot,
regard, et échange entre nous. J’ai un peu trop aimé et me connaissant, je vais
certainement rêver d’une potentielle scène entre nous si j’avais continué son
massage aujourd’hui. Le hic c’est que j’ai tellement aimé notre soirée que sa
femme n’a jamais traversé mon esprit. Pourtant le plan, c’était qu’il soupire assez
après moi pour que je suce son argent et le dénonce à son épouse. Je ne peux
pas mentir sur ce coup. S’il m’offre des soirées comme celles-ci durant les trois
prochains mois, j’ignore comment je vais le dénoncer à la fin, mais bon, il
faudra que je trouve un moyen de reprendre le dessus. C’est la faim qui m’a déconcentré
ce soir, qu’on ne me juge pas.
***Hadassah Muamini***
Il a fallu que Ducon
et moi soyons dans la même classe, mais qu’il se prenne le bureau à côté du
mien. Les cours ont débuté depuis une semaine, et il refuse de me coller la
paix. J’ai commencé en l’ignorant, mais il ne se décourageait pas, du coup, j’ai
opté pour les réponses cinglantes, mais là encore, j’ai plus l’impression de l’encourager
qu’autre chose. En dehors de l’école, les choses sont plutôt cool. Je m’habitue
à monsieur Romelio quoique je vois un peu plus tonton Arthur. À cause de son
boulot, monsieur Romelio rentre en général quand je vais déjà me coucher. Il entre
quand même tous les jours dans ma chambre. Généralement je feins le sommeil,
mais il vient, me touche la tête, bredouille quelques mots et part. Parlant de
tête, il a fallu que je fasse quelque chose de mes cheveux parce que le règlement
de l’école refuse les couleurs farfelues. Ils n’ont pas explicité ce qu’ils entendaient
par farfelu, mais un de mes profs m’a donné deux semaines pour changer ma couleur.
Chose que je ne ferai jamais. Je me suis confiée à tata Michelle après avoir
obtenu la promesse qu’elle ne me balancerait pas à maman et elle m’a proposé
des tresses comme compromis. Monsieur Romelio a promis qu’on s’en occupera ce
week-end.
Aujourd’hui, il m’emmène
chez ses parents, les vieux que j’ai rencontrés le jour de la rentrée. Pour une
raison inconnue, je le sens nerveux, alors j’ose lui demander.
— Ça va pas ?
— Hum ? Qu’est-ce que tu as dit ?
— Tu n’arrêtes pas
de taper sur ton volant.
— Oh, excuse-moi,
c’est un tic quand je réfléchis.
— OK.
— En réalité je pense
à mes parents. Ils étaient tellement pressés de te connaître qu’ils sont venus
chez Arthur sans m’en parler. Je leur ai demandé de ne pas t’envahir de
questions, mais je ne peux pas te garantir qu’ils arriveront à se contenir.
— Ils sont aussi
bavards que tonton Arthur ?
— Tu le trouves
bavard ? il dit avec humour.
— Un peu, j’avoue
et il rigole.
— C’est une
première pour lui. Sinon, je crains que oui. Les grands-parents sont bien plus
bavards et gagas que les oncles.
Mes grands-parents en France
ne sont pas bavards en tout cas, donc il doit s’inquiéter pour rien comme
maman.
— Si jamais tu te
sens acculée, lance-moi un regard et j’interviendrai, d’accord ? il me dit quand on descend du véhicule devant
une maison un peu plus grande que celle de tonton Arthur.
Je hoche la tête, il
me prend la main et on se dirige ensemble vers la maison. Un inconnu nous ouvre
et la vieille dame débarque de l’arrière de la maison.
— Vous voilà
enfin. On vous attendait depuis je ne sais combien de temps.
— Il n’est que 10 h
maman. Tu nous attendais depuis quand ?
— Ah bouge, qui
parle de toi. Ça va ma petite chérie ? elle
demande en me prenant littéralement contre elle sans prévenir. Oh, mais pourquoi
tu es si raide ?
— Maman, le
monsieur lui lance sur un ton d’avertissement.
— Détends-toi ma
chérie, on ne va pas te manger. Tu es en famille, elle me dit d’une voix qui m’apaise
étrangement, bien qu’elle m’ait pris de court.
