
Chapitre 7
Write by Josephine54
Beverly
Je regardais Arthur monter dans un taxi qui l'attendait à l'entrée de l'entreprise. Il semblait droit comme un "I". Mon Dieu, comme la vie pouvait parfois être injuste ! Pourquoi m'imposer une telle torture ? Pourquoi fallait-il que ce soit lui qui succède à monsieur Domou ? Lorsque je repensais à cette clause d'exclusivité de cinq ans que j'avais acceptée avec soulagement, je la percevais désormais comme un piège, une embuscade.
Arthur avait été froid, impassible, indifférent. Je ne retrouvais plus en lui la trace d'Arthur doux et compréhensif que j'avais connu par le passé.
J'avais eu le temps de l'observer du coin de l'œil pendant cette fameuse réunion. Il avait maintenant 35 ans. Quelques cheveux gris commençaient à s'inviter dans sa chevelure. Et son visage, il était dur comme de l'acier. J'avais presque pris peur quand j'avais toqué à sa porte pour lui annoncer son premier entretien.
Son ton froid et son visage féroce m'avaient donné la chair de poule.
" Faites-le entrer et autre chose, ne revenez plus. Laissez vos collègues venir à moi directement", m'avait-il dit d'une voix glaciale, totalement en contraste avec la fausse courtoisie qu'il avait manifestée plus tôt.
Je réalisais simplement à cet instant que sous son apparence d'affabilité, il devait certainement me garder rancune. Mais comment lui en vouloir ? Je me rappelais encore son expression peinée lors de notre dernière rencontre.
- Oui, parce qu'il a de l'argent, Arthur. Parce qu'il a de l'argent. Quel avenir pourrais-je avoir avec quelqu'un comme toi ? Avec un passé sombre ! Aucune perspective d'avenir.
Il m'avait regardée comme si j'étais un diable en jupon. C'était pourtant ainsi que je me sentais à cet instant. J'avais essayé mollement de le retenir quand j'avais lu cette douleur atroce dans son regard. Mais, à quoi bon ? Au fond, ma décision était prise. Je comptais vraiment épouser Benjamin. Je ne pouvais pas laisser mes frères et sœurs sans aucun soutien, sans personne pour les guider dans les vies. Avec les parents que nous avions, c'était la perdition absolue pour tous. Et tout cela pourquoi ? Parce que j'avais décidé de suivre aveuglément un homme. J'étais l'aînée et je n'avais pas eu le cœur de les abandonner au triste sort qui les attendait certainement. Je savais qu'il me fallait être à limite de la cruauté pour qu'il s'éloigne définitivement de moi. Mais quand j'avais vu cette douleur sans précédente au fond de ses yeux, je m'étais demandée à cet instant-là si j'avais vraiment besoin d'en arriver là.
Après toutes ces années, regrettais-je mon choix ? Je ne saurai vous répondre sincèrement. Virginie aujourd'hui ne faisait absolument rien de la vie, malgré que je l'eusse orientée et soutenue au quotidien. Elle ne voulait rien faire, elle ne savait rien faire, même pas s'occuper de son propre enfant. Tout ce qui l’intéressait, c'étaient ses sorties, ses virées nocturnes. Elle avait 31 ans aujourd'hui et ne faisait rien de sa vie.
Arnaud, le pauvre Arnaud, il fallait désormais parler de lui au passé. Il n'était plus de ce monde. Un braquage qui avait mal tourné, il avait reçu une balle en plein abdomen, la course à l’hôpital avait été vaine. Il était arrivé décédé.
Voilà ceux pour qui j'avais sacrifié mon propre bonheur.
Roman écrit par Justine Laure (page Facebook Plume de Justine Laure)
Heureusement, ils n'étaient les seuls qui comptaient sur moi. Kylian, Annaella et James aujourd'hui poursuivaient sereinement leurs études. Kylian était maintenant en classe terminale. C'était un adolescent posé, qui se consacrait exclusivement à ses études. Annaella et James étaient étudiants en ingénierie dans une université à Bafoussam.
