Chapitre VII

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre VII


J’ai l’impression d’avoir oublié un truc…

Je me gratte la mâchoire, en regardant de plus près la table basse que je viens de dresser. 

Ah oui, il manque les verres. Je vais les récupérer en cuisine puis les dispose devant chaque pliage de serviette. Putain, ce que c’est chiant à réaliser cette connerie ! Mais je voulais bien faire les choses et l’impressionner un peu. Okay c’est pas en pliant des serviettes en papier que je vais l’impressionner, mais je suis sûre que je vais marquer quelques points. 
J’avise l’heure sur ma montre: 18h40. Ça va, j’ai encore vingt minutes devant moi….

“Toc, toc, toc” 
….Ou pas

Je vais vers la porte d’entrée et ce n’est qu’en voyant ma main trembler sur la poignet de porte, que je me rends compte de mon degré de stress. Pourtant, ce n’est qu’un simple dîner, et je n’ai pas de raison d’être dans cet état… Sauf si on prend en compte le comportement qu’elle adopte depuis trois semaines.
Je prends une grande inspiration, puis expire l’air d’un coup avant d’ouvrir la porte.
Sweat ouvert révélant un t-shirt large, sur un jean ample et une paire de tennis, le tout accompagné d’un maquillage inexistant. Je souris. Elle n’en fait jamais trop, peut-être pas assez, mais jamais trop, elle est toujours dans la simplicité. Et je me surprends à apprécier ça

-Bonsoir mademoiselle
-Monsieur
-Je t’en prie, entre. 
-Merci

Je m’efface pour la laisser entrer après lui avoir fait la bise, puis l’invite à me suivre vers le salon. 

-Oh, on mange sur la table basse ? Demande-t-elle en voyant la table dressée
-Ouaip ! Tu m’as dit que je devais préparer à manger, c’est ce que j’ai fait.
-J’ai hâte de voir … mais surtout de goûter !

Je stoppe mon mouvement et braque mon regard dans le sien.
Elle a hâte de quoi ? De goûter ? 
C’était un sous-entendu ou je rêve ? 
Non, je dois rêver. Mayéla n’est pas le genre à en faire. Elle dit clairement les choses ou se tait. La seconde option était plus celle qu’elle opte. 

-Shomari ?
-Oui? Désolée, je me demandais si tu serais d’assez bonne fois pour reconnaître mes talents culinaire.
-Tu insinues que je suis de mauvaise fois ?
-Je l’affirme ! Chuchoté-je à son oreille.

La voila qui éclate de rire en retirant son sweat. Je lui propose à boire, ce qu’elle accepte puis je m’éclipse pour lui ramener sa boisson. A mon retour, je la vois caresser des yeux des matriochkas posées sur une étagère au dessus de la télé. C’est ma mère qui les a ramenées d’un voyage en Russie et qui est venue les installer. Personnellement, je les trouve affreux, mais les laisse là pour ne pas offenser ma chère mère. Il lui en faut tellement peu…

-Elles sont moches hein ? Lancé-je en m’approchant d’elle, lui tendant son verre
-Non, je les trouves plutôt sympa moi. Mais pourquoi les avoir mise sur une étagère si tu les trouves moches ?
-C’est ma mère qui les a installées. Elle me les a ramenées d’un voyage en Russie, et pour ne pas la vexer je les laisse là
-Oh c’est gentil de ta part. Tu es une fils attentionné
-Je suis surtout un fils qui n’aime pas entendre sa mère parler. Quand elle commence elle ne s’arrête pas et sa voix devient une douce mélodie macabre.
-Oh c’est méchant ce que tu dis !
-Et pourtant c’est vrai. Fais-je en m’asseyant à ses côtés. Mais c’est parce que tu ne l’as pas entendu quand elle est en mode “gémissement, plainte, râlement”. Elle est imbuvable. Je me souviens d’une fois où ma soeur et moi avons refusé d’aller en vacances chez nos grands parents comme ma mère le voulait. Je te raconte pas tout ce qu’elle a débité pour nous faire culpabiliser. Elle a réussi son coup, on est partis

Elle s’adosse au canapé et secoue lentement sa tête.