Elle nous conduit sur
la terrasse où on retrouve le vieux monsieur qui encore une fois à l’air aux
bords des larmes. Lui aussi me fait un câlin et je me retrouve très vite entourée
d’eux sur le sofa où je suis assise. En moins d’une heure, on m’a proposé du
jus, de la glace, et des cookies. On m’a aussi raconté un peu trop d’histoires,
mais grosso modo, j’ai conclu que les parents de monsieur Romelio sont congolais
et togolais. La vieille était gynécologue et le papa juriste ainsi que pasteur.
J’ai expliqué que je ne connais rien à la religion quand ils m’ont demandé ce
que je pensais de Jésus. De temps en temps, monsieur Romelio intervenait et ils
ralentissaient la quantité d’informations qu’ils me donnaient pendant genre
cinq minutes avant de reprendre. Tonton Arthur s’est ramené un peu plus tard et
j’ai assisté au spectacle le plus fascinant de l’année. Lui, monsieur Romelio
et le type qui nous a ouvert la porte pilaient un truc dans un mortier tandis
que mamie Hana m’expliquait le procédé derrière. J’ai bien rigolé quand papi
Anges a décidé de se joindre aux hommes malgré les interdictions de mamie et en
moins de dix minutes, il se plaignait de son bras. Ce sont les moqueries de
tonton Arthur et monsieur Romelio qui m’ont fait rire. Je ne les imaginais pas
ainsi. Ce qu’ils ont pilé était super bon et je croulais de sommeil par la
suite, mais mamie Hana m’a motivé pour qu’on aille en salle de bain. Là-bas,
elle m’a lavé les cheveux et à la sortie, une dame était présente, prête à me
faire des tresses. Quatre heures plus tard, nous quittions le domicile des grands-parents
et j’avais en main un sac contenant leurs cadeaux. Ils m’ont acheté des chaussures
parce qu’ils croient que je n’ai que des Mary Jane. J’ai d’autres styles. Monsieur
Romelio m’en a également acheté. Je préfère juste les Mary Jane, mais ça me
fait bizarre qu’ils m’en aient acheté. Même s’ils se disent mes grands-parents,
on vient tout juste de se rencontrer, du coup c’est bizarre qu’ils soient gentils
sans aucune raison. Je commence à m’interroger sur les raisons qui ont poussé maman
à ne pas me parler d’eux si c’est vrai que monsieur Romelio est mon premier père,
mais je n’ai pas le courage de l’interroger pour le moment.
Le lundi suivant, je
reprends l’école avec un peu plus de confiance. J’espérais passer inaperçue
avec mes tresses noires, mais quelqu’un, un voisin en l’occurrence, ne le voit
pas ainsi.
— C’est nul, ça t’enlève
toute ta personnalité Hada.
— Quand on a la
personnalité d’un tableau blanc, on évite de donner son opinion sur le look des
autres.
— Ouche, tu peux
donc être méchante hein ? il rigole.
Je me tiens à ça et Dieu
merci, il continue avec sa petite bande qu’il a formée dès la troisième journée
de cours. Le pire c’est qu’il m’a dit être un nouveau aussi. Si ce n’est pas un
exploit ça, c’est quoi ? Tu ne
connais pas les gens et en trois jours, tu leur parles comme si vous aviez
mangé et dormi ensemble pendant des années. Cette journée marque également le début
des séances de sport. Une activité qui ne m’intéresse nullement, du coup je me mets
dans un petit coin dès que j’en ai l’occasion et je cause avec Elle (Estelle),
parce qu’à l’intérieur de l’école, on n’a pas le droit aux téléphones durant
les heures de cours.
Elle me tue. Elle ne cesse
de me servir des « oh je
suis trop contente pour toi », « c’est super que tu sois dans un autre pays », pourtant je sens la tristesse à plein nez
dans ses mots. On avait notre petite routine à Arras. Bien qu’on ne fréquentait
pas les mêmes écoles, on se retrouvait facilement sur le terrain pas loin de la
maison et nous arrivions à nous voir régulièrement, malgré les interdictions de
maman.
— Hey Muamini, j’entends
de la voix grave du prof et je relève ma tête pour croiser son regard contrarié.
— Ah donne-moi ça ! C’est quoi cette jalousie ? Je t’ai dit que je n’écris à aucune autre
meuf, Ducon répond après m’avoir arraché mon téléphone.
— À quoi vous jouez
pendant mon cours ? On
vous a dit que mon terrain c’est un lieu de speed dating ?
