138: A friend of mine

Ecrit par Gioia

***Océane Tountian***

Après une nuit lente et riche en émotions, j’ai hâte de rentrer chez nous. Mes pieds ont besoin d’un bon bain de sel après ce qu’ils ont subi hier. J’attends Eben qui finit de ranger nos affaires à l’arrière de la voiture. Papa m’a vraiment surpris. Il savait que l’un de mes buts, c’était de m’offrir un jour une voiture de luxe personnalisée à mes goûts. Je l’adore notre cadeau. Eben me rejoint et démarre. 

— Je me disais qu’on pourrait vendre une de nos voitures Meu Bem? je lui propose.

— J’y ai pensé aussi. Comme tu es rentrée avant moi, c’est mieux que tu vendes la tienne.

— Mais je pense que la mienne a plus de kilométrage au compteur. Ce n’est pas mieux qu’on laisse la tienne pour avoir un meilleur prix?

— Je ne crois pas que tu as plus de kilométrage que moi. Déjà tu as pris la tienne neuve, alors que j’ai racheté ma Nissan Versa à quelqu’un qui l’avait utilisé pendant un an chérie. En plus, les Toyota sont appréciées par la majorité ici, donc je ne doute pas qu’on trouve un bon acheteur pour ta Prius. Je préfère aussi garder ma Versa pour l’instant. J’apprécie mes collègues, mais vu l’esprit de compétition qui règne au cabinet, je ne souhaite pas qu’on commence à me mettre des bâtons dans les roues sous prétexte que je détourne les clients du cabinet pour me faire de l’argent.

— Mais là, on ne va pas vivre à cause des gens?

— Je ne dis pas ça chérie, il rigole. Je préfère juste opter pour la prudence dans un premier temps. Je boucle à peine un an au cabinet. Imagine, je débarque avec une voiture que même l’associé principal et propriétaire ne conduit pas. C’est m’attirer de l’attention que je juge inutile. J’aime là où je suis et mon objectif, c’est d’y faire au moins trois ans à moins qu’on m’offre meilleur ailleurs. Je préfère garder ma vie professionnelle séparée de la personnelle. Tu es la patronne de ton entreprise toi. Personne ne se questionnera sur tes dépenses.

— Hum, le roi de la raison, je dis ennuyée et il se moque.

— Tu sais que j’ai toujours raison et de toute façon, le grand-père de bébé nous a bien dit que ce cadeau est réservé à son petit-fils.

— Corrigez votre « petit-fils » que vous traînez dans vos bouches là. J’attends une princesse.  

— Haha, la langue de Molière nous a appris à dire un enfant, petit-fils ou bébé. On doit changer comme tu es enceinte?

— Exactement. Mon bébé c’est une fifille toute douce, gentille et adorable qui sera la bestie de maman. Elle sursaute dès que je lui parle des tenues assorties qu’on portera.

— La maladie, il se marre. Il n’y a que dans ton pays qu’un fœtus de treize semaines bouge.

— Oui, le pays des fraises, du sucre et des jus de fruits glacés durant une chaleur accablante, je liste toutes mes envies depuis cette grossesse. C’est là-bas qu’Eolia Charlotte et maman vivent.

— Ce Charlotte que tu colles à mon enfant n’ira pas sur l’acte de naissance madame.

— C’est même quoi avec toi? J’ai proposé Lottie aussi, mais tu fais ton difficile. Qu’est-ce qui n’est pas mignon sur Charlotte et Lottie?

— Tu ne vas pas transmettre ton obsession de « Charlotte aux fraises » à ma fille. Eolia c’est tout ce qu’il lui faut comme prénom.

— Breeuufff! je dis en roulant des yeux. C’est toi le père, on a compris.

— Et en tant que bon père, je te donnerais un jour ce garçon que tu redoutes tant. Il te fera bien courir et crier.

— Et ça te plaît de souhaiter ça à ta femme? Pfff!

— Très, il réplique tout sourire. Il sera un garçon bien énergique qui volera ton cœur autant que nos filles. Ne t’en fais pas.

— Parlons de douceur pardon. Je n’aime pas le stress.

Il continue à m’embêter jusqu’à notre arrivée à la maison. C’est Hilda qui nous ouvre le portail et évite de justesse de se ramasser la face au sol en courant pour m’ouvrir la portière.

— Yoo, ça va? je demande inquiète.

— Ouais, elle rigole. Vous faites quoi là? Vous n’allez pas en lune de miel?

— Tu nous as offert une lune de miel peut-être? rétorque son frère.  

— Je blague non le mari de l’heure, tu respires le bonheur! On ne parle plus de ta beauté ma belle-soeurrhhrr.

Une comédienne qui ne cesse de m’étonner. Eben a fini par me raconter ce qui s’est passé entre elle et Cédric. Il semble qu’éviter la grossesse l’a tellement impacté positivement qu’elle plane sur un nuage. J’ai essayé d’évoquer notre bagarre pour qu’on s’explique, mais elle l’a balayé d’une main, prétextant que c’est inutile de perdre du temps sur une incompréhension. Depuis, elle me colle au train et m’amuse énormément par ses actions.

— Tu as été sage même? continue son frère.

— Toujours! Je n’ai pas bougé de la maison, les murs même peuvent témoigner.

— Pourquoi vous n’avez pas appelé pour nous prévenir de votre arrivée? On aurait tué le dindon dès le matin pour le mettre au feu, nous dit maman Constance qui nous rejoint suivie de Bijou, Amen et les enfants.

— En fait on a mangé à l’hôtel avant de partir, je lui explique. Ça va vous?

Ils répondent en chœur et certains veulent taper la discute, mais mes pieds ont besoin de ce bain de sel. Je m’excuse et m’éclipse à l’étage suivie de Hilda qui m’aide avec nos housses.

— Yeuch, ma belle-soeurhhrrr, c’est tout ce poids que tu transportais sur ton corps comme robe de mariée?

— Imagine quand on ajoute la traîne, je rigole.

La journée d’hier m’a confirmé que je ne peux être qu’une princesse à temps trèèèss partiel. Les tenues bouffantes ne sont pas faites pour celles qui se découragent ou s’énervent facilement.

— Ouais, tu n’es pas la camarade de quelqu’un. Je dépose la housse où?

— Ici chérie, merci, je dis en ouvrant la porte du dressing pour elle.

— Eh, tu crois qu’elle tiendra dedans?

— Mais oui, il faut juste pousser un peu, je dis et lui montre comment.

— Ce n’est pas pour les faibles ton travail là. Je vais chercher les valises, j’arrive, elle annonce et s’en va.

Pendant que je range le costume d’Eben et le reste de mes effets, elle revient avec les valises.