J'avais totalement pris en charge leurs études dès la première année de mon mariage. Je les avais tous inscrits dans une école privée et ils avaient un répétiteur qui s'assurait de combler leurs failles. Leurs résultats scolaires étaient simplement excellents.
Aujourd'hui, étais-je encore mesure de juger Déborah, notre voisine qui avait épousé un vieil homme riche ? Je ne sais pas. Le mien était certes jeune, mais je ne l'avais pas épousé pour de bonnes raisons.
J'essayai d'être une bonne femme pour lui, d'accomplir mes devoirs conjugaux, de prendre soin de la maison et des enfants.
Je montai dans ma voiture et lançai l'appel vers le numéro d’Amanda.
- Hé, coucou ma chérie, ça va ? demanda Amanda d'une voix joyeuse.
- Je vais bien, ma belle, et toi ? répondis-je en souriant faiblement.
Amanda et moi nous étions encore plus liées durant ces dix dernières années. Elle m'avait assuré plusieurs fois d'avoir fait le bon choix.
- Ça va, ma chérie. Que fais-tu ? demandai-je.
- Rien de particulier. J'attends mon homme.
- Haha, un homme que je n'ai jamais vu. Trouves-tu cela normal ? demandai-je en riant.
- Haha, je le garde pour moi tout seul. Tu ne connais pas la chanson : " Je vous le dis, mon gars, c'est pas votre ami. Si vous voulez le voir, rendez-vous à la mairie", répondit Amanda en riant. Haha, sérieusement, je vais te le présenter d'ici peu. Tu m'as l'air bizarre. Tout va bien ?
En fait, j'appelais Amanda pour discuter avec elle. Je me sentais tellement bouleversée de l'intérieur après avoir revu Arthur. Le sentiment de culpabilité qui m'avait habitée de manière subtile durant toutes ces années, avait refait surface. J'avais juste envie de parler avec quelqu'un qui me comprenait, qui savait mon passé, mon histoire avec Arthur, à quel point je l'avais aimé, à quel point je l'avais blessé, et à quel point je m'étais sentie mal ces dernières années. La seule capable de me comprendre était Amanda, mais malheureusement, elle était occupée.
- Tout va bien, ma belle. Je te laisse te préparer pour ton homme.
- Haha, on se parle peut-être demain, ma coco (ma copine).
Je raccrochai en riant. Amanda n'avait absolument pas changé ces dernières années. Elle était restée la même, allant d'hommes en hommes. Après avoir perdu sa grossesse d'il y a près de dix ans, Amanda était maintenant maman d'un petit garçon, mais était séparée de son père, un certain Gabriel, qui en fin de compte, n'avais pas duré plus de six mois dans sa vie, la laissant avec un bébé.
Arthur
Après le premier contact avec mon frère, nous ne nous étions plus perdus. Nos rapports étaient carrément plus forts que par le passé. Après deux ans passés au Gabon, Gérard m'avait appelé un soir.
- Mon frère, ça te dirait de rependre ton dossier d'immigration ?
- Pardon ? avais-je demandé, choqué.
- Haha, oui, venir ici en France. Reprendre le dossier que tu avais abandonné parce que tu poursuivais la femme, s'était esclaffé mon frère. Mince, l'amour t'avait rendu maboule.
Je n'avais pas du tout ri de sa blague. Même après deux ans, je n'arrivais toujours pas à oublier Beverly. Elle occupait toutes mes pensées. Elle était certainement mariée à l'heure actuelle et c'était désormais Benjamin qui lui faisait l'amour tous les soirs. Qui avait le droit de voir sa nudité. Qui l'entendait gémir sous ses coups de rein et qui voyait enfin la plénitude envahir son visage au moment de l'extase. Un spectacle que je savais m'être réservé pour le restant de nos jours. Rien que d'y penser, j'avais envie de tout casser ! J'avais essayé de me mettre en couple, mais je ne réussissais pas à m'impliquer vraiment.
Mon frère avait semblé réaliser sa bourde et s'en était excusé.
- Désolé Arthur, je vois que tu n'as pas encore digéré.
Un silence de plomb s'était installé sur la ligne.