— Pardon
monsieur, ce sont les hormones qui nous dérangent, il répond en se frottant la
tête et certains rigolent.
— Tu me fais trois
tours du terrain avec ta face comme le fer déformé par le soleil là. Toi Muamini,
tu rejoins les filles.
Je n’en ai même pas
placé une pendant tout l’échange. Ducon fait ses trois tours avec l’aisance d’un
oiseau qui fend le ciel. Ce n’est que lorsqu’on retourne à l’école qu’il me redonne
mon cell.
— Il faut dire à
ton chéri qu’on n’écrit pas pendant les heures de cours, sinon tu risques de te
faire confisquer ton téléphone.
— J’ai treize ans,
je lui rappelle en roulant les yeux.
— Lol et alors ? Tu es une bonne meuf.
— Tu gardes tes
remarques dégoûtantes pour toi, je lui retourne et il pouffe de rire.
— Tu es marrante
toi. On te complimente, tu dis que c’est dégoûtant.
Certains nous
dépassent et chantonnent les « amoureux ». Il rigole et leur dit de se mêler de leurs
affaires. Puisqu’il m’a évité de perdre mon cell, je garde mes remarques pour
moi, seulement ce mec ne comprend pas le mot raisonnable. Voilà qu’il me prend
pour son amie et me traîne vers une meuf quand on est de retour à l’école.
— Maya voici Tornade,
Tornade, Maya. Ne vous bagarrez pas, je vous aime toutes les deux.
Maya se charge de lui
flanquer un coup. Il ne mérite pas que je m’épuise pour lui.
— Salut Tornade, chic
prénom.
— Salut, je
réponds sans la corriger. On ne va certainement pas se revoir l’année prochaine
donc va pour Tornade.
— On vient de
récupérer les résultats du test d’entrée. J’ai été prise, mais Gemma a raté le
sien.
— Lol, comment
elle s’est débrouillée ?
— Est-ce qu’elle
prenait le test au sérieux ? Elle
croyait qu’elle allait entrer ici comme elle entre dans la chambre de son père.
Bref, je commence demain. On sera dans la même classe Tornade.
— Cool. À demain
alors, je lance et m’éclipse avant qu’on puisse me retenir.
***Yasmine Sani***
Gemma me déçoit
tellement que je lui aurais arrangé la face de mes mains si elle n’était pas ma
fille. J’ai averti mes filles le jour même où Jen m’a informé qu’elle pourrait
m’aider pour la première tranche de la scolarité de Maya si elle passait le
test d’entrée. Je les ai avertis ensemble, parce qu’en mère soucieuse, je veux qu’elles
aient la même opportunité, mais est-ce que Gemma avait fini de se prélasser
devant la télé ? Non.
Voilà qu’elle a raté sa chance et c’est elle qui ose pleurer. J’ai sorti toutes
les paroles mielleuses de mon dictionnaire au secrétaire qui nous a remis les
résultats des tests, mais ce type n’a rien voulu savoir. Je sors et dans la
colère, cogne la tête de Gemma. Cette petite m’énerve trop. Elle grandit, mais
ne veut pas me ressembler.
— Que je t’entends
pleurer à haute voix et tu comprendras ta douleur, je la menace avant d’avancer.
Je trouver sans tarder
Maya qui discute avec Jérémie. Il me salue et je le questionne un peu sur comment
il trouve l’école. Il faut dire que le cadre m’a déjà séduit, mais je veux m’assurer
que l’encadrement est aussi de qualité. J’appelle Jennifer et l’avise que je
déposerai le petit puisque je suis déjà à l’école. Il embarque donc avec nous
et les conversations ne cessent de fuser entre les jeunes. On s’arrête au Snack
de Jen pour y laisser Jérémie et je m’entretiens un moment aussi avec Jennifer.