— Entre nous, c’est vrai que vous n’allez pas en lune de miel mah? C’est quoi ce plan? Le rêve ne peut pas finir en si peu de temps.

— Tu peux aussi nous donner l’argent pour qu’on y aille. Je ne vais pas refuser, je réponds avec humour tout en me dirigeant vers la salle de bain pour remplir mon masseur de pieds à bulles. J’y ajoute aussi quelques gouttes de mon mix d’huiles relaxant.

— Dieu sait que si j’en avais les moyens, je vous aurais envoyé en Florence.

— N’est-ce pas.

— Ne rigole pas hein, je suis sérieuse, elle dit avec un sourire. Un séjour dans un bon petit hôtel coloré et pas trop loin de la mer. Imagine vos balades dans les ruelles étroites de la ville à profiter de l’architecture?

— Ce n’est pas un petit projet hein, tu as quoi d’autre en tête?

Pendant la quinzaine de minutes que dure mon massage de pieds, elle me partage son rêve et me fait même participer au scénario en me questionnant sur mon couple. Est-ce que son frère est romantique? Il m’a demandé en mariage comment? Elle se l’est toujours demandée. Est-ce qu’il est jaloux ou plutôt détendu? Je veux avoir combien d’enfants? Plus elle continue, plus je ne peux m’empêcher de trouver des similitudes entre nous. Les questions osées, l’imagination débordante, j’ai l’impression de me revoir dans mon early twenties (de 20 à 24 ans). C’est le frère qui vient la chasser de la chambre pendant que je troquais ma tenue contre un négligé rouge ainsi qu’une robe de chambre courte et légère en dentelle noire.

— Tu as fait ton bain de sel ou le bavardage ne vous a pas donné le temps?

— Arrête de nous embêter, je réponds avec humour tout en remettant un peu d’ordre dans nos chaussures.

— Maman insiste avec son histoire de bouffe, comme quoi il va bientôt sonner midi et son petit-fils ne peut pas se contenter de deux repas par jour.

— Je n’ai franchement pas faim Eben, tu peux manger si tu en as envie toi. Pas la peine de m’attendre.

Je reçois une fessée et sa main agrippe ma hanche.

— C’est de ça que j’ai faim, il s’exprime sur un ton possessif.

— Eben, je me plains en me redressant. J’ai besoin de dormir.

— Hmm, je sais, je serais rapide comme ça tu dormiras mieux.

— Je n’ai pas la force pour faire une pipe à l’heure actuelle.

— Qui a demandé une pipe? Quand tu sens ça, j’ai besoin d’une pipe? il murmure d’une voix rauque tout en collant mon postérieur à sa bosse.

On a fait l’amour presque toute la nuit. Ce n’était rien d’extravigoureux, mais quand même, après de longues heures à se tripoter sans arrêt, je ne le voyais pas me toucher maintenant. Ce n’est pas que ça m’agace, mais je n’ai juste pas envie. Je le laisse toutefois faire, vu comment il est déjà emporté et me suçote le lobe de l’oreille, je n’ai pas le cœur de lui couper son goût. Il nous dirige vers le petit fauteuil installé dans le dressing. Je m’agenouille dessus, lui tend ma croupe et un rien de temps, il est en moi après avoir enduit sa queue de lubrifiant.

Le sexe c’est l’activité la plus étrange au monde. Après des va-et-vient qui réveillent les sens, me voilà qui retourne ses coups, ondule mes hanches, bouche ouverte à cause de ma respiration qui change. Même les pointes de mes seins sont dressées et comme j’ai toujours mon négligé sur moi, le tissu qui frotte contre m’excite davantage.

— Tu sais que ton corps me rend fou O?

— Mmmhhmm, je murmure, le souffle court et le cœur s’affolant à cause du plaisir.

— Tu es tellement douillette et moelleuse, il râle, torse collé à mon dos et ses bras entourant mes hanches.

— Prends-moi plus vite bébé, je finis par le supplier.

Je veux être secouée et il n’hésite pas. Il me cale bien, passe ses mains sous mon négligé pour recueillir mes seins comme s’il voulait leur donner du support et on s’emboîte à l’unisson jusqu’à sa jouissance. Nos odeurs se mélangent, on s’embrasse jusqu’au lit où il me dépose et il continue à me dévorer les lèvres au point où je plonge dans le sommeil sans m’en rendre compte.

C’est l’envie de pisser qui finit par me réveiller. Je suis seule au lit, l’entrejambe collant et la bouche pâteuse. Téléphone en main, je vais me soulager tout en prenant connaissance des multiples messages que j’ai. Le premier est de Siaka, la rédac en chef du magazine Source. Elle me félicite pour le mariage et demande si elle peut avoir l’exclu de mon histoire.   

— Merci ma belle. Figure-toi que je comptais te faire signe. Comment tu as su pour mon mariage? je lui réponds intriguée.

— J’ai vu des photos passer sur les réseaux.

Bien sûr, je suis bête, j’ai complètement oublié l’existence d’internet.

— Comme tu le sais, la majorité de nos lecteurs ont aimé te découvrir vu combien d’exemplaires on a vendu et depuis un moment, je pense à lancer une rubrique « Catching up with » qui mettrait en lumière un événement ou accomplissement de nos anciens interviewés. Ce serait un honneur pour nous d’inaugurer cette rubrique avec toi. On pourrait en discuter de vive voix si ça te convient?

— OK, je peux t’appeler dans une trentaine de minutes?

— Of course, disons-nous à bientôt.

Je voulais effectivement la contacter afin de connaître leurs tarifs de posts sponsorisés pour faire de la pub à Bijou qui m’a gracieusement confectionné les parures que j’ai portées pour ma dot. Curieuse de voir ce qui est publié sur nous, je vais fouiner un peu sur nos réseaux et le post en tête est de Hilda qui expose au monde les délires de Bruce. Eben m’avait prévenu sur son ami, mais rien ne pouvait me préparer à la démence que Bruce nous a sortie sur la piste hier. Et ce qui me tue au point que je m’étouffe encore de rire ici, c’est la façon dont il occupe toute la piste et saute d’un coin à l’autre comme une sauterelle sans prévenir. Je dépose un like sur tout ce qui est posté sur nous et j’appelle Siaka à l’heure prévue. Eben et moi avions déjà discuté de mon initiative, donc je sais déjà quoi inclure et retirer de notre histoire. On se laisse sur la promesse que je lui transmettrais aussi tôt que possible les photos dont elle a besoin. Heureusement qu’on est à l’ère du digital de qualité, on n’a plus besoin d’attendre des jours pour avoir des photos propres. Je sélectionne les plus belles et surtout pertinentes puis lui envoie par courriel en signant avec notre #Tountiantraditionnaltale. Le forcing de ça, je suis dans ma phase honeymoon, qu’on me laisse.