- Alors, avait repris Gérard, ça te dirait de reprendre ton dossier là où nous nous étions arrêtés ?
- Merci Gérard, merci grand-frère, avais-je répondu d'un ton reconnaissant. Tu sais, j'ai un peu mis de l'argent de côté.
- Mais, c'est très bien. Bref, essaie déjà de te renseigner et fais-moi savoir.
- D'accord Gérard. Merci de croire en moi, malgré tout.
- Il n'y a pas de quoi.
J'avais donc réuni toutes mes économies. J'avais près de deux millions de francs. Mon frère m'avait viré le reste pour la procédure et durant les mois qui avaient précédé mon voyage, j'avais travaillé plus que jamais et avais pu acheter mon billet d'avion de ma propre poche.
Roman écrit par Justine Laure (page Facebook Plume de Justine Laure)
J'étais donc arrivé en France et avais vécu les premiers mois chez Gérard. Il s'était marié entre temps et même si sa femme était très gentille, je m'étais vite senti de trop, en plus, j'étais habitué à mon indépendance.
Je m'étais inscrit à un master en marketing, finance et management et deux ans plus tard, j'avais déjà obtenu mon diplôme. J'avais aussi bossé sans relâche durant mes années d'études. Au Gabon, je m'étais déjà habitué à un rythme infernal, dormant à peine quelques heures.
Dès l'obtention de mon master, j'avais postulé à la société Bosch. J'avais été retenu et j'avais bossé sans relâche pour eux, et en cinq ans auprès de cette société, j'avais rapidement gravi les échelons. J'avais aussi d'autres activités en freelance, en profession libérale. Ce travail, je le faisais principalement de nuit. Un avantage que nous avait laissé la Covid, la possibilité de travailler depuis la maison. Je dormais chaque nuit à 3 h du matin et j'étais déjà sur pied dès 7 h. Durant le weekend, j'essayais de me reposer en matinée et l'après-midi, je bossais sur mes dossiers.
Côté sentimental, je ne réussissais à construire rien de concret. Je n'avais déjà pas de temps et mes copines avaient du mal à comprendre pourquoi j'avais besoin de bosser autant. Je vivais seul, j'avais un bon salaire, une bonne position sociale, pourquoi en faire autant ?
Mais, je savais que le travail était le seul moyen pour moi de m'évader, d'éviter de penser à elle. Après quelques années, j'ai commencé à lui en vouloir, à nourrir de la rancœur envers elle. Elle continuait certainement sa vie avec son homme après avoir détruit la mienne. Je n'étais pas capable de construire un rapport stable avec qui que ce soit. J'étais devenu un accro au travail et buvais énormément de café.
- Arthur, tu vas finir par te tuer à ce rythme. À quoi te sert donc tout cet argent que tu entasses ? Tu risques de mourir avant l'heure et laisser tous ces biens. Tu n'as pas de famille. Pas d'enfant. Je pense qu'il est temps pour toi de te poser. Tu devrais penser à te marier.
Le temps passant, je commençais à ressentir de la haine en moi. Le besoin de la faire payer devenait oppressant, obsédant. Je décidai donc de mener quelques enquêtes et découvris qu'elle s'était effectivement mariée à ce Benjamin Kamdem, qu'elle travaillait pour la société ETS Domou et que son patron était sur le point de se retirer. Il mettait sa société en vente. Je l'avais donc contacté et nous avions échangé à plusieurs reprises via des applications de réunion telles que Zoom, Teams, etc. Il m'avait fourni tous les documents administratifs, comptables et juridiques de la société. Il m'avait même autorisé à effectuer un audit avant de conclure notre accord.
Monsieur Domou était un vieil homme qui ne se souciait absolument pas des nouvelles technologies. Tout était archaïque chez lui. Il avait trop de personnel pour les tâches de la société. Certains avaient un salaire, mais ne faisaient pratiquement rien, d'autres auraient pu optimiser leur travail en utilisant des applications à la pointe de la technologie. J'avais l'intention de changer tout cela. J'avais donc licencié une partie du personnel et maintenu ceux qui étaient les plus performants, dont Beverly. Elle aurait de toute façon été maintenue. J'avais besoin d'elle...