-Mais je suis sûre qu’elle a fait ça pour vous, pour vous permettre de créer des liens avec vos grands parents, c’est plutôt gentil de sa part. 
-C’est ça, c’était pour nous faire chier et se débarrasser de nous oui ! Mais à mon retour j’ai fait la java comme il se fallait. Fais-je fièrement
-Pauvre de ta mère avoir un enfant aussi turbulent que toi, ce devait être dur. Entre les vols de nourriture, les sorties et j’imagine aisément le reste, ça n’a pas dû être facile pour elle. 

J’explose de rire devant tant de compassion à l’égard de ma mère ! Elle ne la connaît vraiment pas. Oui, c’est ma mère, je l’aime mais il faut savoir qu’elle est spéciale ! Elle peut se montrer très envahissante, bornée, capricieuse, méchante et tout ça en même temps, mais je vais m’abstenir de le lui dire. 

-Sûrement, sûrement. Ai-je simplement répondu après m’être calmé
-.... Donc comme ça tu as une soeur ?
-Oui. Lyne, et moi sommes comme les cinq doigts de la main, inséparables. C’est une version douce de moi, au féminin. Elle est le petit ange sur mon épaule. Et toi, tu as des frères ou des soeurs ?
-Techniquement non, je n’en ai pas. Je suis fille unique, mes deux parents n’ont eu que moi, même après s’être respectivement remariés. Mais dans la pratique, je ne le suis pas. Je considère vraiment Kala comme ma soeur. On a grandi ensemble, on s’est chamaillées et on s’est réconfortées, on a ri et on a pleuré comme des soeurs. 
-Tu la vois réellement de cette façon. Dis-je sans le vouloir sur un ton étonné
-Oui. D’accord, il y a des moments où elle me sort par les pores mais il y en a d’autres où elle me manque terriblement parce que je ne l’ai pas vue. Mais j’imagine que ça doit être pareil pour elle. Quand je regarde les relations qu’entretiennent les frères et soeurs qui m’entourent, je retrouve beaucoup de similitudes avec la relation que j’ai avec Kala

Vraiment ? Et le fait de souvent te tâcler fait parti des similitudes ? Ai-je envie de lui demander. Mais ce serait inapproprié alors je me contente simplement de grogner un ok

-Bon, je vais chercher l’entrée ! Annoncé-je en me levant. J’espère que tu es prête pour la dégustation
-Je pense, j’ai un cousin qui travail au CHU et je l’ai déjà prévenu, en cas de souci, je l’appelle et il accourt .
-Je ne te savais vraiment pas aussi moqueuse mwana, mais attends, dans quelques minutes, tu vas me présenter des excuses en bonne et due forme ! Crié-je depuis le couloir menant à la cuisine. 
Je récupère la salade de fruits de mer, la dresse sur deux assiettes dans une présentation soignée et retourne avec le tout dans le salon.

Je joue le commis et annonce le plat avec beaucoup de sérieux et je réitère le même scénario lorsque je lui présente le plat principale, des bibétés* accompagnés de brochettes de boeuf et des bananes frites, et le dessert, un tiramisu au café.