Le sommeil m’emporte à nouveau et à mon réveil, c’est le choc qui prend place. Je n’ai pas regardé l’heure, mais ça m’étonnerait que j’aie dormi pendant plus de deux heures. Comment elle a réussi à sortir un post et le finit par le lien vers un article détaillé incluant dans un ordre plus harmonieux que le mien quand je lui racontais? Il y a des gens qui sont doués pour le storytelling! L’article me réjouit tellement que j’en prends plusieurs photos et retourne sur le post pour lire les commentaires. Hilda qui se bagarre en commentaires me fait rire. Comme je n’ai pas révélé l’identité de mon mari et on ne voit que des photos de mains ou de dos sur les rares où il apparaît, les spéculations fusent de partout. Les trois idées qui dominent dans les commentaires, c’est que j’ai pris le mari de quelqu’un, épousé un vieux riche, ou un Américain. Les arguments de chaque côté sont à mourir de rire. Apparemment, beaucoup ont suivi le #Tountiantale et se défendent qu’avec le glamour étalé là, c’est évident que je n’ai pas épousé n’importe qui. En plus, ils ont vu des anciens ministres, le propriétaire de l’hôpital AELI et tant d’autres personnalités sur les photos donc c’est évident que mon mari doit venir du même milieu que moi. Certaines s’amusaient même à imaginer le coût de mes tenues, ne sachant pas qu’ils ont à faire à une folle qui, se prenant pour une célébrité achetait souvent des robes de soirée quand elle vivait aux États-Unis avec l’excuse de « on ne sait jamais où on m’invitera ». La réception était l’excuse parfaite pour enfin les porter et au final je n’en ai même mis que trois sur les cinq prévues. La fête étant trop hot, j’ai oublié à un moment qu’il me restait des changements. Les personnalités sont des amis de papa et il n’y avait même que Mme Wanké au mariage comme ancienne ministre, mais tu ne peux pas empêcher les gens de spéculer non? C’est ce que je vais écrire à Hilda quand je remarque qu’elle se promène sur chaque commentaire pour complimenter ceux qui parlent positivement de nous, corriger ceux qui extrapolent et insulter d’autres.

— Mais les gens sont trop bêtes Océ!!!! Depuis quand Tountian c’est un nom de famille américain?

Je suis morte de rire devant son message. On sent même la colère transpirer sur l’écran.

— Ma chérie, on est dimanche soir. Les gens diront ce qu’ils veulent. Tu as le souffle pour dormir là-bas?

— J’ai le souffle même! Poumons de baleine a menti, j’ai the souffle. Les récalcitrants et les tchiza refoulées qui croient qu’on est comme eux vont comprendre.

— Je demande pardon, je tape en essuyant les larmes au coin de mes yeux, ne va pas exposer le nom de ton frère là. Ce n’est pas son monde ce genre de choses.

— Pffff! Pas son monde là, voilà comment on lui manque de respect ici au point de lui attribuer une autre nationalité sous prétexte qu’un togolais régulier ne peut pas honorer une femme à ce niveau. Exactement comme maman, ils aiment trop se laisser marcher dessus. Ne le laisse pas te changer hein. Reste vraie et directe comme tu es. Il finira par apprendre de toi.

Eh Hilda? Je ris à en pleurer et continue à lire le reste des commentaires. Au moins il y a du sérieux dedans. Comme je l’espérais, les œuvres de Bijou reçoivent l’attention nécessaire. Je me suis assurée de raconter mon histoire d’un point de vue préparation à ma journée plutôt que « woh voici comment j’ai rencontré l’homme de ma vie. » Elle a inclus aussi les sketches que Bijou a réalisé de mes idées, les essais à chaque étape de la confection, retouches et le prix des parures, du moins le prix auquel elle les ferait pour des clients, parce que moi je n’ai rien payé. Malgré mon insistance elle a refusé de se faire rémunérer, donc j’ai décidé de l’aider d’une autre façon. Je lui ai déjà ouvert une page business sur les réseaux et sur ma tablette, je vois que les abonnements ont commencé. J’attribue aux réseaux une bonne partie de la réussite de mon Spa parce qu’en quatre ans de travail acharné et stratégies commerciales ciblées, j’ai atteint un peu plus de 97 millions de CA après charges, impôts et j’ai même réussi à rembourser les trois derniers millions du prêt que papa m’avait donné dix ans plus tôt quand je flirtais déjà avec l’idée d’avoir un institut de soins personnels. Objectivement, je ne pense pas qu’O-cèdres est le meilleur spa du pays, mais sans aucun doute, nous sommes les plus attrayants pour le public. Le taux d’engagement sur nos plateformes sociales, le nombre de visites physiques qu’on reçoit par semaine, le retour des clients sur notre service, tout ça c’est le résultat d’une panoplie de stratégies qu’il me faut vulgariser pour Bijou. J’espère néanmoins qu’avec les captures des commentaires, elle trouvera la motivation pour dominer le doute et la crainte de l’échec qui la garde chez le Goldsmith où elle travaille depuis que je la connais.

Bref, ça c’est mon objectif post lune de miel, parce que oui on va bien en lune de miel. C’est l’une des premières choses qu’on a couverte durant nos préparatifs. Lisbonne et Porto, pour six jours, mais vu qu’on va vendre ma voiture, je regarde la possibilité qu’on fasse un arrêt de trois jours en France. Mon chéri ne connaît pas Paris, je souris en repensant à la réplique phare du papounet d’Elikem. Aussi, on peut en profiter pour rendre une brève visite à maman et Parker. Je sais qu’on les a déjà vus ici, mais est-ce qu’on voit assez sa maman? Surtout que la mienne ne vit pas ici et je veux la remercier d’avoir pris sur elle pour faire team commune avec papa quand il a fallu régler mes problèmes. Pour l’instant, je vais clavarder avec Air France pour voir si on peut changer nos billets de retour.

Meu bem me rejoint pendant que je finis les calculs de notre nouveau budget.

— Bien dormi? il me demande tout en me câlinant la tête.

— Trop même. Vous avez fait quoi finalement? Tu as mangé?

— Oui, je n’ai pas pu t’attendre. Maman a braisé un des dindons qu’on nous a offert. Tu veux que je te fasse monter un plat?

— Non, je vais sortir de ce lit. Assez dormi comme ça.

— Tu as manqué Bruce aussi. Il est passé et on a mangé ensemble.

— Comment il va? Des nouvelles de sa compagne de danse?

