
138: A friend of mine
Write by Gioia
***Océane
Tountian***
Après une nuit lente et
riche en émotions, j’ai hâte de rentrer chez nous. Mes pieds ont besoin d’un
bon bain de sel après ce qu’ils ont subi hier. J’attends Eben qui finit de
ranger nos affaires à l’arrière de la voiture. Papa m’a vraiment surpris. Il
savait que l’un de mes buts, c’était de m’offrir un jour une voiture de luxe personnalisée
à mes goûts. Je l’adore notre cadeau. Eben me rejoint et démarre.
— Je me disais
qu’on pourrait vendre une de nos voitures Meu Bem? je lui propose.
— J’y ai pensé
aussi. Comme tu es rentrée avant moi, c’est mieux que tu vendes la tienne.
— Mais je pense
que la mienne a plus de kilométrage au compteur. Ce n’est pas mieux qu’on laisse
la tienne pour avoir un meilleur prix?
— Je ne crois pas
que tu as plus de kilométrage que moi. Déjà tu as pris la tienne neuve, alors
que j’ai racheté ma Nissan Versa à quelqu’un qui l’avait utilisé pendant un an
chérie. En plus, les Toyota sont appréciées par la majorité ici, donc je ne
doute pas qu’on trouve un bon acheteur pour ta Prius. Je préfère aussi garder
ma Versa pour l’instant. J’apprécie mes collègues, mais vu l’esprit de
compétition qui règne au cabinet, je ne souhaite pas qu’on commence à me mettre
des bâtons dans les roues sous prétexte que je détourne les clients du cabinet pour
me faire de l’argent.
— Mais là, on ne
va pas vivre à cause des gens?
— Je ne dis pas
ça chérie, il rigole. Je préfère juste opter pour la prudence dans un premier
temps. Je boucle à peine un an au cabinet. Imagine, je débarque avec une
voiture que même l’associé principal et propriétaire ne conduit pas. C’est
m’attirer de l’attention que je juge inutile. J’aime là où je suis et mon
objectif, c’est d’y faire au moins trois ans à moins qu’on m’offre meilleur
ailleurs. Je préfère garder ma vie professionnelle séparée de la personnelle.
Tu es la patronne de ton entreprise toi. Personne ne se questionnera sur tes
dépenses.
— Hum, le roi de
la raison, je dis ennuyée et il se moque.
— Tu sais que
j’ai toujours raison et de toute façon, le grand-père de bébé nous a bien dit
que ce cadeau est réservé à son petit-fils.
— Corrigez votre
« petit-fils » que vous traînez dans vos bouches là. J’attends une
princesse.
— Haha, la langue
de Molière nous a appris à dire un enfant, petit-fils ou bébé. On doit changer
comme tu es enceinte?
— Exactement. Mon
bébé c’est une fifille toute douce, gentille et adorable qui sera la bestie de
maman. Elle sursaute dès que je lui parle des tenues assorties qu’on portera.
— La maladie, il
se marre. Il n’y a que dans ton pays qu’un fœtus de treize semaines bouge.
— Oui, le pays
des fraises, du sucre et des jus de fruits glacés durant une chaleur
accablante, je liste toutes mes envies depuis cette grossesse. C’est là-bas
qu’Eolia Charlotte et maman vivent.
— Ce Charlotte
que tu colles à mon enfant n’ira pas sur l’acte de naissance madame.
— C’est même quoi
avec toi? J’ai proposé Lottie aussi, mais tu fais ton difficile. Qu’est-ce qui
n’est pas mignon sur Charlotte et Lottie?
— Tu ne vas pas
transmettre ton obsession de « Charlotte aux fraises » à ma fille.
Eolia c’est tout ce qu’il lui faut comme prénom.
— Breeuufff! je
dis en roulant des yeux. C’est toi le père, on a compris.
— Et en tant que
bon père, je te donnerais un jour ce garçon que tu redoutes tant. Il te fera
bien courir et crier.
— Et ça te plaît
de souhaiter ça à ta femme? Pfff!
— Très, il
réplique tout sourire. Il sera un garçon bien énergique qui volera ton cœur
autant que nos filles. Ne t’en fais pas.
— Parlons de douceur
pardon. Je n’aime pas le stress.
Il continue à
m’embêter jusqu’à notre arrivée à la maison. C’est Hilda qui nous ouvre le
portail et évite de justesse de se ramasser la face au sol en courant pour
m’ouvrir la portière.
— Yoo, ça va? je
demande inquiète.
— Ouais, elle
rigole. Vous faites quoi là? Vous n’allez pas en lune de miel?
— Tu nous as offert
une lune de miel peut-être? rétorque son frère.
— Je blague non
le mari de l’heure, tu respires le bonheur! On ne parle plus de ta beauté ma belle-soeurrhhrr.
Une comédienne qui ne
cesse de m’étonner. Eben a fini par me raconter ce qui s’est passé entre elle
et Cédric. Il semble qu’éviter la grossesse l’a tellement impacté positivement
qu’elle plane sur un nuage. J’ai essayé d’évoquer notre bagarre pour qu’on
s’explique, mais elle l’a balayé d’une main, prétextant que c’est inutile de
perdre du temps sur une incompréhension. Depuis, elle me colle au train et
m’amuse énormément par ses actions.
— Tu as été sage
même? continue son frère.
— Toujours! Je
n’ai pas bougé de la maison, les murs même peuvent témoigner.
— Pourquoi vous
n’avez pas appelé pour nous prévenir de votre arrivée? On aurait tué le dindon
dès le matin pour le mettre au feu, nous dit maman Constance qui nous rejoint
suivie de Bijou, Amen et les enfants.
— En fait on a
mangé à l’hôtel avant de partir, je lui explique. Ça va vous?
Ils répondent en chœur
et certains veulent taper la discute, mais mes pieds ont besoin de ce bain de
sel. Je m’excuse et m’éclipse à l’étage suivie de Hilda qui m’aide avec nos
housses.
— Yeuch, ma
belle-soeurhhrrr, c’est tout ce poids que tu transportais sur ton corps comme
robe de mariée?
— Imagine quand
on ajoute la traîne, je rigole.
La journée d’hier m’a
confirmé que je ne peux être qu’une princesse à temps trèèèss partiel. Les
tenues bouffantes ne sont pas faites pour celles qui se découragent ou
s’énervent facilement.
— Ouais, tu n’es
pas la camarade de quelqu’un. Je dépose la housse où?
— Ici chérie,
merci, je dis en ouvrant la porte du dressing pour elle.
— Eh, tu crois
qu’elle tiendra dedans?
— Mais oui, il
faut juste pousser un peu, je dis et lui montre comment.
— Ce n’est pas
pour les faibles ton travail là. Je vais chercher les valises, j’arrive, elle
annonce et s’en va.
Pendant que je range le
costume d’Eben et le reste de mes effets, elle revient avec les valises.