-Alors ? Demandé-je en la voyant poser sa cuillère à dessert
-Je suis agréablement surprise, je ne te pensais pas aussi bon cuisinier. J’ai compris que tu aimais la nourriture mais je ne savais pas que tu préparais également. Je m’excuse d’avoir autant douté de toi ! 
-MERCI SEIGNEUR ! Fais-je en levant les mains au ciel. Je suis content de voir que tu es quand même un tant soit peu honnête ! 
-Tu exagères..
-Non c’est toi qui exagérais à toujours penser que je ne cuisinais pas ou que je cuisinais mal. Maintenant, tu connais mes talents.
-Et je suis impressionnée, par un tel résultat, surtout venant d’une personne qui n’aime pas rentrer en cuisine.
-Ah, que veux-tu mwana ! C’est un don. Bon je vais débarrasser tout ça
-Je vais t’aider, c’est la moindre des choses. Lance-t-elle en récupérant des assiettes.
-Non, non surtout pas ! Reste assise et profite. Dépose ces assiettes et prends toi un verre
-Mais non, je ne vais pas te laisser tout faire. Répond-elle en se dirigeant vers la cuisine
-Mayélà ! Laisse ces assiettes! Mayéla !

Aie, aie, aie, ça sent pas bon là…. Je la vois entrer dans la cuisine et compte mentalement jusqu’à trois avant d’entendre :

-.....Ohhhhhhh ARIIIIIIII !

Rooh et merde ! Mon plan tombe à l’eau.
Je soupire avant de me mettre à rire en imaginant sa tête. Mon plan était béton, je lui offrais un bon dîner, elle s’excusait de s’être moquée de moi et elle ne devait surtout pas rentrer dans la cuisine. Jusqu’ici mon plan était bon pourtant.
Je reprends mon chemin jusqu’à la cuisine et la regarde contempler les plats sous aluminium et les sachets juste à côté.

-Tu as acheté tout ce qu’on a mangé ? Demande-t-elle une main sur la hanche et le regard désapprobateur. Mais c’est de la triche !
-Tout de suite les grands mots !

Je passe devant elle et dépose les assiettes. Je me mets à ranger la cuisine en faisant abstraction de son regard posé sur moi en espérant qu’elle passera à autre chose, mais il n’en est rien. Je fais semblant de récupérer une assiette près d’elle et la vois suivre tous mes mouvements, les bras croisés….

-Bon, déjà, je n’ai pas acheté. Finis-je par dire. C’est ma mère qui a préparé mais de toute façon, c’est comme si c’était moi ! 
-C’est comme si c’était toi ? Répète-elle en arquant un sourcil
-Oui. C’est ma mère, donc tout ce qu’elle fait peut être assimilé à moi ! Elle a préparé, j’ai préparé, nous avons préparé ! Puis j’étais dans le salon, et sentais les effluves émanant de la cuisine, c’était comme si j’y étais et que je préparais !
-Hummm
-Ouaip

Elle continue de me regarder et pour la première fois, soutient mon regard, avec un petit brin moqueur. 
Plus je la côtoie et plus elle prend de l’assurance. Je préfère de loin cette Mayéla, moins discrète, plus ouverte, plus communicante, et plus joueuse. C’est la meilleure version d’elle même. Quand, je l’ai découverte, j’ai compris la description première que m’a faite Louis sur elle et l’ai complètement validé “ Une femme pleine de vie, dont on apprécie la compagnie”.
Elle penche légèrement sa tête sur le côté et exerce une petite moue avec sa bouche.

-Tu penses vraiment que je vais gober ça ?
-Oui… En même temps c’est de ta faute ! N’importe quelle femme m’aurait demander tout sauf un dîner !
-Faut croire que je ne suis pas n’importe quelle femme. Murmure-t-elle 
-C’est vrai, je ne dirais pas le contraire

Et si je souhaitais m’engager dans une relation sérieuse, j’aurais vraisemblablement tenté quelque chose avec toi. Rajouté-je intérieurement.
Je suis certain que ça aurait fonctionné. Il y a une alchimie entre nous qui rend nos échanges fluides. 