Elle ne m’a pas accordé cette faveur pour mes beaux yeux. Je dois en
contrepartie jouer le rôle de son assistante et si jamais elle se rend jusqu’au
procès, témoigner que j’ai vu sa belle-mère voler des documents de son bureau. Pour
que ça soit crédible, elle demande que je me rende régulièrement à son Snack. C’est
le seul côté qui me turlupine parce que m’asseoir dans un endroit pendant des
heures, ce n’est pas mon fort, à moins que ça soit chez moi, ou au salon de
coiffure pour me bichonner. Mais bon, je suis prête à faire des efforts,
surtout que je joue gros ici. L’avenir de Maya repose sur mes épaules. George m’avait
remis l’argent pour l’inscription des filles à la Davidson Nicol’s, mais l’argent
a juste disparu dans les dépenses. Quelques achats je vous dis, et le temps que
je comprenne, je n’avais presque plus rien. Ne pouvant pas retourner vers George,
j’ai donc pondu une histoire à Jen pour qu’elle me file un coup de main. D’ici
le second trimestre, je trouverai une autre solution.
— Tu vois maman,
c’est la fille des fondateurs de l’école, le chirurgien Oyena Nicol, Maya dit
admirative quand je la retrouve dans la voiture.
— La fille des
fondateurs ? Tu as entendu ça d’où
toi ?
— Bah beaucoup de
gens le disent à l’école. L’école a été fondée par un Sierraléonais, Mr Siaka
Nicol, un descendant d’Abioseh Nicol. Son ancêtre est le premier africain à
graduer de l’université de Cambridge avant même ta naissance. Mr Nicol a
fondé cette école en honneur de sa femme, une Togolaise, d’où la présence des
deux drapeaux sur la façade de l’école. Il paraît qu’il a eu plusieurs enfants,
mais celle qu’on connaît bien, c’est Oyena Nicol. Regarde sa voiture maman,
elle en jette trop.
— Eh Maya, tu n’as
même pas commencé là-bas que tu sais déjà tout ça ? je dis avec humour et elle pouffe de rire.
— Il y a des gens
qui méritent qu’on les connaisse.
— Effectivement,
je commente en étudiant la silhouette de la femme en question.
La vie est quand même
injuste hein. Si elle n’a pas mon âge celle-là, elle doit avoir au trop deux
ans de moins pourtant elle a trois niveaux de plus que moi. Mes ancêtres
foutaient quoi quand ceux des autres graduaient de Cambridge ?
— Je veux que tu choisisses
tes amitiés avec soin dès demain. Ne va pas seulement te coller à Jérémie dans
l’école. S’il peut t’aider avec les cours d’accord, sinon tu choisis des gens
bien placés. Tu ne dois pas gaspiller cette opportunité, on se comprend ? Je veux que tu sois en avant.
— Je vais mener
la classe maman, elle me dit avec confiance.
La fille de mon cœur.
Tandis que l’autre qui s’appelle Gemma est derrière et continue à renifler. Même
son petit frère est plus utile. Le lendemain, ce sont mes plus beaux accessoires
que j’accroche dans les cheveux de Maya et je lui donne mon Daisy de Marc
Jacobs.
— Pourquoi elle
met du parfum pour aller à l’école ? George
me demande.
— Tu veux qu’elle
mette quoi ?
— Son déo est
fini ?
— Elle va dans une
école classe, en plus le déo ce n’est pas pour les filles.
— Tu sais combien
m’a coûté ce parfum pour le donner à une petite fille?
C’est parti. Monsieur
le pingre doit radoter sur son argent comme s’il accomplit un exploit quand il
me fait des cadeaux. Je refuse de laisser sa négativité me contaminer. Aujourd’hui,
c’est une grande journée pour Maya. Je lui mets légèrement du rouge à lèvres et
enfin elle est prête.
— Maman ?
— Hum ? je fais tout en nettoyant la poussière sur
les nouvelles chaussures de Maya. En réalité les miennes, heureusement, elle et
moi chaussons pareil parce que ce n’est pas George qui allait me donner de l’argent
pour ça.
— Maman ?
— Parle non Gemma ! C’est quoi ?
— J’ai fini de m’habiller.
— Alors ? Je dois aussi te dire d’aller attendre en
voiture pour que tu le comprennes ?
— Non. Je__, moi
aussi, maman, elle dit en touchant sa bouche.
— Toi aussi ? je répète confuse.
— Étudier
simplement c’est un problème et tu veux mettre du rouge à lèvres hein, rigole
Maya.
— Tu disparais
avant que je te dégage avec un coup de pied !
— C’est quoi ? Pourquoi vous criez ici ? Gemma, tu pleures pourquoi? George demande à
son retour au salon.
— Tu dis bien à
ta fille qu’elle ne me gâche pas la journée, je dis en poussant un juron et
vais m’occuper de mon fils.