— Entre nous,
c’est vrai que vous n’allez pas en lune de miel mah? C’est quoi ce plan? Le
rêve ne peut pas finir en si peu de temps.
— Tu peux aussi
nous donner l’argent pour qu’on y aille. Je ne vais pas refuser, je réponds
avec humour tout en me dirigeant vers la salle de bain pour remplir mon masseur
de pieds à bulles. J’y ajoute aussi quelques gouttes de mon mix d’huiles
relaxant.
— Dieu sait que
si j’en avais les moyens, je vous aurais envoyé en Florence.
— N’est-ce pas.
— Ne rigole pas
hein, je suis sérieuse, elle dit avec un sourire. Un séjour dans un bon petit
hôtel coloré et pas trop loin de la mer. Imagine vos balades dans les ruelles
étroites de la ville à profiter de l’architecture?
— Ce n’est pas un
petit projet hein, tu as quoi d’autre en tête?
Pendant la quinzaine
de minutes que dure mon massage de pieds, elle me partage son rêve et me fait
même participer au scénario en me questionnant sur mon couple. Est-ce que son
frère est romantique? Il m’a demandé en mariage comment? Elle se l’est toujours
demandée. Est-ce qu’il est jaloux ou plutôt détendu ? Je veux avoir combien d’enfants? Plus elle
continue, plus je ne peux m’empêcher de trouver des similitudes entre nous. Les
questions osées, l’imagination débordante, j’ai l’impression de me revoir dans
mon early twenties (de 20 à 24 ans). C’est le frère qui vient la chasser
de la chambre pendant que je troquais ma tenue contre un négligé rouge ainsi
qu’une robe de chambre courte et légère en dentelle noire.
— Tu as fait ton
bain de sel ou le bavardage ne vous a pas donné le temps?
— Arrête de nous
embêter, je réponds avec humour tout en remettant un peu d’ordre dans nos
chaussures.
— Maman insiste avec
son histoire de bouffe, comme quoi il va bientôt sonner midi et son petit-fils
ne peut pas se contenter de deux repas par jour.
— Je n’ai
franchement pas faim Eben, tu peux manger si tu en as envie toi. Pas la peine
de m’attendre.
Je reçois une fessée
et sa main agrippe ma hanche.
— C’est de ça que
j’ai faim, il s’exprime sur un ton possessif.
— Eben, je me
plains en me redressant. J’ai besoin de dormir.
— Hmm, je sais,
je serais rapide comme ça tu dormiras mieux.
— Je n’ai pas la
force pour faire une pipe à l’heure actuelle.
— Qui a demandé
une pipe? Quand tu sens ça, j’ai besoin d’une pipe? il murmure d’une voix
rauque tout en collant mon postérieur à sa bosse.
On a fait l’amour
presque toute la nuit. Ce n’était rien d’extravigoureux, mais quand même, après
de longues heures à se tripoter sans arrêt, je ne le voyais pas me toucher maintenant.
Ce n’est pas que ça m’agace, mais je n’ai juste pas envie. Je le laisse
toutefois faire, vu comment il est déjà emporté et me suçote le lobe de
l’oreille, je n’ai pas le cœur de lui couper son goût. Il nous dirige vers le
petit fauteuil installé dans le dressing. Je m’agenouille dessus, lui tend ma
croupe et un rien de temps, il est en moi après avoir enduit sa queue de
lubrifiant.
Le sexe c’est
l’activité la plus étrange au monde. Après des va-et-vient qui réveillent les
sens, me voilà qui retourne ses coups, ondule mes hanches, bouche ouverte à
cause de ma respiration qui change. Même les pointes de mes seins sont dressées
et comme j’ai toujours mon négligé sur moi, le tissu qui frotte contre m’excite
davantage.
— Tu sais que ton
corps me rend fou O?
— Mmmhhmm, je
murmure, le souffle court et le cœur s’affolant à cause du plaisir.
— Tu es tellement
douillette et moelleuse, il râle, torse collé à mon dos et ses bras entourant
mes hanches.
— Prends-moi plus
vite bébé, je finis par le supplier.
Je veux être secouée
et il n’hésite pas. Il me cale bien, passe ses mains sous mon négligé pour
recueillir mes seins comme s’il voulait leur donner du support et on s’emboîte
à l’unisson jusqu’à sa jouissance. Nos odeurs se mélangent, on s’embrasse
jusqu’au lit où il me dépose et il continue à me dévorer les lèvres au point où
je plonge dans le sommeil sans m’en rendre compte.
C’est l’envie de
pisser qui finit par me réveiller. Je suis seule au lit, l’entrejambe collant
et la bouche pâteuse. Téléphone en main, je vais me soulager tout en prenant
connaissance des multiples messages que j’ai. Le premier est de Siaka, la rédac
en chef du magazine Source. Elle me félicite pour le mariage et demande si elle
peut avoir l’exclu de mon histoire.
— Merci ma belle.
Figure-toi que je comptais te faire signe. Comment tu as su pour mon mariage?
je lui réponds intriguée.
— J’ai vu des
photos passer sur les réseaux.
Bien sûr, je suis
bête, j’ai complètement oublié l’existence d’internet.
— Comme tu le
sais, la majorité de nos lecteurs ont aimé te découvrir vu combien
d’exemplaires on a vendu et depuis un moment, je pense à lancer une rubrique « Catching
up with » qui mettrait en lumière un événement ou accomplissement de nos
anciens interviewés. Ce serait un honneur pour nous d’inaugurer cette rubrique avec
toi. On pourrait en discuter de vive voix si ça te convient?
— OK, je peux
t’appeler dans une trentaine de minutes?
— Of course,
disons-nous à bientôt.
Je voulais
effectivement la contacter afin de connaître leurs tarifs de posts sponsorisés
pour faire de la pub à Bijou qui m’a gracieusement confectionné les parures que
j’ai portées pour ma dot. Curieuse de voir ce qui est publié sur nous, je vais fouiner
un peu sur nos réseaux et le post en tête est de Hilda qui expose au monde les
délires de Bruce. Eben m’avait prévenu sur son ami, mais rien ne pouvait me
préparer à la démence que Bruce nous a sortie sur la piste hier. Et ce qui me
tue au point que je m’étouffe encore de rire ici, c’est la façon dont il occupe
toute la piste et saute d’un coin à l’autre comme une sauterelle sans prévenir.
Je dépose un like sur tout ce qui est posté sur nous et j’appelle Siaka à l’heure
prévue. Eben et moi avions déjà discuté de mon initiative, donc je sais déjà
quoi inclure et retirer de notre histoire. On se laisse sur la promesse que je
lui transmettrais aussi tôt que possible les photos dont elle a besoin. Heureusement
qu’on est à l’ère du digital de qualité, on n’a plus besoin d’attendre des
jours pour avoir des photos propres. Je sélectionne les plus belles et surtout pertinentes
puis lui envoie par courriel en signant avec notre #Tountiantraditionnaltale. Le
forcing de ça, je suis dans ma phase honeymoon, qu’on me laisse.