Je finis de débarrasser la table et entame des négociations avec elle pendant plus de dix minutes pour savoir qui va faire la vaisselle. C’est une tâche que je déteste faire et laisse à la ménagère mais dans le contexte actuel ce serait déplacé de la laisser la faire. Surtout après m’être fait attraper en train de gruger.
Finalement, c’est elle qui gagne, elle se retrouve à laver la vaisselle en chantonnant une rumba populaire, la pauvre je l’ai initiée contre son gré, pendant que je l’essuie et la range. 
C’est un calvaire auquel je mets fin après avoir essuyer la dernière assiette en fuyant rapidement l’endroit, laissant Mayéla s’y activer à faire je ne sais quoi. J’ai l’impression d’avoir passé beaucoup trop de temps dans cette cuisine pour la journée mais aussi pour la semaine. 

-Je me disais bien qu’il y avait quelque chose qui clochait. Lance-t-elle en venant s’asseoir à mes côtés sur le canapé avec deux tasses de thé fumantes. J’avais remarqué ta “phobie” de la cuisine ainsi que ton aversion pour la vaisselle, et je n’arrivais pas à comprendre comment, avec tout ça, tu avais réussi à préparer.
-Et voilà, ça exagère tout, tout de suite. Balancé-je faussement blasé. Bon dis-moi ce que tu veux et on en parle plus ? 

Elle dépose une des tasses sur la table basse, devant moi puis s’installe au fond du canapé et emprunte une expression de visage réfléchi.

-....Rien. Dit-elle après quelques minutes de silence, je ne veux rien. Le dîner était sympa, donc je ne vais pas t’en demander un autre. Par contre, je vais retirer touuus les compliments que j’ai faits durant la soirée puisqu’ils ne t’étaient pas adressés !
-C’est malheureux d’arriver à une décision aussi radicale mais soit.

Elle rit.
J’adore entendre son rire, il est apaisant. Il est de bonne augure de l’entendre pour clôturer une bonne soirée comme celle-ci.

-Il serait temps que j’y aille. Fait-elle en se levant. Il se fait tard

Je récupère mon téléphone resté toute la soirée dans ma poche et constate qu’il est minuit moins le quart. Et moi qui pensais qu’il était à peine 22h, je n’imaginais pas que cinq heures venaient de s’écouler. 

-Et bien monsieur l’imposteur, ce fut un délicieux dîner. Vous remercierez votre charmante mère, qui malgré la souffrance d’avoir un fils aussi perturbateur que vous, a accepté de concocter un excellent repas. Je vous ….

Personne ne connaîtra la fin de sa phrase. Je viens de l’embrasser. Encore.
J’avais dit que je ne le referais pas, mais je n’ai pas pu y résister. J’en avais envie depuis le début de la soirée. “une fois c’est pour goûter, deux fois c’est pour consommer””, je me suis répété cette phrase toute la soirée pour me dissuader de l’embrasser une seconde fois. Je ne voulais pas consommer, parce que qui dit consommation, dit engagement, tout ce que je ne veux pas, malheureusement, ça n’a pas marché. Je me suis laissé aller. 
J’ai senti le moment comme propice et non déplacé

“Toc, toc, toc “

*****
Okay, ça c’était quoi encore ? 
La fois dernière, nous avions tous bu, j’étais légèrement pompette et pensais avoir rêvé qu’il m’embrassait, mais le rêve semblait tellement réel que j’ai fini par me dire qu’il s’était effectivement produit. La question était de savoir pourquoi ! Parce que Shomari qui m’embrasse pour le plaisir de le faire, ça n’a pas de sens ! J’ai fini par me dire qu’il était également saoul et ne s’était pas rendu compte de ce qu’il faisait ou de qui il embrassait. Il s’était trompé de cousine. Ça arrive rarement mais l’alcool vous fait avoir une perception de la vie que vous êtes loin de pouvoir imaginer.
Ça, c’était l’explication du baiser “erreur “ d’il y a trois semaines, mais là ? Quelle est son excuse ? Nous n’avons pas bu tant que ça, il parait loin d’être éméché, il ne peut pas prétendre s’être trompé de cousine cette fois-ci.