— Comme moi, on ne lui a pas répondu. Il s’est rendu chez sa tante, mais cette dernière lui a dit que Jennifer n’habite plus avec eux. Il a été au Snack avant de venir chez nous et les employés ont dit que Jennifer n’était pas encore arrivée.

— Elle a probablement honte. Je pense qu’elle répondra si vous réessayez ce soir.

— Ouais, Bruce a dit qu’il retournait au Snack en quittant ici. Il compte passer tout son dimanche là-bas.

— Tu veux le rejoindre?

— Parce que j’ai tout mon dimanche peut-être? Déjà qu’à cause de l’arrivée inopinée de Bruce, j’ai dû repousser ma conversation avec Hilda. Il faut qu’on commence nos valises aussi. Tu fais même quoi?

Je lui fais donc part de mon idée d’étendre notre lune de miel. Le plan initial c’était de partir demain soir, et on rentrait le samedi. Il s’était laissé trois jours en plus du dimanche comme délai pour se reposer avant de reprendre, donc dans le nouveau planning, il ne lui resterait qu’une journée pour récupérer. Après délibération, on abandonne Marseille dans le projet. Trois jours c’est effectivement court après des mois de longue préparation. On se contentera de Paris et nos prochaines vacances, on les dédiera aux Boulder. Je texte aussitôt mon mécanicien pour qu’il propose ma voiture à des potentiels clients.

— Tu t’es pris la tête avec Hilda concernant les commentaires?

— Quels commentaires? il m’interroge depuis le dressing où il sort les valises.

— Euh…, juste des commentaires sur internet concernant notre mariage.

— Montre-moi.

— Tu ne vas pas te fâcher hein, elle n’a rien dit de mal, j’essaie d’arranger la chose tout en lui montrant.

— Cette fille, il soupire las.

— C’est juste l’excitation Eben.

— Ce n’est pas l’excitation. Hilda s’égare. Maman veut qu’elle revienne à Lomé. C’est de ça qu’on a parlé. Bien sûr, elle ne veut pas. Elle l’a si mal pris qu’elle est allée se réfugier dans sa chambre.

— C’est à cause du truc avec Cédric? Je crois que c’est oublié de chaque côté non? Pourquoi elle devrait rentrer?

Je vois qu’il hésite à se confier et ça me chagrine un peu. Il doit se demander s’il peut me faire confiance.

— Je respecte si tu ne veux pas en parler, mais si c’est moi qui te fais douter, je te promets que plus jamais je ne te ferai vivre ce qui s’est passé à la dot.

— J’ai honte, il dit d’une voix lourde et s’assois au lit. J’ai l’impression d’avoir failli à mon rôle de figure paternelle pour ma sœur. Quand je quittais le pays, je me voyais réussir et sortir les miens de la galère. Je me voyais donner à chacun l’opportunité de faire au moins des études supérieures, surtout pour Hilda. Je voyais des jeunes filles de son âge avancer sans encombre, travailler, et accomplir leurs projets tandis qu’il a fallu que Bruce et moi reprenions nos études à Porto. Bien que ça me soûlait de reprendre à zéro dans un autre pays, l’une des raisons qui me poussait à avancer, c’est que ceux qui me suivent n’auraient pas un parcours en dent de scie comme le mien. Hilda s’est retrouvée à Nairobi à coup de mensonges. Elle a berné la famille de ton amie. Elle a même soudoyé un ancien voisin de Fabien pour qu’il se fasse pour lui auprès des Laré Aw afin d’obtenir l’autorisation de suivre les autres au Kenya. Et tu sais la raison qu’elle m’a donnée? Elle ne voulait pas souffrir comme les autres, pourtant elle est incapable de me pointer ses autres qui souffraient tant. C’est dans l’histoire de la fausse grossesse et sous les menaces de maman qu’elle a tout avoué. Je sais que personne n’est parfait, mais jamais je n’ai imaginé que ma petite sœur puisse mentir à ce niveau. J’ai tellement honte Océane. J’ai l’impression qu’on ne lui a pas donné le cadre nécessaire pour qu’elle reste concentrée.

— Non tu as tout faux, je dis en prenant sa tête pour la poser sur mes jambes. Regarde-moi, je ne pouvais reprocher à ma mère que sa façon de me traiter, mais je l’ai quand même laissé en plan pour suivre mon père aux États-Unis.

— Ce n’est pas pareil Querida. Tu as suivi ton père, ta seule figure parentale. La méthode était mauvaise, mais je t’ai compris. Tu n’avais que seize ans et tu retrouvais ta mère après combien d’années? Vous n’avez même pas eu le temps de vous familiariser que les problèmes pointaient déjà le bout de leur nez. L’animosité entre tes parents aussi n’a pas favorisé la communication. Hilda a quelle excuse? C’est Fabien qui l’a fait quitter le village, son propre frère et elle l’abandonne avec une vulgaire lettre pour suivre des gens qu’elle ne connaissait qu’au trop depuis deux ans. Elle a tout laissé pour suivre le confort et la vie de rêve. C’est aussi ce qu’elle a suivi avec son ignare de copain là qui l’a mené dans le lit de Cédric. Hilda me blesse si tu savais.

— Je comprends, je ne l’excuse pas encore une fois. Je n’ai pas de petite sœur, mais s’il y a une chose que je sais sur les filles dans la vingtaine, c’est que certaines ont des bonnes intentions, mais font n’importe quoi. Parfois on n’a pas souffert, mais on intériorise les souffrances de notre entourage pour se convaincre qu’on doit tout faire pour ne pas perpétuer le cycle. Elle a mal agi, mais l’obliger à rentrer, tu es sûr que c’est la solution? Elle travaille là-bas, je pense. En fait, je me demande ce qu’un retour changerait pour elle. Est-ce qu’elle ne vous en voudra pas plutôt et pour finir ne s’enlisera pas dans le mal?

— Maman pense seulement que là-bas, personne ne sévit avec elle et c’est pour ça qu’elle est devenue ce qu’on connaît aujourd’hui. Personnellement, je ne pense pas aussi qu’un retour serait utile. J’ai proposé qu’elle rétablisse la vérité auprès de ses amies.

— C’est une bonne option. Elle a dit quoi?

— Tapé une crise avant de se réfugier dans la chambre. Supposément, on veut ruiner sa vie et lui dicter sa conduite.

— Ouais, on n’est pas sorti de l’auberge, je commente sur un ton peiné.