Le sommeil m’emporte à
nouveau et à mon réveil, c’est le choc qui prend place. Je n’ai pas regardé l’heure,
mais ça m’étonnerait que j’aie dormi pendant plus de deux heures. Comment elle
a réussi à sortir un post et le finit par le lien vers un article détaillé incluant
dans un ordre plus harmonieux que le mien quand je lui racontais? Il y a des
gens qui sont doués pour le storytelling! L’article me réjouit tellement que j’en
prends plusieurs photos et retourne sur le post pour lire les commentaires. Hilda
qui se bagarre en commentaires me fait rire. Comme je n’ai pas révélé l’identité
de mon mari et on ne voit que des photos de mains ou de dos sur les rares où il
apparaît, les spéculations fusent de partout. Les trois idées qui dominent dans
les commentaires, c’est que j’ai pris le mari de quelqu’un, épousé un vieux
riche, ou un Américain. Les arguments de chaque côté sont à mourir de rire.
Apparemment, beaucoup ont suivi le #Tountiantale et se défendent qu’avec le glamour
étalé là, c’est évident que je n’ai pas épousé n’importe qui. En plus, ils ont
vu des anciens ministres, le propriétaire de l’hôpital AELI et tant d’autres
personnalités sur les photos donc c’est évident que mon mari doit venir du même
milieu que moi. Certaines s’amusaient même à imaginer le coût de mes tenues, ne
sachant pas qu’ils ont à faire à une folle qui, se prenant pour une célébrité
achetait souvent des robes de soirée quand elle vivait aux États-Unis avec l’excuse
de « on ne sait jamais où on m’invitera ». La réception était l’excuse
parfaite pour enfin les porter et au final je n’en ai même mis que trois sur
les cinq prévues. La fête étant trop hot, j’ai oublié à un moment qu’il me restait
des changements. Les personnalités sont des amis de papa et il n’y avait même
que Mme Wanké au mariage comme ancienne ministre, mais tu ne peux pas
empêcher les gens de spéculer non? C’est ce que je vais écrire à Hilda quand je
remarque qu’elle se promène sur chaque commentaire pour complimenter ceux qui
parlent positivement de nous, corriger ceux qui extrapolent et insulter d’autres.
— Mais les gens
sont trop bêtes Océ!!!! Depuis quand Tountian c’est un nom de famille
américain?
Je suis morte de rire
devant son message. On sent même la colère transpirer sur l’écran.
— Ma chérie, on
est dimanche soir. Les gens diront ce qu’ils veulent. Tu as le souffle pour
dormir là-bas?
— J’ai le souffle
même! Poumons de baleine a menti, j’ai the souffle. Les récalcitrants et les tchiza
refoulées qui croient qu’on est comme eux vont comprendre.
— Je demande
pardon, je tape en essuyant les larmes au coin de mes yeux, ne va pas exposer le
nom de ton frère là. Ce n’est pas son monde ce genre de choses.
— Pffff! Pas son
monde là, voilà comment on lui manque de respect ici au point de lui attribuer
une autre nationalité sous prétexte qu’un togolais régulier ne peut pas honorer
une femme à ce niveau. Exactement comme maman, ils aiment trop se laisser
marcher dessus. Ne le laisse pas te changer hein. Reste vraie et directe comme
tu es. Il finira par apprendre de toi.
Eh Hilda? Je ris à en
pleurer et continue à lire le reste des commentaires. Au moins il y a du
sérieux dedans. Comme je l’espérais, les œuvres de Bijou reçoivent l’attention
nécessaire. Je me suis assurée de raconter mon histoire d’un point de vue
préparation à ma journée plutôt que « woh voici comment j’ai rencontré l’homme
de ma vie. » Elle a inclus aussi les sketches que Bijou a réalisé de mes
idées, les essais à chaque étape de la confection, retouches et le prix des
parures, du moins le prix auquel elle les ferait pour des clients, parce que moi
je n’ai rien payé. Malgré mon insistance elle a refusé de se faire rémunérer,
donc j’ai décidé de l’aider d’une autre façon. Je lui ai déjà ouvert une page
business sur les réseaux et sur ma tablette, je vois que les abonnements ont
commencé. J’attribue aux réseaux une bonne partie de la réussite de mon Spa parce
qu’en quatre ans de travail acharné et stratégies commerciales ciblées, j’ai
atteint un peu plus de 97 millions de CA après charges, impôts et j’ai
même réussi à rembourser les trois derniers millions du prêt que papa m’avait donné
dix ans plus tôt quand je flirtais déjà avec l’idée d’avoir un institut de soins
personnels. Objectivement, je ne pense pas qu’O-cèdres est le meilleur spa du
pays, mais sans aucun doute, nous sommes les plus attrayants pour le public. Le
taux d’engagement sur nos plateformes sociales, le nombre de visites physiques qu’on
reçoit par semaine, le retour des clients sur notre service, tout ça c’est le
résultat d’une panoplie de stratégies qu’il me faut vulgariser pour Bijou. J’espère
néanmoins qu’avec les captures des commentaires, elle trouvera la motivation
pour dominer le doute et la crainte de l’échec qui la garde chez le Goldsmith
où elle travaille depuis que je la connais.
Bref, ça c’est mon objectif
post lune de miel, parce que oui on va bien en lune de miel. C’est l’une des
premières choses qu’on a couverte durant nos préparatifs. Lisbonne et Porto, pour
six jours, mais vu qu’on va vendre ma voiture, je regarde la possibilité qu’on fasse
un arrêt de trois jours en France. Mon chéri ne connaît pas Paris, je souris en
repensant à la réplique phare du papounet d’Elikem. Aussi, on peut en profiter pour
rendre une brève visite à maman et Parker. Je sais qu’on les a déjà vus ici,
mais est-ce qu’on voit assez sa maman? Surtout que la mienne ne vit pas ici et je
veux la remercier d’avoir pris sur elle pour faire team commune avec papa quand
il a fallu régler mes problèmes. Pour l’instant, je vais clavarder avec Air France
pour voir si on peut changer nos billets de retour.
Meu bem me rejoint pendant
que je finis les calculs de notre nouveau budget.
— Bien dormi? il
me demande tout en me câlinant la tête.
— Trop même. Vous
avez fait quoi finalement? Tu as mangé?
— Oui, je n’ai
pas pu t’attendre. Maman a braisé un des dindons qu’on nous a offert. Tu veux
que je te fasse monter un plat?
— Non, je vais sortir
de ce lit. Assez dormi comme ça.
— Tu as manqué
Bruce aussi. Il est passé et on a mangé ensemble.
— Comment il va?
Des nouvelles de sa compagne de danse?