-Je ne sais même pas où je les ai mis? Répond Ari en se grattant la mâchoire

Guislain qui est arrivé quelques minutes plus tôt, lui lance un regard courroucé et s’adosse contre la porte d’entrée avant de reprendre énervée:

-Je t’ai appelé à plusieurs reprises dans la soirée !
-Ça va, il ne me faut pas non plus des heures pour les trouver, ça doit être dans ma chambre. Te mets pas à pleurer, j’arrive. Lance Ari en prenant la direction de sa chambre

Je constate que Shomari aime énormément provoquer et est un peu moqueur. Je me demande s’il n’est pas en train de se moquer de moi, en m’embrassant à répétition sans m’expliquer la raison. On a peut être été interrompus par Guislain, mais durant les trois semaines qui se sont écoulées, il aurait pu revenir sur le baiser que nous avons échangés s’il ne s’agissait pas d’une simple “erreur”.
Bon dieu, voilà que je vais me remettre à psychoter et me créer des milliers de scénarii tout ça parce qu’il s’amuse à me perturber ! 

-Excuse-moi Mayé, je ne t’ai même pas salué à cause de l’autre naze là, ça va ?
-Oui, un peu fatiguée, la semaine a été longue. Et toi ?
-Idem. Je me fais un petit séjour à Ponton, histoire de décompresser un peu
-Vraiment, quand est-ce que tu pars ?
-Demain matin et je reviens Dimanche soir. Mais si tu m’avais dit que j’allais te trouver ici, je t’aurais ramené tes échasses que tu as oubliées à la maison le week-end dernière
-Tiens voilà, je les ai trouvés ! Fais Ari, de retour en tendant un sac à Guislain. Qui a oublié quoi le week-end dernier ?
-C’est Mayéla qui a oublié ses chaussures aux talons de trois mètres à la maison. Je lui disais que j’aurais pu les lui ramener si elle m’avait dit qu’elle serait ici ce soir
-Oh…..Ok…. Vous vous êtes vus le week-end dernier ?
-Oui. Bon, je vais y aller demain, je prends le premier vol. Mayé, je te dépose ?
-Oui, ça...
-NON !

Guislain et moi nous retournons vers Shomari, qui a le visage crispé, va savoir pourquoi.
Nous l’interrogeons du regard pour comprendre son refus. Après tout, ça lui évite de sortir.

-Je vais la raccompagner
-C’est sûr mon chemin, ça ne me dérange pas.
-C’est mon invitée et moi ça me dérange.

Shomari prononce sa phrase sur un ton un peu trop sec, ce qui a le don de glacer l’atmosphère. 
Après s’être jaugés du regard pendant de longues secondes, Guislain, esquisse un sourire en coin et lève les mains en signe de capitulation.

-D’accord, je vais y aller. Mayé, je passerai dans la semaine.
-Okay.

Shomari m’informe qu’il va changer de bas et je poirote pendant cinq minutes avant de le voir apparaître de nouveau. 
Nous montons en voiture dans un silence lourd qui se répand durant tout le trajet. Même le cd de rumba qu’il laisse jouer à chaque fois qu’il monte en voiture, n’arrive pas à balayer ce sentiment de lourdeur. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il est dû en parti à cause de moi. J’ai dû mal faire quelque chose entre le moment où nous nous sommes embrassés et le moment où nous sommes montés en voiture. Mais quoi ? 
Le silence devient de plus en plus pesant et mon cerveau fonctionne à mille à l’heure à la recherche d’une explication qu’il ne trouve pas. Je coule un regard discret en direction de Shomari qui est concentré dans sa conduite. 
Je porte l’ongle de mon pouce à mes lèvres et le ronge, comme je le fais souvent lorsque je commence à stresser.
C’est dans cette ambiance que nous arrivons devant mon portail.
J’ai le coeur lourd et une forte envie de pleurer. Je n’arrive pas à comprendre, ce que j’ai pu faire pour gâcher cette soirée qui avait pourtant bien commencé. Je patiente pendant un court instant, espérant qu’il dise un mot après avoir arrêter la voiture mais ce n’est pas le cas. 
Je me tourne donc vers la poignet, et le remercie pour la soirée tout en tentant t’ouvre la portière sans succès.