J’essaie autant que possible de lui remonter le moral pendant qu’il recommence à faire nos bagages. Comme papa nous a offert quatre valises, on décide d’en remplir légèrement trois et un prend la majorité des effets en prévision des potentielles courses qu’on fera durant le voyage. Je mange et vers 18 h 30, Elikem m’appelle pour me confirmer que leur convoi vient d’arriver sain et sauf à Nairobi. Dara et Snam étant présentes pour les récupérer, elles proposent qu’on passe en vidéo pour qu’on se parle. Le signal étant mauvais à l’étage, je descends et comme les autres regardent la télé au salon du bas, je me rends à l’arrière-cour à la recherche du bon. Les félicitations fusent. Je suis ravie de voir Snam en meilleure forme et surtout avec un ventre bien rond. Son fils ne veut même pas lâcher son cou bien que Mally essaie de le reprendre. J’en profite pour annoncer aussi ma nouvelle et les exclamations joyeuses me font rire. Dara me demande comment j’ai fait pour rester sur des talons, enceinte et avec une robe si lourde sur le corps alors qu’on doit supplier Snam pour s’habiller quand elle est enceinte. Elle se prend bien sûr un coup sur la tête de Snam. Je leur balance mon secret. Façon je trouvais la traîne effrayante, j’ai sagement opté pour des chuck taylor classiques pour épargner mes dents. Elikem n’attendait que ça pour me charrier et les autres suivent. Les félicitations reprennent et promesses de se revoir s’enchaînent. Pour taquiner Elikem, je demande à Cédric de bien lui masser les bras juste pour moi. Fidèle à ses habitudes, il sourit et demande que je passe le bonjour à Eben sans adresser ma requête. Le type n’est vraiment pas bavard, pourtant Elikem jure qu’il est un emmerdeur. On se laisse sur des grands sourires et au revoir. Chacun rentre avec sa petite famille, c’est trop adorable. Un sanglot étouffé met fin à mon rêve. Je distingue une silhouette assise au sol proche de la chambre qu’occupe maman. C’est Hilda que je vois quand je m’approche.

— Tu veux rester seule? je la questionne.

— Non, elle hoquette.

Je vais me chercher un tabouret et m’assois à ses côtés.

— Tu..tu peux m’aider s’il te plaît? elle commence timidement.

— Je t’écoute.

— C’est comme si Eben et maman ne m’ont pas encore pardonné ce qui s’est passé à la dot. Si tu peux parler à Eben en ma faveur…

— Pourquoi tu penses qu’ils ne t’ont pas pardonné?

Je vois qu’elle grimace donc je continue.

— Je ne peux pas t’aider si tu me laisses dans le flou Hilda.

— Tu vas me détester si je te raconte.

— Tant que tu n’as pas touché à ceux que j’aime, je ne peux pas te détester, et tu fais partie de ceux que je commence à aimer, donc j’ai un peu plus de tolérance pour toi, je l’encourage et enfin elle s’ouvre.

— Pourquoi? c’est tout ce que j’arrive à lui demander à la fin de son récit.

Inventer un viol? Je comprends le désarroi d’Eben et la décision de maman.

— Je sais que c’est moche, mais c’est la seule chose qui m’est venue à l’esprit pour avoir la sympathie des filles. Je ne me voyais pas rentrer après m’être démené pour arriver là-bas. Maintenant Eben veut que j’avoue, mais Dara ne me pardonnera jamais, elle s’effondre sur la fin. Elle va me rayer de sa vie. Je vais me retrouver seule et sans amie. C’est la seule que j’ai Océane. Je me suis déjà brouillée avec Snam. Qu’est-ce que je vais faire seule à Nairobi? La ville est bien, j’aime mon travail, mais je n’avais pas vraiment de cercle social en dehors de Godson et des filles. Je ne veux pas voir la déception dans les yeux de Dara. Elle compte tellement pour moi.

— Ayant une amie qui compte autant qu’un organe vital pour moi, je comprends ta crainte de la perdre. Toutefois, ton frère essaie de t’apprendre une leçon importante Hilda. On ne construit pas de relation solide sur le mensonge. Tu ne sais pas ce que demain te réserve. Imagine que tu te retrouves dans une position…

— Personne ne sait en dehors de vous! Si vous ne me trahissez pas, qui le fera? elle m’interrompt subitement.

— Ça ne viendra pas de moi, je peux te le garantir, ma…

— Voilà! Toi au moins tu comprends, mais Eben et maman, tout ce qu’ils veulent c’est me forcer à être comme eux! Je leur ai déjà avoué. J’ai assumé et accepté mes torts. Qu’est-ce que ça changera dans ma vie de rentrer à Lomé? Ou d’en parler à Dara? Elle va en tirer quoi sinon la déception? Ils veulent juste m’exposer comme j’ai le malheur d’être le vilain canard de la famille. Depuis que je suis adolescente, maman me bassine les oreilles avec ses prétextes. Une bonne fille est comme ci, comme ça. Je ne suis jamais bien pour elle. Je parle trop, j’ai la critique trop facile. Imagine que son esprit est allé directement sur le négatif quand je lui ai parlé de Godson. Elle a commencé à me faire la morale sur comment je dois me méfier des hommes qui viennent d’un niveau plus aisé, jusqu’à m’interdire de coucher avec lui sous prétexte que peut-être il veut voler mon esprit. Pour elle, un homme riche ne peut juste pas m’aimer. Je n’en ai pas le droit. Je dois regarder les hommes de notre milieu. Je n’ai pas le droit de vouloir mieux pour moi. Quelle mère ne veut pas que son enfant ait une meilleure vie qu’elle?

— Tu veux un avis honnête?

— Bien sûr!

— Si tout ce que tu viens de me dire s’est passé ainsi, pour moi, tu extrapoles énormément Hilda. Tu reportes tes insécurités sur ta mère.

— Quelles insécurités? Je n’en ai pas.

— Je ne fais que conclure sur la base de tes dires. Ta mère n’a rien dit de différent à la majorité des parents responsables que je connais incluant les miens. Nos parents ont plus d’années que nous sur terre et on ne peut nier que leurs valeurs sont souvent teintées de leurs expériences personnelles. Si ta mère a côtoyé ou n’a entendu que des histoires d’hommes riches profitant des filles modestes, peux-tu lui en vouloir de te transmettre ça?

— Mais pourquoi elle voit le noir partout? Pourquoi mon histoire ne peut pas être différente de ce qu’elle sait?

— Quand a-t-elle dit que ton histoire serait pareille à ce qu’elle sait? Tout ce qu’elle a fait, c’est te conseiller. Elle t’a déjà forcé à suivre ses conseils?

— Non, mais…

— Mais non Hilda. Chaque personne a le droit de s’exprimer. Tu ne peux pas dire à ta mère ce qu’elle doit te prodiguer comme conseils tout comme tu n’es pas obligée d’accepter. Que tu le veuilles ou non, ce qu’elle craint est un phénomène réel. Il y a bien des gens qui mettent leur argent ou statut en avant pour profiter de ceux qui courent après ça. C’est ton droit d’espérer que ton expérience sera différente. Je connais effectivement des gens de milieu modeste qui sont entrés dans des familles aisées, mais penser que ça court les rues c’est se mentir. On s’entend quand même que les rêves ne devraient pas nous éloigner de la réalité sur terre?