— Comme moi, on
ne lui a pas répondu. Il s’est rendu chez sa tante, mais cette dernière lui a
dit que Jennifer n’habite plus avec eux. Il a été au Snack avant de venir chez
nous et les employés ont dit que Jennifer n’était pas encore arrivée.
— Elle a probablement
honte. Je pense qu’elle répondra si vous réessayez ce soir.
— Ouais, Bruce a
dit qu’il retournait au Snack en quittant ici. Il compte passer tout son dimanche
là-bas.
— Tu veux le
rejoindre?
— Parce que j’ai
tout mon dimanche peut-être? Déjà qu’à cause de l’arrivée inopinée de Bruce, j’ai
dû repousser ma conversation avec Hilda. Il faut qu’on commence nos valises
aussi. Tu fais même quoi?
Je lui fais donc part
de mon idée d’étendre notre lune de miel. Le plan initial c’était de partir
demain soir, et on rentrait le samedi. Il s’était laissé trois jours en plus du
dimanche comme délai pour se reposer avant de reprendre, donc dans le nouveau
planning, il ne lui resterait qu’une journée pour récupérer. Après
délibération, on abandonne Marseille dans le projet. Trois jours c’est
effectivement court après des mois de longue préparation. On se contentera de
Paris et nos prochaines vacances, on les dédiera aux Boulder. Je texte aussitôt
mon mécanicien pour qu’il propose ma voiture à des potentiels clients.
— Tu t’es pris la
tête avec Hilda concernant les commentaires?
— Quels
commentaires? il m’interroge depuis le dressing où il sort les valises.
— Euh…, juste des
commentaires sur internet concernant notre mariage.
— Montre-moi.
— Tu ne vas pas
te fâcher hein, elle n’a rien dit de mal, j’essaie d’arranger la chose tout en
lui montrant.
— Cette fille, il
soupire las.
— C’est juste l’excitation
Eben.
— Ce n’est pas l’excitation.
Hilda s’égare. Maman veut qu’elle revienne à Lomé. C’est de ça qu’on a parlé. Bien
sûr, elle ne veut pas. Elle l’a si mal pris qu’elle est allée se réfugier dans
sa chambre.
— C’est à cause
du truc avec Cédric? Je crois que c’est oublié de chaque côté non? Pourquoi
elle devrait rentrer?
Je vois qu’il hésite à
se confier et ça me chagrine un peu. Il doit se demander s’il peut me faire
confiance.
— Je respecte si
tu ne veux pas en parler, mais si c’est moi qui te fais douter, je te promets
que plus jamais je ne te ferai vivre ce qui s’est passé à la dot.
— J’ai honte, il
dit d’une voix lourde et s’assois au lit. J’ai l’impression d’avoir failli à
mon rôle de figure paternelle pour ma sœur. Quand je quittais le pays, je me
voyais réussir et sortir les miens de la galère. Je me voyais donner à chacun l’opportunité
de faire au moins des études supérieures, surtout pour Hilda. Je voyais des
jeunes filles de son âge avancer sans encombre, travailler, et accomplir leurs
projets tandis qu’il a fallu que Bruce et moi reprenions nos études à Porto. Bien
que ça me soûlait de reprendre à zéro dans un autre pays, l’une des raisons qui
me poussait à avancer, c’est que ceux qui me suivent n’auraient pas un parcours
en dent de scie comme le mien. Hilda s’est retrouvée à Nairobi à coup de
mensonges. Elle a berné la famille de ton amie. Elle a même soudoyé un ancien
voisin de Fabien pour qu’il se fasse pour lui auprès des Laré Aw afin d’obtenir
l’autorisation de suivre les autres au Kenya. Et tu sais la raison qu’elle m’a
donnée? Elle ne voulait pas souffrir comme les autres, pourtant elle est
incapable de me pointer ses autres qui souffraient tant. C’est dans l’histoire
de la fausse grossesse et sous les menaces de maman qu’elle a tout avoué. Je
sais que personne n’est parfait, mais jamais je n’ai imaginé que ma petite sœur
puisse mentir à ce niveau. J’ai tellement honte Océane. J’ai l’impression qu’on
ne lui a pas donné le cadre nécessaire pour qu’elle reste concentrée.
— Non tu as tout
faux, je dis en prenant sa tête pour la poser sur mes jambes. Regarde-moi, je ne
pouvais reprocher à ma mère que sa façon de me traiter, mais je l’ai quand même
laissé en plan pour suivre mon père aux États-Unis.
— Ce n’est pas
pareil Querida. Tu as suivi ton père, ta seule figure parentale. La méthode
était mauvaise, mais je t’ai compris. Tu n’avais que seize ans et tu retrouvais
ta mère après combien d’années? Vous n’avez même pas eu le temps de vous
familiariser que les problèmes pointaient déjà le bout de leur nez. L’animosité
entre tes parents aussi n’a pas favorisé la communication. Hilda a quelle
excuse? C’est Fabien qui l’a fait quitter le village, son propre frère et elle
l’abandonne avec une vulgaire lettre pour suivre des gens qu’elle ne connaissait
qu’au trop depuis deux ans. Elle a tout laissé pour suivre le confort et la vie
de rêve. C’est aussi ce qu’elle a suivi avec son ignare de copain là qui l’a
mené dans le lit de Cédric. Hilda me blesse si tu savais.
— Je comprends,
je ne l’excuse pas encore une fois. Je n’ai pas de petite sœur, mais s’il y a
une chose que je sais sur les filles dans la vingtaine, c’est que certaines ont
des bonnes intentions, mais font n’importe quoi. Parfois on n’a pas souffert,
mais on intériorise les souffrances de notre entourage pour se convaincre qu’on
doit tout faire pour ne pas perpétuer le cycle. Elle a mal agi, mais l’obliger
à rentrer, tu es sûr que c’est la solution? Elle travaille là-bas, je pense. En
fait, je me demande ce qu’un retour changerait pour elle. Est-ce qu’elle ne
vous en voudra pas plutôt et pour finir ne s’enlisera pas dans le mal?
— Maman pense
seulement que là-bas, personne ne sévit avec elle et c’est pour ça qu’elle est devenue
ce qu’on connaît aujourd’hui. Personnellement, je ne pense pas aussi qu’un
retour serait utile. J’ai proposé qu’elle rétablisse la vérité auprès de ses
amies.
— C’est une bonne
option. Elle a dit quoi?
— Tapé une crise
avant de se réfugier dans la chambre. Supposément, on veut ruiner sa vie et lui
dicter sa conduite.
— Ouais, on n’est
pas sorti de l’auberge, je commente sur un ton peiné.