La demande de monsieur Domou pour l'achat de sa société n'était pas des moindres. Je m'étais donc rapproché de la direction de la société qui m'employait. Beaucoup de sociétés européennes rêvent d'investir en Afrique. Le terrain est encore vierge et le marché florissant. J'avais présenté à mon boss tous les documents relatifs à l'entreprise Domou. Le bilan était positif depuis plus de trente ans. Mon boss n'avait donc pas hésité et m'avait donné son accord. J'investirai à hauteur de 70 % et ma société à 30 %. Au bout de cinq ans, j'étais libre de leur restituer leur investissement, avec les intérêts bien évidemment, et de devenir le seul actionnaire de la société.
J'avais donc conclu l'achat avec monsieur Domou et je devenais ainsi le nouveau propriétaire des ETS Domou.
Je rentrai à l'appartement meublé que je louais et passai un coup de fil à maman. Elle était tellement heureuse de m'entendre. Je lui promis de passer le weekend avec elle à Douala.
Le lendemain matin, je me rendis au travail. Cette première semaine était principalement dédiée à la prise de contact avec mes employés et servirait aussi à m'imprégner de nos différents contrats.
Je passai la journée à m'entretenir avec les différents employés. Il était maintenant 16 h et c'était le tour de Beverly. Je l'attendis avec un sourire énigmatique au visage.
Toc, toc, toc... entendis-je à la porte.
- Entrez, lançai-je, faisant mine d'être concentré sur mon ordi.
J'entendis des pas timides s'approcher de moi. Je fis semblant d'être concentré.
- Euh... euh... monsieur, je suis là, parla Beverly d'une petite voix.
Je relevai donc la tête et la fixai un bref moment dans le blanc des yeux. Je vis tout genre d'émotion passer dans son regard : la crainte, l'exaspération, le défi...
- Bonjour madame Kamdem, dis-je, comme toutes les autres fois, en m'attardant sur son nom. Prenez place, je vous en prie.
Elle s'assit gauchement en face de moi.
- J'ai lu avec minutie votre CV, mais j'aimerai que vous me relatiez votre parcours.
- J'ai obtenu un bac scientifique au Lycée de Tsinga. J'ai ensuite obtenu une licence en physique en 2014. J'ai ensuite travaillé comme responsable des ventes au supermarché XX de 2015 en 2018. J'ai ensuite entrepris un cursus de BTS en secrétariat de direction de 2018...
- Pourquoi avoir entrepris ce parcours, qui est totalement en contraste avec la licence que vous avez obtenue ?
Je connaissais son CV par cœur, pour l'avoir lu et relu maintes fois. Elle avait finalement travaillé avec Benjamin, comme prévu. Mais j'étais curieux de savoir ce qui avait motivé son changement. Rencontrait-elle des problèmes dans son couple ? J'avais besoin de ces informations pour affiner ma stratégie.
Elle eut tout à coup une expression embarrassée au visage.
- Euh... euh... j'avais simplement besoin de faire autre chose.
- Je vois, lançai-je, sans la perdre du regard.
Je voyais bien qu'elle essayait de maintenir son calme, mais ses mains tremblantes me faisaient comprendre que ce n'était simplement qu'une apparence.
Je lui posai ensuite deux autres questions sans importance avant de me rejeter sur mon siège.
- Ce sera tout, madame Kamdem, lançai-je d'un ton désinvolte.
Je voyais bien qu'elle était déstabilisée, et c'était fait à dessein. Elle se leva, un air embarrassé au visage.
- Euh... bien, monsieur Mvogo répondit-elle. Je retourne à mon poste, si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas.
- C'est noté, dis-je d'un air énigmatique.
Elle se rendit précipitamment vers la porte, sous mon regard scrutateur. Au moment de la refermer, ses yeux croisèrent les miens, imperturbables.
Je lui avais demandé de passer en dernier, simplement dans le but de l'amener à se poser mille questions. Je n'avais pas l'intention de faire quoi que ce soit, du moins, pas tout de suite…