— Oui.

— On s’entend aussi que notre réalité actuelle n’est pas vraiment encourageante?

— À qui le dis-tu? Voilà qu’on s’est foutu de ma gueule alors que je me pensais en couple et en direction vers le mariage, elle soupire.

— Alors que reproches-tu concrètement à ta mère? De vouloir t’éviter des peines?

— Je suis juste fatiguée Océane, elle répond sur un ton las. Fatiguée et déçue. Ce n’est pas la vie que j’espérais à cet âge.

— Alors comment retourner à ce que tu espérais?

— Je ne veux plus rien entendre sur Godson.

— C’est Godson la vie que tu espérais?

— Je voulais être sa femme, bien vivre, prouver à maman qu’on peut être aimé par un homme bien, riche et rien qu’à moi.

— Tu n’as que 24 ans ma grande. Ta vie est loin d’être terminée. Ton homme riche, tu peux le trouver si c’est écrit pour toi. En attendant, rien ne t’empêche d’acquérir toi-même cette richesse que tu convoites. La réalité à laquelle on est tous soumis ici-bas c’est qu’on ne détermine pas quand on trouvera la personne qu’il nous faut. Par contre, la richesse est à ta portée de mains. Mettant de côté les raisons comme l’environnement économique, tu sais au moins qu’en travaillant sur tes compétences professionnelles et multipliant tes sources de revenus, tu peux au moins commencer à construire ta richesse.

— De toute façon, je n’ai pas le choix. J’ai beaucoup d’ambitions.

— Aussi tu n’as rien à prouver à ta mère. Tu penses franchement qu’elle ne sera pas la première à se réjouir de ta réussite?

— Oui, mais je veux lui prouver que rêver ne constitue pas un crime.

— Et je te redemande, elle t’a dit quand que rêver constitue un crime?

Elle me dévisage, sans réponse.

— Pourquoi tu ne respectes pas que ta mère et ton frère aient des personnalités différentes de toi?

— Je respecte.

— Tu ne respectes pas Hilda. Pour toi ce n’est peut-être pas méchant, mais d’un point de vue externe, tu te moques. Tu ridiculises spécialement le fait que ta mère n’aime pas avoir l’attention.

— Non c’est pas vrai. C’est juste que ça m’énerve. Ça me rappelle les sermons sur comment une bonne femme doit être docile, effacée, demander peu, ainsi de suite. Ça m’énerve de voir les femmes présentées ainsi, c’est aussi pour ça que je t’apprécie. J’apprécie énormément le fait que tu ne demandes pas la permission pour vivre de façon publique ton bonheur et je suis trop heureuse qu’Eben ait choisi une femme comme toi. Ça prouve à maman qu’on n’a pas besoin d’être une réincarnation de Marie pour être aimée.

— Si je te suis bien, tu veux que ta mère respecte tes idéaux quand les siens t’énervent?

— Je…., elle commence sans finir.

— Tu t’es déjà demandée si les réincarnations de Marie aimaient l’être?

— Pardon c’est le mensonge. La majorité ne connaît pas mieux et le restant joue sur l’hypocrisie juste pour ne pas se faire critiquer pourtant si tu fouilles bien tu verras que ce sont les femmes les plus fausses au monde, mais comme nous on est plus affirmées on passe pour les pétasses de service. Dans la foulée, les hommes utilisent les gens comme ça pour nous juger nous et dire qu’on est matérialiste, on demande trop, on finira seules, on doit baisser nos standards. Grrrr! Ça m’énervEUH, je t’assure! elle soupire lourdement et me fait sourire.

— Je comprends que tu sois fatiguée si c’est comme ça que tu réfléchis régulièrement. Je vais te demander quelque chose. Repose-toi Hilda.

— Pourquoi j’ai l’impression que tu te moques en douce là?

— Je suis sérieuse ma grande. Laisse la révolution et repose-toi. Ce n’est pas ton travail de changer les mentalités des gens. Ton travail c’est de décider ce qui est bien pour toi et rester fidèle à tes idéaux. Les réincarnations de Marie ne te doivent rien.

— Mais je n’ai pas dit qu’elles me devaient…

— Oh que si, tu l’as dit. Qu’elles ne connaissent pas mieux ou soient hypocrites, ce n’est pas ton problème. Chacun est libre de choisir la vie qui lui convient. Si tu aimes tes standards, tu les gardes. Tu tomberas toujours sur des gens qui te critiqueront sur tes choix tout comme tu viens de critiquer les autres. C’est la vie même qui est ainsi. En revanche, c’est ta responsabilité d’avoir confiance en ton avenir et maintenir tes standards si tu juges que c’est ce qu’il te faut, on se comprend?

— Tu veux dire que ça ne soulève pas ton cœur quand tu entends des discours réducteurs sur les femmes?

— Je n’ai personne dans mon entourage qui me pond des discours réducteurs. Pour tomber sur ça, il faut que je me promène sur internet et ce que je fais, c’est que je coupe dès que ça va sur ce terrain. Je n’interagis pas avec. Ce n’est pas ma réalité, pourquoi m’épuiser à débattre avec des gens qui ont des idées arrêtées? Dans mon quotidien, je suis entourée de gens différents de moi qui me respectent quand même. Que demander de plus?

— Hum…., elle grommèle peu convaincue.

— Pour finir, tu commets une erreur en catégorisant les gens comme tu le fais. Je ne suis pas vraie parce que j’aime être traitée comme une princesse. Ce n’est qu’un caprice parmi tant d’autres. Je me considère comme vraie parce que je ne complote pas contre ceux que j’aime. Je ne leur veux aucun mal, je suis présente pour eux, je suis reconnaissante pour ce qu’ils m’apportent. Je n’ai pas toujours été cette personne que je te décris. Il m’est arrivé de faire du mal à ceux que j’aime. Avec Elikem parfois, je le faisais sciemment pour lui rendre ce que je considérais être la monnaie de leur pièce, mais tu ce qu’est notre relation aujourd’hui. Je pense que notre affection naturelle a survécu à nos clashs et déceptions parce que nos actions ont parlé pour nous. Rares sont ceux qui oublient comment tu les traites Hilda, surtout quand ces gens t’aiment vraiment. Je reste convaincue que si tu as été bonne envers Dara, elle saura te pardonner. Quand je ne pourrais te dire, parce qu’on ne peut prédire les réactions des gens, mais je pense que vous pourrez même repartir sur des bases plus solides.