J’essaie autant que possible
de lui remonter le moral pendant qu’il recommence à faire nos bagages. Comme
papa nous a offert quatre valises, on décide d’en remplir légèrement trois et
un prend la majorité des effets en prévision des potentielles courses qu’on
fera durant le voyage. Je mange et vers 18 h 30, Elikem m’appelle
pour me confirmer que leur convoi vient d’arriver sain et sauf à Nairobi. Dara
et Snam étant présentes pour les récupérer, elles proposent qu’on passe en vidéo
pour qu’on se parle. Le signal étant mauvais à l’étage, je descends et comme les
autres regardent la télé au salon du bas, je me rends à l’arrière-cour à la recherche
du bon. Les félicitations fusent. Je suis ravie de voir Snam en meilleure forme
et surtout avec un ventre bien rond. Son fils ne veut même pas lâcher son cou bien
que Mally essaie de le reprendre. J’en profite pour annoncer aussi ma nouvelle
et les exclamations joyeuses me font rire. Dara me demande comment j’ai fait
pour rester sur des talons, enceinte et avec une robe si lourde sur le corps alors
qu’on doit supplier Snam pour s’habiller quand elle est enceinte. Elle se prend
bien sûr un coup sur la tête de Snam. Je leur balance mon secret. Façon je
trouvais la traîne effrayante, j’ai sagement opté pour des chuck taylor classiques
pour épargner mes dents. Elikem n’attendait que ça pour me charrier et les
autres suivent. Les félicitations reprennent et promesses de se revoir s’enchaînent.
Pour taquiner Elikem, je demande à Cédric de bien lui masser les bras juste
pour moi. Fidèle à ses habitudes, il sourit et demande que je passe le bonjour
à Eben sans adresser ma requête. Le type n’est vraiment pas bavard, pourtant
Elikem jure qu’il est un emmerdeur. On se laisse sur des grands sourires et au revoir.
Chacun rentre avec sa petite famille, c’est trop adorable. Un sanglot étouffé
met fin à mon rêve. Je distingue une silhouette assise au sol proche de la
chambre qu’occupe maman. C’est Hilda que je vois quand je m’approche.
— Tu veux rester
seule? je la questionne.
— Non, elle hoquette.
Je vais me chercher un
tabouret et m’assois à ses côtés.
— Tu..tu peux m’aider
s’il te plaît? elle commence timidement.
— Je t’écoute.
— C’est comme si
Eben et maman ne m’ont pas encore pardonné ce qui s’est passé à la dot. Si tu peux
parler à Eben en ma faveur…
— Pourquoi tu
penses qu’ils ne t’ont pas pardonné?
Je vois qu’elle
grimace donc je continue.
— Je ne peux pas
t’aider si tu me laisses dans le flou Hilda.
— Tu vas me
détester si je te raconte.
— Tant que tu n’as
pas touché à ceux que j’aime, je ne peux pas te détester, et tu fais partie de
ceux que je commence à aimer, donc j’ai un peu plus de tolérance pour toi, je l’encourage
et enfin elle s’ouvre.
— Pourquoi? c’est
tout ce que j’arrive à lui demander à la fin de son récit.
Inventer un viol? Je
comprends le désarroi d’Eben et la décision de maman.
— Je sais que c’est
moche, mais c’est la seule chose qui m’est venue à l’esprit pour avoir la
sympathie des filles. Je ne me voyais pas rentrer après m’être démené pour arriver
là-bas. Maintenant Eben veut que j’avoue, mais Dara ne me pardonnera jamais,
elle s’effondre sur la fin. Elle va me rayer de sa vie. Je vais me retrouver
seule et sans amie. C’est la seule que j’ai Océane. Je me suis déjà brouillée
avec Snam. Qu’est-ce que je vais faire seule à Nairobi? La ville est bien, j’aime
mon travail, mais je n’avais pas vraiment de cercle social en dehors de Godson
et des filles. Je ne veux pas voir la déception dans les yeux de Dara. Elle
compte tellement pour moi.
— Ayant une amie
qui compte autant qu’un organe vital pour moi, je comprends ta crainte de la
perdre. Toutefois, ton frère essaie de t’apprendre une leçon importante Hilda.
On ne construit pas de relation solide sur le mensonge. Tu ne sais pas ce que
demain te réserve. Imagine que tu te retrouves dans une position…
— Personne ne
sait en dehors de vous! Si vous ne me trahissez pas, qui le fera? elle m’interrompt
subitement.
— Ça ne viendra
pas de moi, je peux te le garantir, ma…
— Voilà! Toi au
moins tu comprends, mais Eben et maman, tout ce qu’ils veulent c’est me forcer
à être comme eux! Je leur ai déjà avoué. J’ai assumé et accepté mes torts. Qu’est-ce
que ça changera dans ma vie de rentrer à Lomé? Ou d’en parler à Dara? Elle va
en tirer quoi sinon la déception? Ils veulent juste m’exposer comme j’ai le malheur
d’être le vilain canard de la famille. Depuis que je suis adolescente, maman me
bassine les oreilles avec ses prétextes. Une bonne fille est comme ci, comme
ça. Je ne suis jamais bien pour elle. Je parle trop, j’ai la critique trop
facile. Imagine que son esprit est allé directement sur le négatif quand je lui
ai parlé de Godson. Elle a commencé à me faire la morale sur comment je dois me
méfier des hommes qui viennent d’un niveau plus aisé, jusqu’à m’interdire de
coucher avec lui sous prétexte que peut-être il veut voler mon esprit. Pour
elle, un homme riche ne peut juste pas m’aimer. Je n’en ai pas le droit. Je
dois regarder les hommes de notre milieu. Je n’ai pas le droit de vouloir mieux
pour moi. Quelle mère ne veut pas que son enfant ait une meilleure vie qu’elle?
— Tu veux un avis
honnête?
— Bien sûr!
— Si tout ce que
tu viens de me dire s’est passé ainsi, pour moi, tu extrapoles énormément
Hilda. Tu reportes tes insécurités sur ta mère.
— Quelles insécurités?
Je n’en ai pas.
— Je ne fais que conclure
sur la base de tes dires. Ta mère n’a rien dit de différent à la majorité des parents
responsables que je connais incluant les miens. Nos parents ont plus d’années
que nous sur terre et on ne peut nier que leurs valeurs sont souvent teintées
de leurs expériences personnelles. Si ta mère a côtoyé ou n’a entendu que des
histoires d’hommes riches profitant des filles modestes, peux-tu lui en vouloir
de te transmettre ça?
— Mais pourquoi
elle voit le noir partout? Pourquoi mon histoire ne peut pas être différente de
ce qu’elle sait?
— Quand a-t-elle
dit que ton histoire serait pareille à ce qu’elle sait? Tout ce qu’elle a fait,
c’est te conseiller. Elle t’a déjà forcé à suivre ses conseils?
— Non, mais…
— Mais non Hilda.
Chaque personne a le droit de s’exprimer. Tu ne peux pas dire à ta mère ce qu’elle
doit te prodiguer comme conseils tout comme tu n’es pas obligée d’accepter. Que
tu le veuilles ou non, ce qu’elle craint est un phénomène réel. Il y a bien des
gens qui mettent leur argent ou statut en avant pour profiter de ceux qui
courent après ça. C’est ton droit d’espérer que ton expérience sera différente.