-Elle est fermée. M’informe Shomari. J’aimerais qu’on discute avant que tu ne rentres chez toi.
-.... Oh...d’accord

Je m’installe de nouveau correctement sur mon siège, fixe un point dans la pénombre de la nuit puis entoure ma taille de mes bras. sans doute parce que je ressens à cet instant le besoin de me protéger face à ce qui va suivre. Allez savoir pourquoi j’appréhende ce qu’il va me dire. 

-Concernant ce qu’il s’est passé il y a trois semaines et qui s’est reproduit tout à l’heure, je voulais…
-Ne t’inquiète pas. Le coupé-je. C’est déjà oublié. C’était deux moments d’égarement qui ne se reproduiront pas sois-en certain. On avait bu et on s’est peut-être laissés emporter par l’ivresse. Tu n’as pas d’inquiétude à avoir.
-Vraiment, tu le perçois de cette façon ? Parce que c’était loin d’être des moments d’égarement pour moi, et puis je n’étais pas saoul, ni il y a trois semaines, ni aujourd’hui. J’étais pleinement conscient de ce que je faisais
-...
-Je l’ai fait parce que j’en ressentais l’envie… Je ne sais pas si tu l’as toi aussi remarqué mais il y a une connexion entre nous. Je ne saurais dire ce que c’est exactement mais c’est là. T’es différente des femmes que je côtoie en règle générale mais c’est dans le bon sens. J’apprécie ta spontanéité, ton naturel et ta simplicité. Pour le moment, je ne me vois pas dans une relation sur une longue période, mais je trouverais dommage de ne pas tenter de voir ce que ça pourrait donner, si on essayait tous les deux
-....

Je détache lentement mon regard du point que je fixais pour le poser sur Shomari, pensant avoir imaginé ce que je viens d’entendre. 
Il ne vient pas de dire que je l’intéressais et qu’il aimerait entamer une relation avec moi, ce n’est pas possible. 
C’est tout bonnement impossible ! 

-Mayé ?
-....
-Je te laisse le temps d’y réfléchir. On se voit lundi matin, passe une bonne fin de soirée.

“Je te laisse le temps d’y réfléchir. On se voit lundi matin, passe une bonne fin de soirée”, c’est ce qu’il a dit avant de déverrouiller les portières de la voiture et m’accompagner jusqu’à mon portail comme si de rien n’était avant de repartir, me laissant dans un état de totale confusion. 
Mais comment il peut me dire une chose pareille et être aussi détaché ! Je m’étais faite à l’idée d’une bonne amitié, sans ambiguïté. A défaut de l’avoir comme mec, non pas que j’ai pu croire un instant que cela pouvait être possible, j’étais bien consciente que cela ne pouvait avoir lieu que dans mes rêves les plus fous, je m'accommodais aisément de notre entente platonique. Et le voilà qui me balance sa bombe avec un ton tellement détaché que l’on croirait que ça ne l’intéressait pas autant de ça. Pire, qu’il l’avait dit dans un moment de confusion. Et c’est peut-être le cas. 
J’ai le coeur qui bat la chamade et la poitrine qui m’oppresse. C’est lamentable de se mettre dans un état pareil pour si peu mais je suis comme ça. C’est plus fort que moi. 
J’essaie de me reprendre et m’oblige à me calmer, le temps de rentrer chez moi, faire un peu de rangement, prendre une douche, ce que je réussis à faire, mais lorsque ma tête touche mon oreiller, je me remets à ressasser tout le déroulement de la soirée, partie par partie. 