— C’est risqué, elle sanglote. Et si elle ne me pardonne pas, c’est moi qui me retrouverai seule. En plus, si elle le raconte à ses parents, ils vont me prendre pour quoi?

— C’est risqué je te l’accorde, mais je t’ai demandé au début si tu préférais qu’elle l’apprenne de quelqu’un d’autre. Oui, tu ne l’as dit qu’à nous, mais dans l’éventualité où tu te retrouves exposée dans une situation qu’aucun de nous n’a provoquée? Tu feras quoi à ce moment? Un autre mensonge? Tu ne vois pas qu’au final la base de ton amitié est fausse? Finalement, c’est quoi le meilleur? Être accepté pour soi ou parce qu’on s’est créé une image pour avoir la sympathie?

— Je suis perdue.

— C’est normal. Après une nuit de repos, j’ai confiance que tu prendras la bonne décision pour toi.

— Et si je décide de ne rien lui dire? Tu m’en voudras?

— Non. Je ne suis qu’une personne externe moi. Je te donne ses conseils parce que tu t’es confiée à moi. En revanche, tu connais ton frère.

— Je peux te demander une dernière chose?

— Mais oui.

— Tu pourrais parler à Elikem pour moi? Peut-être que…si elle parle à Dara d’abord, elle pourrait préparer le terrain en quelque sorte.

— Non ma grande. Dara ne s’est jamais immiscée dans ma relation avec sa sœur donc je ne vais pas commencer à m’insérer dans la vôtre à moins qu’elle le demande. J’espère que tu me comprends.

— D’accord, elle répond la mort dans l’âme.

J’essaie encore de la rassurer, mais fatiguée, je finis par l’abandonner pour aller prendre une douche puis dormir. Le lendemain, on n’a presque pas de seconde à nous. Il faut finir les valises, aller déposer ma voiture chez le mécano pour une visite rapide avant la vente, faire un tour au Spa pour que les employées se rappellent qu’elles ne sont pas en vacances juste parce que je suis absente, aller dans mon ancienne maison pour qui j’ai enfin trouvé des locataires. J’ai gardé mon ancien gardien qui était présent pendant que les locataires emménageaient hier. Je lui annonce qu’il pourra commencer le service chez nous, mais d’ici qu’on rentre de voyage il est en congé. Dès qu’on rentre, il n’y a presque plus de temps. Douche, petit encas et les au revoir avec la famille. Maman, Jérôme et sa famille ainsi que Hilda rentrent au village demain. Hilda y fera cinq jours avant de retourner à Nairobi. Elle me semble avoir passé une nuit tourmentée vu sa petite mine. Pendant qu’on s’enlace pour se dire au revoir, je lui réitère qu’elle n’hésite pas à me contacter. La seule chose qui l’a fait sourire, c’est quand son frère a fini par lui annoncer qu’on allait en lune de miel. Fabien et Bijou forcée par son mari nous conduisent à l’aéroport. Eben me glisse à l’oreille de ne pas oublier l’argent pour Bijou. Ce Fabien c’est tellement un phénomène. Il a ramené 20000 des 30000 qu’on lui avait donnés pour couvrir ses courses durant le mariage. Sa raison, Bijou n’avait pas besoin de plus. Pour obliger cette dernière à prendre l’argent, je lui donne comme prétexte que j’aurais besoin d’aide pour faire des courses afin de surprendre Eben donc ça doit rester entre nous. Il a fallu qu’Eben insiste aussi pour que les deux entrent avec nous dans l’aéroport, sinon Fabien voulait s’en aller dès qu’on a descendu les valises. Dieu merci, on a réussi à le convaincre qu’il lui fallait connaître l’aéroport puisqu’il est chargé de venir nous chercher au retour. Sinon pour lui, il ne voyait pas l’utilité de connaître un coin dans lequel il n’ira jamais parce qu’il ne voit pas le besoin de quitter son pays, le meilleur au monde.

Pendant qu’Eben va chercher le chariot à bagages, je vois bien que Bijou contemple avec intérêt l’intérieur de l’aéroport et me sors un sourire gêné quand nos regards se croisent.

— Ma sœur est en France là-bas, elle m’explique timidement.

— Tu aimerais un jour la visiter?

— Visiter? C’est par la nage que tu vas aller la visiter?

— C’est avec le bâton des sorcières de ton village, Bijou me rend fière par sa réponse à Fabien qui bien sûr rigole.

— Tu as la mal bouche hein boutou.

— Hééé, elle réplique rougie de pudeur probablement liée au surnom qui doit être réservé à leurs moments intimes.

— Pardon ton frère t’appelle, je dis et le bouscule pour qu’il nous laisse, mais quand je passe le bras autour de l’épaule de Bijou, c’est Romelio que je vois au loin en compagnie d’une femme. Chacun d’eux a une valise et ils sont en discussion animée. Elikem m’avait parlé de son voyage, mais je ne pensais pas qu’il était parti accompagné. Eben et Fabien nous retrouvent avec le chariot et une trentaine de minutes plus tard, on se sépare de l’autre couple Tountian. On s’est pris l’accès au salon et comme on est seuls on fait n’importe quoi là-bas. Rigolades, se faire des films, Bruce nous a même appelés et confirmé qu’il a retrouvé Jennifer.

***Bruce Attipoe***

(Trois heures avant qu’il confirme à Eben et Océane qu’il a retrouvé Jennifer)

Encore un commentaire positif sur Tchaa, cet ancien coéquipier de basket du temps où mes parents avaient les moyens de m’envoyer au Colpro. C’est ce même Tchaa qui a rassemblé les potos du club de Basket au décès de mon vieux pour m’offrir 75000 CFA, une cotisation de groupe comme soutien. Je ne l’ai pas longuement côtoyé. Nous n’avons jamais fait les mêmes classes. On le connaissait juste comme Tchaa, la référence du collège pour les bons plans. Il a fallu qu’Eben prononce son nom et avec les détails que je connaissais d’Océane, j’ai commencé à m’interroger. J’ai fait le tour des anciennes connaissances du Colpro que j’ai gardé. Les commentaires sont unanimes. Un gars sur qui on peut compter, débrouillard, qui a même aidé beaucoup à trouver des logements en France et certains qui galéraient avec le processus d’immigration canadienne. Aucune tâche, aucune rumeur, on ne lui connaît pas de scandale. Il n’a jamais frappé de femme, pas de maîtresse. On sait juste qu’il est le fils d’un pasteur et d’une gynécologue, marié à une Togolaise du nom de Jennifer et travaille à l’hôpital AELI.