Je connais effectivement des gens de milieu modeste qui sont entrés dans des familles
aisées, mais penser que ça court les rues c’est se mentir. On s’entend quand
même que les rêves ne devraient pas nous éloigner de la réalité sur terre?
— Oui.
— On s’entend
aussi que notre réalité actuelle n’est pas vraiment encourageante?
— À qui le
dis-tu? Voilà qu’on s’est foutu de ma gueule alors que je me pensais en couple et
en direction vers le mariage, elle soupire.
— Alors que reproches-tu
concrètement à ta mère? De vouloir t’éviter des peines?
— Je suis juste
fatiguée Océane, elle répond sur un ton las. Fatiguée et déçue. Ce n’est pas la
vie que j’espérais à cet âge.
— Alors comment
retourner à ce que tu espérais?
— Je ne veux plus
rien entendre sur Godson.
— C’est Godson la
vie que tu espérais?
— Je voulais être
sa femme, bien vivre, prouver à maman qu’on peut être aimé par un homme bien,
riche et rien qu’à moi.
— Tu n’as que 24 ans
ma grande. Ta vie est loin d’être terminée. Ton homme riche, tu peux le trouver
si c’est écrit pour toi. En attendant, rien ne t’empêche d’acquérir toi-même
cette richesse que tu convoites. La réalité à laquelle on est tous soumis ici-bas
c’est qu’on ne détermine pas quand on trouvera la personne qu’il nous faut. Par
contre, la richesse est à ta portée de mains. Mettant de côté les raisons comme
l’environnement économique, tu sais au moins qu’en travaillant sur tes compétences
professionnelles et multipliant tes sources de revenus, tu peux au moins
commencer à construire ta richesse.
— De toute façon,
je n’ai pas le choix. J’ai beaucoup d’ambitions.
— Aussi tu n’as
rien à prouver à ta mère. Tu penses franchement qu’elle ne sera pas la première
à se réjouir de ta réussite?
— Oui, mais je
veux lui prouver que rêver ne constitue pas un crime.
— Et je te redemande,
elle t’a dit quand que rêver constitue un crime?
Elle me dévisage, sans
réponse.
— Pourquoi tu ne
respectes pas que ta mère et ton frère aient des personnalités différentes de
toi?
— Je respecte.
— Tu ne respectes
pas Hilda. Pour toi ce n’est peut-être pas méchant, mais d’un point de vue
externe, tu te moques. Tu ridiculises spécialement le fait que ta mère n’aime
pas avoir l’attention.
— Non c’est pas
vrai. C’est juste que ça m’énerve. Ça me rappelle les sermons sur comment une
bonne femme doit être docile, effacée, demander peu, ainsi de suite. Ça m’énerve
de voir les femmes présentées ainsi, c’est aussi pour ça que je t’apprécie. J’apprécie
énormément le fait que tu ne demandes pas la permission pour vivre de façon
publique ton bonheur et je suis trop heureuse qu’Eben ait choisi une femme
comme toi. Ça prouve à maman qu’on n’a pas besoin d’être une réincarnation de Marie
pour être aimée.
— Si je te suis
bien, tu veux que ta mère respecte tes idéaux quand les siens t’énervent?
— Je…., elle
commence sans finir.
— Tu t’es déjà
demandée si les réincarnations de Marie aimaient l’être?
— Pardon c’est le
mensonge. La majorité ne connaît pas mieux et le restant joue sur l’hypocrisie
juste pour ne pas se faire critiquer pourtant si tu fouilles bien tu verras que
ce sont les femmes les plus fausses au monde, mais comme nous on est plus
affirmées on passe pour les pétasses de service. Dans la foulée, les hommes
utilisent les gens comme ça pour nous juger nous et dire qu’on est
matérialiste, on demande trop, on finira seules, on doit baisser nos standards.
Grrrr! Ça m’énervEUH, je t’assure! elle soupire lourdement et me fait sourire.
— Je comprends
que tu sois fatiguée si c’est comme ça que tu réfléchis régulièrement. Je vais
te demander quelque chose. Repose-toi Hilda.
— Pourquoi j’ai l’impression
que tu te moques en douce là?
— Je suis
sérieuse ma grande. Laisse la révolution et repose-toi. Ce n’est pas ton
travail de changer les mentalités des gens. Ton travail c’est de décider ce qui
est bien pour toi et rester fidèle à tes idéaux. Les réincarnations de Marie ne
te doivent rien.
— Mais je n’ai
pas dit qu’elles me devaient…
— Oh que si, tu l’as
dit. Qu’elles ne connaissent pas mieux ou soient hypocrites, ce n’est pas ton
problème. Chacun est libre de choisir la vie qui lui convient. Si tu aimes tes
standards, tu les gardes. Tu tomberas toujours sur des gens qui te critiqueront
sur tes choix tout comme tu viens de critiquer les autres. C’est la vie même
qui est ainsi. En revanche, c’est ta responsabilité d’avoir confiance en ton
avenir et maintenir tes standards si tu juges que c’est ce qu’il te faut, on se
comprend?
— Tu veux dire que
ça ne soulève pas ton cœur quand tu entends des discours réducteurs sur les
femmes?
— Je n’ai personne
dans mon entourage qui me pond des discours réducteurs. Pour tomber sur ça, il
faut que je me promène sur internet et ce que je fais, c’est que je coupe dès
que ça va sur ce terrain. Je n’interagis pas avec. Ce n’est pas ma réalité, pourquoi
m’épuiser à débattre avec des gens qui ont des idées arrêtées? Dans mon
quotidien, je suis entourée de gens différents de moi qui me respectent quand
même. Que demander de plus?
— Hum…., elle
grommèle peu convaincue.
— Pour finir, tu commets
une erreur en catégorisant les gens comme tu le fais. Je ne suis pas vraie
parce que j’aime être traitée comme une princesse. Ce n’est qu’un caprice parmi
tant d’autres. Je me considère comme vraie parce que je ne complote pas contre
ceux que j’aime. Je ne leur veux aucun mal, je suis présente pour eux, je suis
reconnaissante pour ce qu’ils m’apportent. Je n’ai pas toujours été cette
personne que je te décris. Il m’est arrivé de faire du mal à ceux que j’aime. Avec
Elikem parfois, je le faisais sciemment pour lui rendre ce que je considérais
être la monnaie de leur pièce, mais tu ce qu’est notre relation aujourd’hui. Je
pense que notre affection naturelle a survécu à nos clashs et déceptions parce que
nos actions ont parlé pour nous. Rares sont ceux qui oublient comment tu les
traites Hilda, surtout quand ces gens t’aiment vraiment. Je reste convaincue
que si tu as été bonne envers Dara, elle saura te pardonner. Quand je ne
pourrais te dire, parce qu’on ne peut prédire les réactions des gens, mais je
pense que vous pourrez même repartir sur des bases plus solides.