Je l’entends me dire qu’il y a une connexion entre nous, que je suis une femme différente de toutes celles qu’il a côtoyées jusqu’à présent, qu’il aime mon naturel et qu’il serait dommage de ne pas tenter de voir ce que ça donnerait tous les deux, si on essayait.

Si je pars sur l’hypothèse qu’il était sérieux dans ses propos, il faudrait quand même que je comprenne ce qu’il a voulu dire par “ tenter de voir ce que ça donnerait tous les deux si on essayait”. Si on essayait quoi tous les deux ? Une relation, une vraie ? Ça ne peut pas être çà, quelques secondes plus tôt, il disait ne pas se sentir prêt pour une relation sur une longue période, ce qu’il faut traduire par pas prêt pour une relation sérieuse. Qu’est-ce qu’il ferait qu’il décide alors d’en envisager une avec moi ? 

J’ai beau chercher jusqu’à quatre heures du matin, je finis par m’endormir sans aucune réponse à mes questions. 
C’est la sonnerie de mon téléphone qui me tire du réveil profond dans lequel j’étais. 
A la musique qui est jouée, je sais immédiatement qu’il s’agit d’Elodie, je tâtonne le lit puis récupère mon téléphone et le porte à mon oreille

-Allô ?
-Je suis au Da vinci ! Je t’attends là ! Où est-ce que tu es ?

J’ouvre doucement l’oeil droit et chercher le réveil pour avoir une idée de l’heure.
Mince, il est 13h !

-Tu étais en train de dormir ?
-Humm, on va reporter notre déjeuner. Je ne suis pas en état de sortir. Lui expliqué-je d’une voix rocailleuse. 
-Qu’est-ce qu’il y a ?

Me voyant assez mal lui expliquer au téléphone que je n’ai pas trouvé le sommeil de la nuit à cause des propos de Shomari, je préfère simplement lui dire que je ne me sens pas très bien. Elle le comprend et me souhaite de bien me reposer avant de raccrocher.
Mais une demi heure plus tard, alors que je viens de finir de me doucher, je reçois un appel de sa part m’informant qu’elle est devant mon portail

-Mais qu’est-ce que tu fais là ? Lui demandé-je en l’invitant à rentrer après lui avoir ouvert
-Tu m’as dit que tu te sentais mal, je voulais m’assurer que tu n’avais rien de grave. Je t’ai rapporter de quoi manger. Fait-elle en brandissant un sachet
-T’es adorable Elodie, mais il ne fallait pas 
-Oh quitte devant moi avec tes “il ne fallait pas". Bon, qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi tu as une tête d’enterrement ? Me demande-t-elle en prenant place sur le canapé

Mes relations avec Elodie ayant considérablement évolué, ces derniers mois, c’est sans aucun souci que je lui relate la soirée de la veille et les propos tenus pas Shomari au moment du retour. Elle s’est qu’entre lui et moi il n’y a rien mais aime me taquiner. Mais en dépit de ça, je la sais de très bon conseil et je sais qu’elle saura m’éclairer dans cette situation où tout est flou pour le moment

-Je dis ? Pourquoi tu aimes autant les soucis ? On te demande combien font deux plus deux, toi tu cherches le théorème de Pythagore ? Ma copine, c’est lui que tu veux, tu as la possibilité de l’avoir, et bien fonce ! C’est tout. Pardon, habille-toi et appelle ton mari, il va nous payer un verre là, y fais trop chaud !
-Mais tu ne trouves pas ça étrange ? Il va faire quoi avec une femme comme moi ?
-Ah ! Garçon fait quoi avec femme ?
-Elodie…
-C’est un bel homme, tu le trouves attirant et visiblement c’est réciproque. Des fois, il ne faut pas se poser trop de question et foncer. Pour une fois, suis ce que ton coeur te dit au lieu de te mettre à analyser tout ce qui t’est dit et passer à côté d’une belle relation.

KULA