Je sais ce que je cherche. Je me cherche une raison pour rendre leur divorce valide à mes yeux et m’autoriser à draguer sérieusement Jennifer, parce que je me trouve dans une position inconfortable. Je ne dirai pas que Tchaa est un ami, loin de là, mais ça m’énerve de passer après lui. C’est Eben qui s’en fout. Moi je n’aurais jamais donné de chance à Océane à sa place. Je ne veux pas de femme que quelqu’un de mon entourage a touchée. Ça me blesse.

Bref, j’ai du mal à me concentrer au travail donc j’abrège ma journée comme il sonne déjà 14 h. J’en ai assez fait. Sur un coup de tête, je m’arrête chez un fleuriste pour acheter une douzaine de lys blancs et me dirige vers le Snack. La providence étant de mon côté, elle discute avec une dame qui monte dans un véhicule quand je descends du mien. Je m’empresse de la rejoindre avant qu’elle ne rentre.

— Pardonne-moi s’il te plaît, je me lance directement. Je t’ai pris des fleurs.

— Et alors? elle m’interroge sur un ton mordant. Ce sont les fleurs qui vont remettre mon menton à l’endroit?

— Permets-moi de me faire pardonner alors. Je suis sincère Jenny. J’ai honte de t’avoir fait ça. Parfois, je ne sais pas me contrôler quand je suis dans la joie.

Elle me toise et pousse le juron le plus long au monde avant d’entrer dans son snack. Je la suis sans tarder et insiste tellement que je finis par gagner du terrain. Elle accepte mon bouquet. Je propose sur un coup de tête de l’introduire à Ortencia pour le travail. Cette nouvelle règle mon problème. Enfin elle me sourit. La chance me sourit aussi. Ortencia prend mon appel et accepte de nous recevoir chez elle après que je lui ai expliqué. Je passe la soirée au Snack à admirer Jennifer et à l’heure convenue nous sommes devant leur demeure imposante entourée de gardes à Kégué.

Jennifer lui expose brièvement la situation et Ortencia nous rassure qu’elle l’introduira à ses contacts. Seulement, elle a passé une bonne partie de la soirée à cuisiner Jennifer sur les rouages de l’école ainsi que des détails sur la fondatrice. Elle ne s’est pas gênée aussi pour descendre Deborah Nicol. Une jeune sans famille qui s’est accrochée à son défunt frère pour sortir de la pauvreté et au décès de ce dernier, elle a éloigné les enfants du reste de la famille. En soi, des détails qui ne nous regardent pas quoi, mais ça lui tenait tant à cœur qu’elle l’a répété à différentes reprises. Ça ne prend pas un devin pour comprendre que cette femme cherche des éléments pour nuire à la fondatrice. La raison toutefois m’échappe, donc j’interroge Jennifer après la rencontre.

— C’est à toi que je devrais demander non? C’est ta collègue de travail.

— Bah collègue oui. Avant aujourd’hui, je ne connaissais que sa vie dans les grands détails. Sierra léonaise de père, Togolaise de mère, deuxième épouse de Wanké, mère de deux filles. J’ignorais qu’elle avait une dent contre sa belle-sœur. J’apprécie quand même que tu ne sois pas entrée dans son jeu.

— Je ne verse pas dans les médisances. Ce n’est pas de mon âge. Je me concentre sur mon argent.

— L’argent ne tient pas au chaud les nuits, je me lance et continue comme elle paraît déroutée. Au diable Tchaa. Mon bonheur aussi compte.

— Je ne vais pas mentir Jennifer, tu me plais. Je sais que tu es en instance de divorce, mais j’ai du mal à me contenir en ta présence. Je veux te toucher, te faire du bien, mettre un sourire sur ta belle face, je veux ajouter des couleurs dans ta vie. Il te faut juste dire oui.

— Bruce…, elle commence mal à l’aise, sans mentir, tu es un soutien inattendu pour moi, mais mon cœur est blessé. Mon mari m’a laissé tomber et exposé à sa famille qui se moque de mon échec…

— Non, n’utilise plus le mot échec quand tu parles de toi. Le divorce arrive, ce n’est la faute de personne. L’important c’est de passer à autre chose. Regarde-toi, si belle, pleine de vie.

— Pleine de vie quand la maladie ne me cloue pas sur place.

— La maladie n’a en rien altéré ta beauté. Tu es magnifique et tu m’attires tellement. Imagine-toi à mes côtés? Tu ne veux pas reprendre goût à la vie? Vivre ce qu’Eben fait vivre à Océane.

— Ne colle plus jamais mon nom à cette cruche d’Océane, elle fulmine.

— Excuse ma maladresse, je voulais juste dire que je peux rendre ta vie si agréable, te tenir compagnie, être ton meilleur ami et tout ce dont tu rêves. Dis-moi de quoi tu rêves ma chérie?

— Je veux être heureuse et qu’on me respecte. Je veux effacer la déception dans le regard de ma tante due à ma séparation avec mon mari. Je veux que mon mari me voie heureuse et radieuse, qu’il comprenne ce qu’il a perdu, qu’il regrette les méchantes choses qu’il m’a dites et se morde les doigts d’avoir perdu une femme comme moi. Je retrouver confiance en moi, retrouver par mille tout ce que j’ai perdu dans cette séparation.

— Alors, donne-moi une chance, je conclus. Lance-toi, fais confiance à l’avenir.

— Tu me donneras le temps de finaliser mon divorce dans la paix avant qu’on se mette officiellement ensemble? Je ne veux pas donner de raisons supplémentaires à ma tante de me critiquer.

— Si c’est ce que ça prend, d’accord.

— Dans ce cas, j’accepte.

Les colombes de la joie s’envolent dans mon être. Il y a du travail à faire sur ses envies. On ne se sépare pas pour parler encore de prouver quelque chose à son ex, mais je suppose que c’est la douleur qui parle. C’est probablement Tchaa qui a décidé de divorcer et en tant que femme, elle ne le digère pas donc elle veut lui faire regretter. Mon travail sera de lui faire oublier complètement l’existence de son ex-mari pour qu’elle vive pour nous. Si Eben a pu conquérir Océane en moins d’un an alors qu’il a moins d’expérience avec les femmes comparées à moi, je ne vois pas pourquoi j’aurais du mal à y arriver.

***Hilda Tountian***

J’ai invité Dara et Snam au resto pour cette fameuse discussion qui m’a demandé tout le courage de la terre. Après des nuits blanches, discussions avec Océane bien qu’elle soit en lune de miel, j’ai décidé de me jeter à l’eau deux jours après mon retour à Nairobi et je regrette déjà. Dara me regarde comme si je venais d’une contrée lointaine. Snam a la bouche ouverte. 

D’amour, D’amitié