— C’est risqué,
elle sanglote. Et si elle ne me pardonne pas, c’est moi qui me retrouverai
seule. En plus, si elle le raconte à ses parents, ils vont me prendre pour
quoi?
— C’est risqué je
te l’accorde, mais je t’ai demandé au début si tu préférais qu’elle l’apprenne
de quelqu’un d’autre. Oui, tu ne l’as dit qu’à nous, mais dans l’éventualité où
tu te retrouves exposée dans une situation qu’aucun de nous n’a provoquée? Tu
feras quoi à ce moment? Un autre mensonge? Tu ne vois pas qu’au final la base
de ton amitié est fausse? Finalement, c’est quoi le meilleur? Être accepté pour
soi ou parce qu’on s’est créé une image pour avoir la sympathie?
— Je suis perdue.
— C’est normal. Après
une nuit de repos, j’ai confiance que tu prendras la bonne décision pour toi.
— Et si je décide
de ne rien lui dire? Tu m’en voudras?
— Non. Je ne suis
qu’une personne externe moi. Je te donne ses conseils parce que tu t’es confiée
à moi. En revanche, tu connais ton frère.
— Je peux te demander
une dernière chose?
— Mais oui.
— Tu pourrais
parler à Elikem pour moi? Peut-être que…si elle parle à Dara d’abord, elle
pourrait préparer le terrain en quelque sorte.
— Non ma grande. Dara
ne s’est jamais immiscée dans ma relation avec sa sœur donc je ne vais pas
commencer à m’insérer dans la vôtre à moins qu’elle le demande. J’espère que tu
me comprends.
— D’accord, elle
répond la mort dans l’âme.
J’essaie encore de la
rassurer, mais fatiguée, je finis par l’abandonner pour aller prendre une douche
puis dormir. Le lendemain, on n’a presque pas de seconde à nous. Il faut finir
les valises, aller déposer ma voiture chez le mécano pour une visite rapide avant
la vente, faire un tour au Spa pour que les employées se rappellent qu’elles ne
sont pas en vacances juste parce que je suis absente, aller dans mon ancienne
maison pour qui j’ai enfin trouvé des locataires. J’ai gardé mon ancien gardien
qui était présent pendant que les locataires emménageaient hier. Je lui annonce
qu’il pourra commencer le service chez nous, mais d’ici qu’on rentre de voyage
il est en congé. Dès qu’on rentre, il n’y a presque plus de temps. Douche,
petit encas et les au revoir avec la famille. Maman, Jérôme et sa famille ainsi
que Hilda rentrent au village demain. Hilda y fera cinq jours avant de
retourner à Nairobi. Elle me semble avoir passé une nuit tourmentée vu sa
petite mine. Pendant qu’on s’enlace pour se dire au revoir, je lui réitère qu’elle
n’hésite pas à me contacter. La seule chose qui l’a fait sourire, c’est quand son
frère a fini par lui annoncer qu’on allait en lune de miel. Fabien et Bijou forcée
par son mari nous conduisent à l’aéroport. Eben me glisse à l’oreille de ne pas
oublier l’argent pour Bijou. Ce Fabien c’est tellement un phénomène. Il a
ramené 20 000 des 30 000 qu’on lui avait donnés pour couvrir
ses courses durant le mariage. Sa raison, Bijou n’avait pas besoin de plus. Pour
obliger cette dernière à prendre l’argent, je lui donne comme prétexte que j’aurais
besoin d’aide pour faire des courses afin de surprendre Eben donc ça doit
rester entre nous. Il a fallu qu’Eben insiste aussi pour que les deux entrent
avec nous dans l’aéroport, sinon Fabien voulait s’en aller dès qu’on a descendu
les valises. Dieu merci, on a réussi à le convaincre qu’il lui fallait
connaître l’aéroport puisqu’il est chargé de venir nous chercher au retour. Sinon
pour lui, il ne voyait pas l’utilité de connaître un coin dans lequel il n’ira
jamais parce qu’il ne voit pas le besoin de quitter son pays, le meilleur au
monde.
Pendant qu’Eben va
chercher le chariot à bagages, je vois bien que Bijou contemple avec intérêt l’intérieur
de l’aéroport et me sors un sourire gêné quand nos regards se croisent.
— Ma sœur est en France
là-bas, elle m’explique timidement.
— Tu aimerais un
jour la visiter?
— Visiter? C’est par
la nage que tu vas aller la visiter?
— C’est avec le bâton
des sorcières de ton village, Bijou me rend fière par sa réponse à Fabien qui
bien sûr rigole.
— Tu as la mal
bouche hein boutou.
— Hééé, elle réplique
rougie de pudeur probablement liée au surnom qui doit être réservé à leurs moments
intimes.
— Pardon ton
frère t’appelle, je dis et le bouscule pour qu’il nous laisse, mais quand je
passe le bras autour de l’épaule de Bijou, c’est Romelio que je vois au loin en
compagnie d’une femme. Chacun d’eux a une valise et ils sont en discussion
animée. Elikem m’avait parlé de son voyage, mais je ne pensais pas qu’il était
parti accompagné. Eben et Fabien nous retrouvent avec le chariot et une trentaine
de minutes plus tard, on se sépare de l’autre couple Tountian. On s’est pris l’accès
au salon et comme on est seuls on fait n’importe quoi là-bas. Rigolades, se
faire des films, Bruce nous a même appelés et confirmé qu’il a retrouvé Jennifer.
***Bruce Attipoe***
(Trois heures avant qu’il
confirme à Eben et Océane qu’il a retrouvé Jennifer)
Encore un commentaire
positif sur Tchaa, cet ancien coéquipier de basket du temps où mes parents
avaient les moyens de m’envoyer au Colpro. C’est ce même Tchaa qui a rassemblé les
potos du club de Basket au décès de mon vieux pour m’offrir 75 000 CFA, une cotisation de groupe comme
soutien. Je ne l’ai pas longuement côtoyé. Nous n’avons jamais fait les mêmes
classes. On le connaissait juste comme Tchaa, la référence du collège pour les
bons plans. Il a fallu qu’Eben prononce son nom et avec les détails que je
connaissais d’Océane, j’ai commencé à m’interroger. J’ai fait le tour des
anciennes connaissances du Colpro que j’ai gardé. Les commentaires sont
unanimes. Un gars sur qui on peut compter, débrouillard, qui a même aidé
beaucoup à trouver des logements en France et certains qui galéraient avec le
processus d’immigration canadienne. Aucune tâche, aucune rumeur, on ne lui
connaît pas de scandale. Il n’a jamais frappé de femme, pas de maîtresse. On
sait juste qu’il est le fils d’un pasteur et d’une gynécologue, marié à une Togolaise
du nom de Jennifer et travaille à l’hôpital AELI.
Je sais ce que je cherche.
Je me cherche une raison pour rendre leur divorce valide à mes yeux et m’autoriser
à draguer sérieusement Jennifer, parce que je me trouve dans une position
inconfortable. Je ne dirai pas que Tchaa est un ami, loin de là, mais ça m’énerve
de passer après lui. C’est Eben qui s’en fout. Moi je n’aurais jamais donné de
chance à Océane à sa place. Je ne veux pas de femme que quelqu’un de mon
entourage a touchée. Ça me blesse.
Bref, j’ai du mal à me
concentrer au travail donc j’abrège ma journée comme il sonne déjà 14 h. J’en
ai assez fait. Sur un coup de tête, je m’arrête chez un fleuriste pour acheter une
douzaine de lys blancs et me dirige vers le Snack. La providence étant de mon
côté, elle discute avec une dame qui monte dans un véhicule quand je descends
du mien. Je m’empresse de la rejoindre avant qu’elle ne rentre.
— Pardonne-moi s’il
te plaît, je me lance directement. Je t’ai pris des fleurs.
— Et alors? elle m’interroge
sur un ton mordant. Ce sont les fleurs qui vont remettre mon menton à l’endroit?
— Permets-moi de
me faire pardonner alors. Je suis sincère Jenny. J’ai honte de t’avoir fait ça.
Parfois, je ne sais pas me contrôler quand je suis dans la joie.
Elle me toise et
pousse le juron le plus long au monde avant d’entrer dans son snack. Je la suis
sans tarder et insiste tellement que je finis par gagner du terrain. Elle
accepte mon bouquet. Je propose sur un coup de tête de l’introduire à Ortencia pour
le travail. Cette nouvelle règle mon problème. Enfin elle me sourit. La chance
me sourit aussi. Ortencia prend mon appel et accepte de nous recevoir chez elle
après que je lui ai expliqué. Je passe la soirée au Snack à admirer Jennifer et
à l’heure convenue nous sommes devant leur demeure imposante entourée de gardes
à Kégué.
Jennifer lui expose
brièvement la situation et Ortencia nous rassure qu’elle l’introduira à ses
contacts. Seulement, elle a passé une bonne partie de la soirée à cuisiner
Jennifer sur les rouages de l’école ainsi que des détails sur la fondatrice. Elle
ne s’est pas gênée aussi pour descendre Deborah Nicol. Une jeune sans famille
qui s’est accrochée à son défunt frère pour sortir de la pauvreté et au décès
de ce dernier, elle a éloigné les enfants du reste de la famille. En soi, des
détails qui ne nous regardent pas quoi, mais ça lui tenait tant à cœur qu’elle
l’a répété à différentes reprises. Ça ne prend pas un devin pour comprendre que
cette femme cherche des éléments pour nuire à la fondatrice. La raison
toutefois m’échappe, donc j’interroge Jennifer après la rencontre.
— C’est à toi que
je devrais demander non? C’est ta collègue de travail.
— Bah collègue
oui. Avant aujourd’hui, je ne connaissais que sa vie dans les grands détails. Sierra
léonaise de père, Togolaise de mère, deuxième épouse de Wanké, mère de deux filles.
J’ignorais qu’elle avait une dent contre sa belle-sœur. J’apprécie quand même
que tu ne sois pas entrée dans son jeu.
— Je ne verse pas
dans les médisances. Ce n’est pas de mon âge. Je me concentre sur mon argent.
— L’argent ne
tient pas au chaud les nuits, je me lance et continue comme elle paraît
déroutée. Au diable Tchaa. Mon bonheur aussi compte.
— Je ne vais pas
mentir Jennifer, tu me plais. Je sais que tu es en instance de divorce, mais j’ai
du mal à me contenir en ta présence. Je veux te toucher, te faire du bien, mettre
un sourire sur ta belle face, je veux ajouter des couleurs dans ta vie. Il te
faut juste dire oui.
— Bruce…, elle
commence mal à l’aise, sans mentir, tu es un soutien inattendu pour moi, mais
mon cœur est blessé. Mon mari m’a laissé tomber et exposé à sa famille qui se
moque de mon échec…
— Non, n’utilise
plus le mot échec quand tu parles de toi. Le divorce arrive, ce n’est la faute
de personne. L’important c’est de passer à autre chose. Regarde-toi, si belle,
pleine de vie.
— Pleine de vie
quand la maladie ne me cloue pas sur place.
— La maladie n’a
en rien altéré ta beauté. Tu es magnifique et tu m’attires tellement. Imagine-toi
à mes côtés? Tu ne veux pas reprendre goût à la vie? Vivre ce qu’Eben fait
vivre à Océane.
— Ne colle plus
jamais mon nom à cette cruche d’Océane, elle fulmine.
— Excuse ma
maladresse, je voulais juste dire que je peux rendre ta vie si agréable, te
tenir compagnie, être ton meilleur ami et tout ce dont tu rêves. Dis-moi de
quoi tu rêves ma chérie?
— Je veux être
heureuse et qu’on me respecte. Je veux effacer la déception dans le regard de
ma tante due à ma séparation avec mon mari. Je veux que mon mari me voie
heureuse et radieuse, qu’il comprenne ce qu’il a perdu, qu’il regrette les méchantes
choses qu’il m’a dites et se morde les doigts d’avoir perdu une femme comme moi.
Je retrouver confiance en moi, retrouver par mille tout ce que j’ai perdu dans
cette séparation.
— Alors,
donne-moi une chance, je conclus. Lance-toi, fais confiance à l’avenir.
— Tu me donneras
le temps de finaliser mon divorce dans la paix avant qu’on se mette
officiellement ensemble? Je ne veux pas donner de raisons supplémentaires à ma
tante de me critiquer.
— Si c’est ce que
ça prend, d’accord.
— Dans ce cas, j’accepte.
Les colombes de la
joie s’envolent dans mon être. Il y a du travail à faire sur ses envies. On ne
se sépare pas pour parler encore de prouver quelque chose à son ex, mais je
suppose que c’est la douleur qui parle. C’est probablement Tchaa qui a décidé
de divorcer et en tant que femme, elle ne le digère pas donc elle veut lui
faire regretter. Mon travail sera de lui faire oublier complètement l’existence
de son ex-mari pour qu’elle vive pour nous. Si Eben a pu conquérir Océane en
moins d’un an alors qu’il a moins d’expérience avec les femmes comparées à moi,
je ne vois pas pourquoi j’aurais du mal à y arriver.
***Hilda Tountian***
J’ai invité Dara et
Snam au resto pour cette fameuse discussion qui m’a demandé tout le courage de
la terre. Après des nuits blanches, discussions avec Océane bien qu’elle soit
en lune de miel, j’ai décidé de me jeter à l’eau deux jours après mon retour à
Nairobi et je regrette déjà. Dara me regarde comme si je venais d’une contrée
lointaine. Snam a la bouche ouverte.